En décidant de remanier son gouvernement, Hamadi Jebali était sans doute à mille lieues de penser qu'il allait s'embarquer dans une aventure à l'issue incertaine. Prévue pour ce mardi, après quatre mois de tractations, l'annonce de la nouvelle formation sera, pour la énième fois, repoussée au prochain week end. Malgré quatre mois de tractations, rien ne permet de dire que d'ici là, les divergences seront aplanies, ni d'exclure un nouveau report. Sauf que, cette fois-ci, les deux partenaires d'Ennahdha menacent de quitter la troika, si leurs exigences ne sont pas satisfaites, et s'invitent dans le débat interne du parti islamiste en prenant fait et cause pour Hamadi Jebali. On peut aisément imaginer les risques qui peuvent en découler pour les institutions déjà fragilisées et pour la paix civile si cette menace est mise à exécution. Comment en est-on arrivé là ? Ennahdha avait commencé par courtiser les partis du centre-gauche, essentiellement, El Joumhoury et El Massar. L'objectif était double : élargir la coalition gouvernementale, et isoler Nida Tounès avec lequel les deux partis étaient en pourparlers très avancés pour la création d'un front commun. Rached Ghannouchi est allé jusqu'à proposer au leader d'El Joumhoury le portefeuille des affaires étrangères au risque de s'aliéner ses deux partenaire de la troika auxquels il avait refusé ce poste, sous prétexte que les ministères régaliens sont du ressort d'Ennahdha. Peine perdue. Chebbi a expliqué à son interlocuteur qu'il n'était pas tant intéressé par un portefeuille ministériel aussi prestigieux soit-il que par une feuille de route. Celle-ci devant comporter des engagements clairs sur le programme économique et social du gouvernement, sur la date des élections, la mise en place des hautes instances. Ne voulant pas en entendre parler, Ghannouchi a dû finalement se rabattre sur l'Alliance démocratique, un parti encore en construction constitué de transfuges du PDP, puis d'El Joumhoury, en offrant des portefeuilles en veux-tu, en voilà. N'ayant rencontré aucun écho auprès des états-majors, il s'est contenté d'une vulgaire opération de débauchage avec un succès très relatif. Une ouverture qui n'a pas fait long feu Parallèlement, Ennahdha a engagé des pourparlers avec ses deux partenaires de la Troika. Le parti islamiste avait commis l'erreur de traiter Ettakattol et le CPR avec condescendance en abusant de sa position de parti dominant. Tant que ce parti avait le vent en poupe, ces deux formations s'étaient contentés d'afficher un profil bas, tout heureux d'être associés à la gestion des affaires de l'Etat malgré des scores ridicules (entre 3 et 5%) comparés à celui du parti islamiste (37%). Pendant une année, ils se sont contentés d'opiner du bonnet à chacune de ses prises position même quand elles heurtaient leurs convictions, au grand dam d'une grande partie de leurs adhérents, au point de devenir, à leur corps défendant, les principaux pourvoyeurs des autres partis en cadres et en militants. Passé l'état de grâce, et avec la dégradation de la situation politique, économique , sociale et sécuritaire ajoutée à l'incompétence criante des anciens détenus ou exilés politiques, les deux partis ont commencé à se démarquer de leur puissant partenaire au fur et à mesure de leur chute dans les sondages. Cela a commencé par les petites phrases, s'est poursuivi par des réactions de moins en moins équivoques sur les dérapages d'Ennahdha, pour prendre, finalement, l'allure d'une véritable intifadha avec des menaces claires comme celles auxquelles on assiste aujourd'hui on en assiste aujourd'hui. Entendre les dirigeants du CPR ou d'Ettakattol mettre en demeure leur ancien tuteur de former son gouvernement dans un délai d'une semaine, sous peine de quitter la troika, ne plus reconnaître que Hamadi Jebali comme interlocuteur dans les tractations concernant la formation du gouvernement, ce qui revient à écarter a contrario, Rached Ghannouchi, donne la mesure de l'évolution du CPR et surtout d'Ettakattol qui ne s'est pas distingué au cours cette année par sa combativité. Pourtant, le principal enseignement de cette crise ne réside ni dans l'échec des tentatives d'ouverture d'Ennahdha, ni dans les relations conflictuelles entre Ennahdha et ses partenaires, mais dans ses retombées sur le fonctionnement interne de ce parti et son évolution ultérieure. Ce dernier passait pour un parti sans histoires où il n'y avait nulle place pour les débats contradictoires, où le culte du chef n'était pas un vain mot, où on ne badine pas avec la discipline de vote. Ses militants sont cités en exemple pour leur dévouement, leur loyalisme, leur désintéressent et voilà qu'ils s'entredéchirent, C'est le mythe d'un parti pas comme les autres qui vole en éclats. A quand l'aggiornamento d'Ennahdha La démission spectaculaire de Lotfi Zitoun, les débats houleux au conseil de la Choura, les mises en cause à peine voilées de ses membres de la gestion de Hamadi Jebali. Le coup de sang de ce dernier qui, se sentant visé, a préféré claqué la porte du conseil devant des journalistes qui n'en croyaient pas leurs yeux, tout en martelant que la formation du gouvernement est de son seul ressort. Tout cela montre que le parti a changé. Uni dans l'adversité bien que traversé par divers courants, il s'est divisé à l'épreuve du pouvoir entre colombes et faucons. Il s'est affaibli aussi. Il n'est plus indétrônable. S'est aussi banalisé, humanisé. Il lui reste à faire son aggiornamento, en reléguant, au magasin des vieilles lunes, des thèses remontant aux années 80. Ses dirigeants ayant passé les trente dernières années en prison ou en exil, n'ont pa vu la Tunisie changer. Il s'est transfiguré au point que ces dirigeants ne s'y reconnaissent plus. Certains cherchent à actionner la machine à remonter le temps en dépoussièrant des thèses éculées et totalement inadaptées à la réalité. D'autres ont pris leur parti des changements intervenus. Hamadi Jébali en serait-il le chef de file ? Un sentiment partagé par Moncef Marzouki qui a menacé de démissionner si Marzouki quittait le gouvernement et même par des dirigeants de l'opposition. Alors, encore un effort, M. Jebali. Débarrassez-vous de vos oeillères ! Ecoutez la voie de la raison et non celle des va-t'en-guerre, formez enfin ce gouvernement d'union nationale que toute la Tunisie attend, cessez de diviser le pays en bons et en mauvais citoyens et cessez de croire que seul parti a le monopole de l'attachement à l'islam et du patriotisme.
Hedi
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