Témoignage pour l'histoire est le titre choisi par Ahmed Mestiri, un acteur chevronné et expérimenté, qui a fait ses preuves depuis 1952 au sein de la classe politique tunisienne. Repère et référence par excellence d'une page de notre histoire contemporaine qui continue à s'écrire, l'ouvrage de Ahmed Mestiri atteste avec exactitude, générosité et spontanéité l'âpre lutte menée par les destouriens et la violente répression des autorités coloniales qui s'est abattue sur eux. Il a narré avec une précision déconcertante les différentes étapes de son combat, et les obstacles du Protectorat français pour entraver la progression de la Tunisie vers l'Indépendance. Depuis 1952, alors que les acteurs politiques les plus influents croupissaient dans les geôles françaises ou étaient écartés et exilés, Ahmed Mestiri assumait avec succès l'insurrection armée. Et dire que rien ne prédestinait le jeune Ahmed à une carrière de militant nationaliste ou politique dans la mesure où il était tout simplement préoccupé par ses études. Né au sein d'une famille de notables et de riches propriétaires terriens installés à Tunis dans le quartier de Bab Souika à l'aube du XVIIIe siècle, il est venu au monde à Radès en 1925. En 1939, et lorsque la Seconde Guerre mondiale a éclaté, le jeune garçon n'avait pas tout à fait onze ans et, pourtant, il venait de réussir à l'examen de la sixième. Etaient dispensés et exempts du service militaire dans l'armée française et du point de vue légal et juridique, les natifs de la capitale et les Tunisiens lauréats du certificat de fin d'études primaires. Il a dû attendre d'avoir quatorze ans pour se présenter en candidat libre à l'examen du certificat, alors qu'il était en 3e année du cycle secondaire. En 1944, il obtient le baccalauréat et s'inscrit en première année à l'Institut des hautes études juridiques, section droit. L'année suivante, il part en Algérie où il s'inscrit à la Faculté de droit d'Alger en 2e année. Il découvre avec effroi la face hideuse du colonialisme français et la grande misère du peuple algérien qui, abandonné de tous, souffrait cruellement de cette indifférence à son triste sort. Et là, surviennent les événements de Sétif où plus de 45.000 Algériens trouvent la mort rien que pour avoir osé hisser le drapeau algérien. Ecœuré par tant de haine et, surtout d'une odieuse ingratitude pour ces hommes qui ont volé au secours de la France, Ahmed a fini tant bien que mal par subir péniblement cette situation. En octobre 1946, il se rend à Paris pour suivre, à la Faculté de droit, des études menées jusqu'à la licence. Avec moult détails et non sans nostalgie, il évoque de vieux souvenirs liés au 115, boulevard Saint-Michel et la salle Wagram avec les meetings de l'Aemna (Association des étudiants musulmans nord-africains), tiraillés par les différents courants politiques de gauche ou trotskystes ou communistes français, secoués par les événements douloureux de Sétif. Suit un long cheminement de la pensée et de l'action d'un homme qui a cru en son étoile et en sa noble mission. Et vint l'Indépendance. Le grand leader et père de la nation fit appel à lui et le nomma aussitôt ministre de la Justice, ce qui lui permit de s'activer dans l'élaboration du Code du statut personnel qui place la Tunisie dans une orbite qui ne laisse plus de place à une alternative à la modernité. Le ministère de la Défense lui échut, ainsi que le poste de chef de mission diplomatique en Algérie, en Union soviétique et en Egypte. A la fin des années 60 et à l'apparition des premiers signes de la maladie, Bourguiba, amoindri, s'est autorisé, encouragé par de mauvais conseillers, à exercer un pouvoir absolu, refusant toute critique et tout dialogue. C'est alors que Ahmed Mestiri, fort de l'appui de hauts responsables, a osé affronter Bourguiba lors du congrès de Monastir, en octobre 1970 et annoncer sa démission. Ainsi fut créé le Mouvement des Démocrates Socialistes, le parti qui remporta les élections législatives tenues en novembre 1981, annulées par décision présidentielle suite à des trucages. Février 1992, Ahmed Mestiri s'est retiré de la scène politique, tout en veillant de très près à exercer une grande vigilance sur ce qui s'y passe. Ce témoignae porte l'empreinte d'un homme doté d'une excellente faculté qui lui permet d'apprécier avec justesse et un sens critique tous les événements passés et à venir. A la réflexion, cette attitude le prédispose à assumer encore, qui sait, des reponsabilités. _______________ * Témoignage pour l'histoire, de Ahmed Mestiri— Sud Editions, octobre 2011