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L'Indépendance de la Banque Centrale : Indépendance vis-à-vis du gouvernement ou au sein du gouvernement?
Publié dans Leaders le 10 - 11 - 2020

Par Rakia Moalla-Fetini, ancienne chef de mission au FMI, Washington D.C. - Dans les discussions en cours autour des lois de budget 2020/2021 et du financement de leurs déficits, le débat s'est focalisé à nouveau autour de la question de l'indépendance de la Banque Centrale de Tunisie (BCT). Dans le communiqué qu'elle a publié le 27 octobre 2020(1), celle-ci a en effet exprimé son intention de ne pas financer directement les déficits prévus dans ces lois et de s'en tenir à la lettre de ses statuts qui le lui interdisent(2). Pour bien comprendre les enjeux, il est important d'engager une conversation autour du concept d'indépendance de la banque centrale dans un pays comme la Tunisie où celle-ci est une institution qui appartient à l'Etat(3) et est son organe vital chargé de créer la monnaie et de superviser les banques privées qui participent avec elle à la création monétaire.
Cet article initie cette réflexion et invite d'autres à participer à son enrichissement. La position qu'il défend est que l'indépendance de la BCT serait bien mal comprise si elle était conçue comme une indépendance vis-à-vis du gouvernement. Vus les arbitrages auxquels les politiques fiscale et monétaire font face, ainsi que les tensions qui peuvent naître entre elles, celles-ci doivent être conçues simultanément pour en assurer la cohérence et l'harmonie. De ce fait, l'indépendance ne peut et ne doit être comprise que comme indépendance au sein du gouvernement. Ce n'est que dans les Etats déstructurés, sans existence effective—comme l'est l'Etat en Tunisie depuis 2011—que la Banque Centrale peut se permettre de réclamer son indépendance vis-à-vis du gouvernement. Mais pour le peuple à qui l'Etat est redevable, quand celui-ci échoue à assurer le plein emploi et la croissance dans la stabilité monétaire et qu'il endette le pays vis-à-vis de l'étranger jusqu'à l'amener au bord de la faillite, la responsabilité incombe à tous les organes de l'Etat réunis et, à leur tête,le chef de l'Etat, le chef du gouvernement, la Banque Centrale et le ministère des Finances.
De quoi est-il question lorsqu'on parle d'indépendance de la Banque Centrale ?
En 2016, un ancien gouverneur de la BCT avait cru bon au nom de l'indépendance de cette institution de dénoncer les augmentations de salaire excessives que les membres de son conseil d'administration(4) s'étaient octroyés. Bien évidemment, l'indépendance de la BCT n'a rien à voir avec les salaires de ses administrateurs et cette anecdote en dit long sur l'état de confusion dans les esprits autour de cette question, d'où l'importance de la démystifier.
Quand on parle d'indépendance de la Banque Centrale, c'est essentiellement en référence à son rôle dans la détermination du taux d'intérêt et du taux de change(5). Ces deux politiques, en combinaison avec la politique de taxation et la politique des dépenses publiques, forment un nexus de politiques de stabilisation macroéconomique de court terme qui ont pour objectifs essentiels de (i) maintenir le plein emploi tout en veillant (ii) à la stabilité des prix et (iii) à l'équilibre de la balance des paiements(6). Je parle de nexus car l'efficacité de l'une dépend étroitement de sa cohérence et de sa coordination avec les autres. Cette codépendance vient du fait que chacune confronte un arbitrage entre les trois objectifs et que souvent naissent entre elles des tensions. Celles-ci peuvent se manifester de différentes façons, mais il nous suffit de comprendre celles qui caractérisent le contexte actuel en Tunisie pour bien comprendre pourquoi il est essentiel que les deux politiques, monétaire et fiscale, soient conçues ensemble et simultanément pour assurer leur cohérence et leur harmonie.
