Mardi 19 juillet 2016, la radio de l'armée israélienne a diffusé, dans le cadre de son « Université radiophonique », une émission traitant de l'œuvre de l'immense poète palestinien Mahmoud Darwich dans la série « des textes israéliens formateurs ». Ce qui a fait sortir de ses gonds le bilieux Avigdor Lieberman, l'extrémiste ministre de la Défense israélien qui habite dans une colonie illégale de Cisjordanie. Pour cet ex-videur de boîte de nuit d'origine moldave arrivé à 20 ans en Israël, évoquer les poèmes de Darwich revient à « glorifier les merveilles littéraires d'Adolf Hitler dans Mein Kampf». Rien de moins ! Derechef, ce raciste qui veut expulser tous les Palestiniens vivant en Israël, convoqua le 21 juillet le directeur de la radio pour l'admonester et lui signifier que le rôle de sa station est « de raffermir le lien social de solidarité et non d'élargir le fossé social. Elle ne doit pas heurter la sensibilité du public ». Le procureur général d'Israël, Avichai Mendelblit, s'est vu dans l'obligation de rappeler à Lieberman qu'il n'a nulle autorité pour intervenir dans la programmation de la Radio de l'Armée. (Haaretz, 21 juillet 2016) Pour ce ministre aux multiples casseroles, sioniste enragé s'appuyant sur l'électorat russophone, Darwich est accusé d'avoir appelé à l'expulsion des juifs dans ses poèmes et ne saurait être inclus dans l'histoire d'Israël. En fait, les poèmes du grand patriote palestinien font partie, depuis longtemps, des options offertes aux élèves dans les programmes de littérature avancée des lycées israéliens. Yossi Sarid, ministre de l'Education (1999-2000) a essayé en vain de les rendre obligatoires. La censure envisagée aujourd'hui par Lieberman a été appuyée par la ministre de la Culture et des Sports Miri Regev qui juge que la Radio de l'Armée « est sortie des rails depuis un certain temps ». Après avoir rappelé que Darwich est né en 1941 au village d'al Birwa- détruit en 1948 et aujourd'hui site du moshav** Ahidud et du kibboutz Yasur- et qu'il a écrit 30 volumes de poésie et 8 livres en prose qui en ont fait le « poète national palestinien » , l'éditorialiste du quotidien Haaretz écrit : « l'héritage littéraire et national de Darwich n'a pas besoin de la validation de la Radio de l'Armée ou de celle des membres du gouvernement israélien. Les Israéliens de toute obédience devraient connaître Darwich - non seulement à cause de la claire moralité de ses poèmes : l'aspiration à la liberté-, qui, si elle était réalisée, permettrait une coexistence pacifique- mais aussi à cause de la haute qualité de son œuvre. Darwich n'a fait aucun tort à Israël. Il a simplement exprimé les émotions sincères, venant du fond du cœur des Palestiniens. Ignorer ses mots, c'est ignorer des mots qui ont un écho dans la conscience des Arabes d'Israël soit 20% de la population de ce pays. Le poème « Carte d'identité », lu sur les ondes de la Radio de l'Armée mérite sans aucun doute le titre de « texte israélien qui fait école ». Accuser Darwich d'inciter à la terreur est grotesque. Ce sont Lieberman et Regev qui font le plus de tort à Israël quand ils en font un Etat peu porté à reconnaître l'état d'esprit de gens vivant près de nous. Ils transforment Israël en un pays qui est seulement intéressé par la propagande artistique ». Rappelons que ce n'est pas la première fois que Mahmoud Darwich fait perdre la raison aux politiciens sionistes. Le 28 avril 1988, quatre mois après le déclenchement de la " Révolution des pierres " dans les territoires occupés, le Premier ministre israélien, Ytzhak Shamir, monte à la tribune de la Knesset pour dénoncer... un poème de Mahmoud Darwich « Passants parmi les paroles passagères » : " L'expression exacte des objectifs recherchés par les bandes d'assassins organisés sous le paravent de l'OLP, déclare-t-il, vient d'être donnée par l'un de leurs poètes, Mahmoud Darwich, soi-disant ministre de la Culture de l'OLP et dont on se demande à quel titre il s'est fait une réputation de modéré... J'aurais pu lire ce poème devant le Parlement, mais je ne veux pas lui accorder l'honneur de figurer dans les archives de la Knesset. " Rappelons enfin que le Président Abbas a lu, le 23 septembre 2011, à la tribune des Nations Unies à New York, une partie du poème « Etre » de Darwich. Le même Mahmoud Darwich est l'auteur de la formule prononcée par Yasser Arafat, alors chef de l'OLP, lors de son discours à la tribune de l'ONU en novembre 1974 : "Aujourd'hui, je suis venu porteur d'un rameau d'olivier et du fusil du combattant de la liberté. Ne laissez pas tomber le rameau d'olivier de ma main". Vivant comme mort, Mahmoud Darwich, tel l'œil dans la tombe qui regarde Caïn, - la conscience- n'arrête pas de hanter les oppresseurs du peuple palestinien et de leur rappeler leurs crimes et le vol de leur terre. Ce que le raciste Lieberman ne saurait admettre, calfeutré qu'il est dans sa haine des Arabes et des Palestiniens….et protégé par les arsenaux américains et occidentaux. Le poème « Carte d'identité » de 1964 qui a déclenché l'ire des ministres racistes en ce mois de juillet 2016 est le suivant (traduit de l'anglais): « Ecris-le ! Je suis Arabe Ma carte identité porte le numéro 50 000 J'ai huit enfants Et après cet été, le neuvième est en route Cela vous met-il en colère ? Je suis un Arabe Avec mes camarades nous travaillons dur à la carrière J'ai huit enfants Je travaille dur pour leur pain, leurs vêtements Et leurs cahiers En cassant la roche Je ne mendie pas à votre porte Je ne tremble pas sur votre seuil Est-ce cela vous met en colère ? Ecris-le ! Je suis Arabe Je suis un nom sans particule ni titre honorifiques Patient sur une terre Ou tout et chacun vit la rage au cœur Mes racines remontent avant la naissance du temps Avant que ne débute l'Histoire Avant les cyprès et les oliviers Avant que l'herbe ne pousse Mon père est du clan des laboureurs Il n'est pas de la classe des nobles Mon grand-père était un petit propriétaire paysan Sans pedigree ni ascendance Il m'a enseigné la fierté du soleil Avant de m'apprendre à lire Ma demeure est une cabane pour garder le verger Faite de branches et de roseaux Mon état civil vous plaît-il ? Je suis un nom sans particule ni titre honorifiques Ecris-le ! Je suis un Arabe Couleur des cheveux : charbon Couleur des yeux : brun Attributs : Une corde autour de la kouffia sur ma tête Ma main est aussi dure que le roc Elle vous égratigne si vous la touchez Mon adresse : Je viens d'un village oublié abandonné Aux rues sans nom Tous ses hommes sont aux champs et à la carrière Ceci vous met-il en colère ? Ecris-le ! Je suis Arabe Vous avez volé les vergers de mes parents La terre que nous cultivions A moi et à mes enfants Vous n'avez rien laissé pour nous et pour mes petits enfants Que ces roches Votre gouvernement les prendrait-il Comme les gens le disent ? Par conséquent : Ecris au haut de la première page : Je ne hais personne Je ne vole personne Mais si j'ai faim Je mangerai la chair de mon oppresseur Prenez garde, prenez garde de ma faim Et de ma fureur*** ». Mohamed Larbi Bouguerra ** village agricole de paysans ***Poème mis en musique par le trio Joubran