On projette de recapitaliser avec l'argent des contribuables, essentiellement les salariés, alors que l'Etat participe dans au moins douze banques privées à hauteur d'environ 12% Depuis le 14 Janvier, les dossiers les plus brûlants sont de plus en plus entourés de secret ésotérique. Chaque nouveau gouvernement y ajoute un peu plus d'ombre pour les rendre encore plus abscons afin qu'ils soient à l'abri de la trop grande curiosité d'une société civile qui veut se renseigner à propos de tout. En fait, elle ne fait que réclamer l'un des acquis de la Révolution, à savoir le droit d'accès à l'information, ce droit constitutionnel garanti par l'article 32 de la Constitution et le décret-loi 41 dont le chapitre V exige de l'organisme public compétent de publier régulièrement tout ce qui concerne les activités économiques et sociales du gouvernement, particulièrement les comptes nationaux, toute information sur les finances publiques, y compris celles sur la dette publique et toutes celles se rapportant aux services et programmes sociaux, faute de quoi le demandeur peut saisir le tribunal administratif pour abus de pouvoir. Ce droit est, manifestement, bafoué par les autorités comme l'illustre l'exemple typique de la recapitalisation des trois banques publiques, puisqu'on refuse de publier les résultats de l'audit avant de procéder à leur recapitalisation. Et ce n'est pas la seule chose que conteste une bonne partie de la société civile et politique, la manière de les recapitaliser l'est également d'autant plus que ce ne sont pas les solutions qui font défaut. Mauvaise gouvernance En réalité, cet audit n'a été opéré qu'à la suite de la demande formulée par la Banque mondiale, ce qui a nourri des soupçons quant aux vraies raisons de l'intervention de cette institution financière internationale dans les affaires intérieures d'un Etat souverain. Le dossier de la restructuration des banques publiques, qui sera soumis à l'ARP aujourd'hui même, devra être bouclé avant fin juin 2015, d'après les affirmations du ministre des Finances, Slim Chaker. L'Etat tunisien envisage de vendre entre 10 et 15% de ses participations dans plusieurs banques mixtes, afin de capitaliser environ 1,3 milliard de dinars, comme il s'attend à obtenir 1 milliard de dollars de prêts de la part de la BM et du FMI au cours de cette année, a-t-il en outre révélé, lors d'une conférence sur la finance tenue, dernièrement, au Koweït. Le premier projet était déjà annoncé par son précedesseur, Hakim Ben Hamouda, qui a indiqué que le fonds de restructuration bancaire, qui devrait financer la recapitalisation des trois banques publiques, serait alimenté par les produits de cession de huit banques où l'Etat a des participations minoritaires. Mais jusqu'au jour d'aujourd'hui, ces propos relèvent de simples spéculations et suppositions, et pourtant la situation ne souffre pas le moindre délai. Il importe de savoir à ce propos que l'essentiel du stock dont disposent ces banques nationales consiste dans les dépôts des personnes physiques ou morales. « Ce qui est absurde, c'est qu'on projette de recapitaliser avec l'argent des contribuables, essentiellement les salariés, alors que l'Etat participe dans au moins douze banques privées à hauteur de 10/12%. Pour quoi faire ? Pourquoi ne pas céder ces parts et faire de sorte que ces banques soient, totalement, privées et renflouer, donc, les trois banques publiques à travers ces participations? », se demande Lotfi Ben Aissa, expert en finances publiques et en fiscalité. Un tel choix s'impose d'autant plus que ces dernières n'ont aucune utilité et aucun impact sur la politique suivie par ces banques privées. Voilà des solutions possibles, mais la paresse intellectuelle et même les intérêts, parfois, priment sur le bon sens, toujours d'après notre expert. La liste des gros emprunteurs accusés de détournement de fonds publics, qui était maladroitement réchauffée par le député constitutionnel Néjib Mrad, existe bel et bien, contrairement à ce que soutiennent certains économistes, nous confie Lotfi Ben Aïssa. Elle met au grand jour, selon lui, une vérité incontournable : les banques tunisiennes, et en particulier les publiques d'entre elles, souffrent d'une mauvaise gouvernance. Cela appelle à une révision des mécanismes de gestion et de transparence en leur sein, notamment par rapport à l'octroi des crédits. D'autre part, elles éprouvent des difficultés à cause du manque de fonds propres, ce qui est en rapport avec le climat des affaires et la compétitivité des entreprises. Recouvrer les créances carbonisées «On ne préconise pas la suppression pure et simple de la recapitalisation des trois banques, mais tout simplement sa suspension en attendant le résultat de l'audit pour nous dire qu'est-ce qui a été fait pour recouvrer les créances carbonisées, c'est-à-dire douteuses, de ces banques, sachant que 50% de leurs engagements sont constitués par des créances classées», précise l'expert. Et il faut savoir que le classement de ces engagements se fait par niveau qui sont au nombre de quatre et que ces derniers se trouvent au dernier palier, autrement dit ils sont irrécouvrables. «Cet argent public, à qui a-t-il profité? On veut bien le savoir. Est-ce que tout a été fait pour que ces créances soient recouvrées ? Quand on se rappelle la fameuse liste des cent vingt-sept groupes et entreprises qui a été glissée, au temps de Ben Ali, par les services de la Banque centrale, on se représente bien la situation», s'indigne l'expert. Ces groupes et sociétés doivent à l'Etat et aux banques publiques quelque 7.000 milliards dont une partie est demandée, aujourd'hui, aux contribuables dans le cadre de la recapitalisation de ces trois banques publiques. «On veut bien le faire, mais à condition qu'on sache le résultat de l'audit et le sort de ces banques, parce qu'il y a une grande suspicion quant à leur privatisation progressive», insiste notre interlocuteur. L'ex-ministre de l'Economie et des Finances a assuré que dans la situation actuelle, cette éventualité n'était pas envisagée, du moins en ce qui le concernait, mais on voudrait bien être rassuré d'une manière claire et nette là-dessus. La norme internationale dit que les créances classées ne doivent pas dépasser les 4% de l'ensemble des engagements, alors que pour les banques privées, on est à 24% et pour les banques publiques à 55%. Cela veut dire qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans ces établissements bancaires, ce qui rend leur assainissement une urgence. Cependant, les mécanismes de recapitalisation ne sont pas, nécessairement, ceux qui sont préconisés par le gouvernement, du moins en partie. Le contribuable veut bien sauver ces banques-là, étant donné qu'elles ont, historiquement, contribué au développement du pays. «Il s'agit des trois leviers de l'économie nationale, à savoir la STB, qui est la fusion de deux banques spécialisées dans le financement du secteur touristique, la BNA, la banque agricole par excellence, et la BH, celle qui est spécialisée dans le financement du logement, il n'est pas question de les abandonner. Néanmoins, encore faut-il que les choses se fassent dans la transparence totale, nous ne demandons pas plus», conclut notre expert financier.