Que les sondages en Tunisie ne soient pas très fiables, personne n'en disconvient, mais il est difficile de ne pas en tenir compte, surtout lorsque les chiffres ne diffèrent pas beaucoup d'un institut à l'autre, ou se confirment au fil des mois. Ils indiquent au moins une tendance. C'est le cas notamment de Nida Tounès qui est au coude au coude avec Ennahdha depuis trois ou quatre mois au niveau des intentions de vote aux élections législatives, alors qu'à celui des présidentielles, son fondateur, Béji Caïd Essebsi se détache nettement des autres candidats. C'est la première fois depuis la révolution qu'un parti tient la dragée haute à Ennahdha. Et dire que celui-ci par sa victoire électorale en octobre 2011 se voyait déjà au pouvoir pour « trente ans au moins ».Très tôt, Ennahdha a essayé de s'adapter à cette nouvelle donne, tout en faisant semblant de ne pas ajouter foi à ces sondages. Derrière les réactions du genre « ces chiffres ne valent pas grand chose», se cachait une réelle inquiétude. Ce parti comptait sur une majorité confortable aux prochaines élections pour imposer son projet de société et parachever le contrôle des institutions de l'Etat. On doit toujours avoir à l'esprit cette discussion entre Rached Ghannouchi et des représentants de la mouvance salafiste diffusée sur FB : « Les institutions militaire et sécuritaire ne sont pas encore entre nos mains. Il faut y aller doucement pour éviter l'effet-boomerang. Souvenez-vous de l'Algérie ». Or voilà qu'un parti que personne n'attendait se présente comme une alternative crédible. Le parti islamiste devrait s'en réjouir, car l'émergence d'une deuxième grane formation politique sauverait Ennahdha d'elle-même et des tentations totalitaires qui découleraient de la prédominance d'une seule formation politique : on aurait beau s'entourer de tous les garde-fous possibles, une telle situation équivaudrait à une porte ouverte à tous les dérapages, à toutes les tentations totalitaires. C'est dans la logique du système. D'ailleurs, depuis une année, le Mouvement Ennahdha ne s'est pas fait faute d'abuser de sa position dominante pour pratiquer l'entrisme sur une grande échelle. Cerise sur le gâteau, ceux qui s'inquiétaient d'une éventuelle bipolarisation de la vie politique devront être rassurés par l'émergence d'une troisième force, le Front patriotique qui semble avoir bénéficié de l'effet Chokri Belaïd. C'est une assurance supplémentaire contre le régime du parti dominant qui n'est finalement qu'un ersatz du parti unique. Par contre, Ennahdha devra faire le deuil de ses ambitions qu'il nourrissait. La Tunisie ne sera pas gouvernée par un seul parti après les prochaines élections. On a cru déceler à travers l'initiative Jébali ou les déclarations de ses dirigeants, ses derniers temps, comme une remise en question, un changement dans le ton, sinon dans le fond, notamment à propos de Nida Tounès, diabolisé auparavant, mais devenu depuis peu un acteur incontournable de la vie politique, en attendant d'être considéré comme un interlocuteur valable. Ghannouchi a accepté une neutralisation des ministères régaliens et se dit prêt à revoir «les nominations» au sein de l'administration qui étaient considérées comme des lignes rouges. Les debaters de service nahdhaouis sur les plateaux de télévision se sont assagis. Peut-être, sont-ce les prémices de changements au sein d'Ennahdha. Il n'est pas interdit de rêver.. HB