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Adieu, Francois Maspero et encore merci !
Publié dans Leaders le 20 - 04 - 2015

« Je crois à la lutte, sinon il n'y a plus d'histoire et peut-être plus d'humanité. » (François Maspéro)
Ma formation politique – ou plus simplement mon éveil à la politique - s'est faite en deux étapes : d'abord à Bizerte, dans l'épicerie de mon père, rue des Menuisiers, pendant et après la guerre. Le soir, après la prière d'el-achaâ, le magasin devenait un club politique où se montrait parfois M. Habib Bougatfa, dont l'épicerie était toute proche, ou même M. Belhassen Daoud, le caïd nationaliste de la ville. Haut comme deux pommes, j'étais familier de journaux comme Ezzohra, Ennahda, Ezzahou, El Isbou… et je suivais les joutes des amis de mon père comme M. Hassen Miaoui, traducteur au Contrôle Civil, dont le fez et les moustaches m'impressionnaient beaucoup et qui, alors que j'avais huit ans, vint un jour me chercher au kouttab d'Errouahnia pour me faire inscrire à l'école franco-arabe du Vieux Port. Ces veillées m'ont introduit à la chose publique et ont fait de moi dès le lycée un lecteur assidu de la presse et un militant de l'UGET.
Ensuite, parti étudier à Paris en 1960, je militerai bien naturellement à l'Association des Etudiants Musulmans Nord-Africains (AEMNA) du 115 Boulevard Saint-Michel et à l'UGET. Là, j'ai découvert les étudiants maghrébins, africains et arabes, leurs luttes, leurs problèmes et la solidarité internationale dont les bases se trouvaient à … « A la Joie de lire », en bas du Boulevard Saint-Michel, rue Saint Séverin. « La Joie de lire », c'était la librairie tenue par M. François Maspéro. C'était un lieu de culture, d'engagement, de débats, de rencontres qui restait ouvert tous les jours jusqu'à minuit. Ce qui était bien commode pour moi dont les Travaux Pratiques(TP) de physique et de chimie à la Sorbonne ou à l'ENS de la rue d'Ulm finissaient souvent vers 20h. C'est là que je découvrirai les enjeux et l'importance pour la politique de l'époque de « La guerre d'Espagne » de Pietro Nenni, secrétaire du Parti Socialiste Italien, premier titre de la collection mythique des « Cahiers Libres » paru en 1959. C'est là que je comblerai les lacunes de l'information sur la Guerre d'Algérie. Franz Fanon sera un guide précieux, un éclaireur hors pair avec le magnifique « Les damnés de la terre » et « L'an V de la Révolution algérienne ». Ils me conduiront – avec d'autres militants de l'AEMNA- à aller rue de la Roquette aider ces ouvriers maghrébins exploités par les marchands de sommeil. C'est là encore que je découvrirai la revue Ettalia du journaliste de gauche égyptien Lotfi al Khouli. Naïf, j'en ai envoyé par la poste quelques exemplaires à des amis en Tunisie. Sans le vouloir, je leur ai provoqué des ennuis avec la police politique : je ne savais pas qu'on violait à l'époque la correspondance chez nous !
Le nom de M. François Maspero restera pour moi indissociable des combats progressistes de notre temps : contre le colonialisme, contre l'impérialisme, contre les dictatures. Je demeure à jamais marqué par son combat anticolonialiste : contre la guerre d'Algérie (1954-1962), contre la torture, contre les ratonnades, encore fonds de commerce de la famille Le Pen dans la France d'aujourd'hui. Combats politiques, combats poétiques aussi. « Avec des sentiments extrêmement simples de révoltes et d'indignation », disait-il.
Il dénoncera sa vie durant « le caractère insoutenable des guerres coloniales » en Indochine, à Madagascar puis au Maghreb. Il est piquant à cet égard de relever que dimanche 19 avril 2015, un membre du gouvernement français était à Sétif pour commémorer enfin le massacre perpétré par la police coloniale contre les milliers d'Algériens coupables de réclamer l'indépendance le 8 mai 1945 en arborant le drapeau algérien. Peu avant ce massacre, Albert Camus écrivait dans le journal Combat prévoyant le drame : « Des hommes souffrent de la faim et demandent justice… Leur faim est injuste ».
