Ancien journaliste dissident sous le règne de Ben Ali, Kamel Labidi a présidé l'Instance nationale de réforme de l'information et de la communication de mars 2011 à juillet 2012. C'est en se projetant dans une vision de l'information inspirée des standards internationaux que le décret-loi 116 a vu le jour au sein de l'Inric. Voilà pourquoi Kamel Labidi ne veut pas croire à la fin de la Haica... A votre avis, la Haica disparaîtra-t-elle faute de quorum ? Je ne le souhaite pas et regrette beaucoup que les deux membres démissionnaires aient précipité à ce point leur prise de décision. Pourquoi ne pas avoir fait recours à l'arbitrage de personnalités de la société civile pour trouver une sortie de crise à des tensions certes anciennes à la Haica ? D'un autre côté, le président n'a pas annoncé avoir accepté les deux démissions. Peut-être la réconciliation entre les uns et les autres est-elle encore possible. Je l'espère en tout cas pour sauver une instance nécessaire, que nous avons beaucoup défendue et pour laquelle la profession, la société civile et même les organisations internationales se sont énormément mobilisées au cours des années 2012 et 2013. Imposer cette instance n'a pas été facile pour nous. Elle est loin de nous avoir été offerte sur un plateau d'argent. La Haica a pourtant été critiquée à maintes reprises. Pour beaucoup, elle n'a pas été à la mesure des attentes qui ont entouré sa création. Qu'en pensez-vous ? En effet, son travail n'a pas été dépourvu d'erreurs, dont l'octroi de licences à certaines chaînes de télé plutôt partisanes. Sa mission n'est pas non plus facile au vu du lourd héritage qui domine les médias publics audiovisuels, où pendant un demi- siècle les recrutements ont été faits sur la base de l'allégeance et non pas de la compétence. Mais malgré une expérience limitée et des tiraillements en son sein, la Haica représente la seule instance de régulation audiovisuelle indépendante dans le monde arabe. Elle a été d'un apport certain pour empêcher que les chaînes de télévision tunisiennes diffusent des images incitant à la haine et à la terreur. Voyez les chaînes libyennes et yéménites, qui ont connu des soulèvements populaires comme nous, leurs télévisions qui font pratiquement l'apologie de la guerre sont le terrain de dangereux dérapages. Comment éviter, à votre avis, que la prochaine instance audiovisuelle, dont parle la Constitution dans son article 127, soit plus homogène et plus forte que l'actuelle Haica ? Il faudrait tout d'abord que les représentants du peuple soient convaincus du rôle fondamental que peut jouer cette instance dans le processus démocratique ainsi que de l'importance de l'indépendance de ses membres. C'est une structure qui doit rester au-dessus des intérêts financiers et surtout partisans. Je lance un appel aux députés, qui vont réviser le décret-loi 116 pour créer la nouvelle instance, afin qu'ils se réfèrent aux expériences des pays développés dans le domaine de la régulation audiovisuelle. Des organisations internationales comme l'Unesco sont prêtes à exposer l'expertise la plus avancée dans ce secteur aux représentants du peuple. A la lumière des projets de loi sur la lutte contre le terrorisme et sur la protection des forces armées, mon inquiétude réside dans le fait que la nouvelle loi qui va régir les médias audiovisuels, au lieu de remédier à certaines insuffisances du décret 116, de l'améliorer et de garantir l'indépendance de l'instance constitutionnelle de la régulation de la communication audiovisuelle ne nous fasse régresser vers les temps anciens. Dans la région arabe, nous représentons une exception, un projet de démocratie. Ceux qui vont concevoir une nouvelle loi pour la régulation audiovisuelle ne devraient pas l'oublier !