Par la suite, la création des Editions Maspéro me fournira la célèbre PCM (Petite Collection Maspéro) dont je dévorerai, ravi, bien des volumes dont « Ibn Khaldoun. Naissance de l'histoire. Passé du tiers-monde » d'Yves Lacoste, « L'histoire du Maghreb » d'Abdallah Laroui et même plus tard « Entretiens avec Ahmed Ben Salah. Sur la dynamique socialiste dans la Tunisie des années 1960 » de Marc Nerfin. Je lirai goulument aussi Che Guevara, Malcolm X, Louis Althusser, Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet... Des armes pour la lutte, publiées par M. Maspéro malgré les oppositions politiques, malgré les attentats, malgré les interdictions, malgré les saisies ou les amendes infligées par le ministre de l'Intérieur Roger Frey et le préfet de police Maurice Papon. Des outils irremplaçables de formation politique et de décryptage du monde pour des générations. Seul Ahmed Ibn Abi Diaf m'avait autant marqué auparavant !
M. Maspéro, auteur, traducteur et journaliste
Je lirai aussi M. Maspéro, l'écrivain, le traducteur et le journaliste. Son reportage sur l'eau potable en Algérie dans « le Monde » m'inspirera un livre.
M. Maspéro est aussi l'auteur de ce remarquable ouvrage qu'est « l'honneur du Général Arnaud »(Le Seuil, 1992, Plon, 1993). Ce militaire est l'homme des enfumades. Il a en effet asphyxié toute la population d'un village algérien dans des grottes. On lit sous la plume de M. Maspéro ces mots du général: « Alors je fais hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fantastiques. Personne n'est descendu dans les cavernes : personne que moi ne sait qu'il y a là-dessous cinq cents brigands qui n'égorgeront plus les Français. Un rapport confidentiel a tout dit au maréchal (Bugeaud) simplement sans poésie terrible ni images…. J'ai fait mon devoir de chef, et demain je recommencerai. » M. Maspéro décrit la monotonie de la besogne pacificatrice en Kabylie de Saint –Arnaud dont Victor Hugo dira : « Ce général avait les états de service d'un chacal » : « Les beaux orangers que mon vandalisme va abattre !.... Je brûle aujourd'hui les propriétés et les villages de Ben Salem et de Bel Cassem-ou-Cassi… Les Kabyles ont éprouvé des pertes considérables ; nous marchons sur leurs cadavres». Ce qui remet en mémoire aujourd'hui les oliviers de Cisjordanie et les injustices subies par les Palestiniens!
Rencontre décisive avec M. Maspéro
En 1983, retour d'un séjour dans plusieurs départements de chimie des Universités américaines et passant par Paris, je me rends Place Painlevé, au Quartier Latin pour rencontrer M. François Maspéro dans sa nouvelle maison d'édition « La Découverte ». Il avait en effet quitté la rue Saint Séverin. Il accepta de me recevoir malgré le fait que personne ne m'avait présenté et que je n'avais pas sollicité de rendez-vous étant donné que j'avais peu de temps avant de regagner Tunis.
Aux Etats Unis, j'avais découvert les questions d'environnement, l'implication de la chimie dans les questions de pollution, l'extrême importance financière et politique des multinationales de la chimie, l'interdiction de la DDT, le scientifique plongé dans les questions de société et de politique publique. Ces thèmes étaient peu évoqués dans le monde francophone à l'époque. Un ouvrage d'Outre-Atlantique m'avait paru particulièrement pertinent – sur le plan scientifique. Après m'être présenté, je résumais à M. Maspéro cet livre américain et lui proposais de le traduire et de le faire publier chez lui. M'ayant attentivement écouté, M. Maspéro me fit remarquer qu'il était l'heure de déjeuner et m'invita à l'accompagner au restaurant. A la fin du repas, il me dit : « Monsieur Bouguerra, pourquoi voulez-vous traduire le livre de quelqu'un alors que vous possédez si bien ce sujet ? Faites votre propre livre et je vous le publie ». Et c'est ainsi que parut mon premier livre « Les poisons du Tiers-Monde » dans la collection « Sciences et Société » aux Editions de la Découverte, en 1985.
Je n'avais jamais songé à écrire moi-même, pris par mon enseignement à la Faculté des Sciences de Tunis et par un laboratoire de recherche que j'avais bien du mal à monter!
Grâce au conseil de M. Maspéro, ma carrière prit une nouvelle tournure. Une quinzaine d'ouvrages virent le jour ; certains ont été traduits en arabe, anglais, néerlandais, espagnol, portugais… et plusieurs thèses d'Etat, de Troisième Cycle… seront soutenues sur les questions environnementales, les PCB, les pesticides et leurs résidus dans les aliments, le lait maternel, le sang de cordon ainsi que dans les œufs (marqueurs environnementaux) du faucon pèlerin et du faucon lanier du Jebel Ressas, les œufs de pigeon de la capitale…
Adieu M. Maspéro et encore merci.
Mohamed Larbi Bouguerra
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