Arbitrage, tensions et nécessité de coordination
Le plein emploi est un état d'équilibre qui nécessite que (i) le niveau de la demande globale(7) donne confiance aux entrepreneurs que s'ils mobilisent toutes les capacités de production existantes, aussi bien le capital physique que le capital humain, leur production trouvera preneurs, et (ii) que cette production, une fois mise sur le marché, soit à un niveau tel qu'elle pourra satisfaire cette demande. C'est donc un état où tout ce qui peut être offert est demandé et tout ce qui est demandé est offert. Quand c'est le cas, le chômage est réduit à un strict minimum et les prix n'auront tendance ni à augmenter (si la demande est plus forte que l'offre), ni à baisser (si la demande tombe en deçà de l'offre)(8).
Les politiques fiscales et monétaires doivent garder une position neutre si l'économie par elle-même semble capable de graviter autour du plein emploi. Elles doivent abandonner cette posture et s'orienter vers une détente (ou un durcissement) pour prévenir le risque que la demande globale soit déficiente (ou qu'elle dépasse la capacité de production de l'économie). Dans le cas où la demande risque d'être déficiente, celle-ci peut être stimulée soit par une baisse des taxes, une augmentation des dépenses publiques, une baisse du taux d'intérêt, ou alors une combinaison de ces trois politiques. Dans tous ces cas, l'augmentation des dépenses qui s'en suit portera non seulement sur les biens produits localement mais aussi sur les biens importés, de sorte que si elle s'avère excessive elle alimentera aussi bien des pressions inflationnistes que des pressions sur l'équilibre externe.Il y a donc toujours un arbitrage délicat à faire entre croissance et emplois d'un côté, et inflation et dés équilibre externe de l'autre.
C'est ici que se manifeste la tension entre politique monétaire et politique fiscale qu'on peut examiner dans le cas d'une expansion excessive des dépenses publiques comme celle que la Tunisie connaît depuis 2011. Deux scénarios sont possiblesselon que la politique monétaire accommode ou non l'expansion fiscale :
• Si la politique monétaire accommode cette expansion, la liquidité additionnelle qu'elle créera empêchera une augmentation du taux d'intérêt(9) et, ce faisant, protègera l'investissement et l'emploi dans le secteur privé, mais ceci risque d'attiser des pressions inflationnistes. Si, par ailleurs, la Banque Centrale décide de ne pas intervenir non plus sur le marché de change, l'augmentation de la demande pour les biens importés entraînerait une dépréciation du taux de change qui alimenterait davantage les pressions inflationnistes. Si, au contraire, elle décide d'intervenir sur le marché de change en vendant ses réserves (au cas où elle en aurait), elle maîtriserait mieux l'inflation par le fait qu'il y aurait plus de biens importés pour satisfaire la demande et que le taux de change ne se déprécierait pas autant, mais évidemment cela fragiliserait l'équilibre externe en creusant le déficit commercial et en diminuant les réserves de change.
• Si la politique monétaire décide de ne pas accommoder l'expansion fiscale, le financement du déficit budgétaire exercera des pressions sur le marché monétaire et augmentera les taux d'intérêt, ce qui pénalisera l'investissement et l'emploi dans le secteur privé. De plus, l'augmentation du coût de l'endettement interne poussera le gouvernement à chercher des prêts à l'étranger. Cet apport en devise permettra de financer un volume d'importation plus grand tout en entraînant une appréciation du taux de change (si la Banque Centrale n'intervient pas pour prévenir une telle appréciation). La pression inflationniste sur le marché des biens domestiques s'en trouvera soulagée. Mais la stabilité des prix dans ce cas sera obtenue à un coût très élevé : une croissance anémique, un creusement du déficit de la balance commerciale et une érosion de la compétitivité du travailleur Tunisien(10).
Ouvrons ici une parenthèse pour dire que c'est au nom de son indépendance et de la poursuite de son mandat que la BCT a laissé le dinar s'apprécier tout au long de 2019, permettant au gouvernement de vendre à bas prix les devises qu'il empruntait à des taux d'intérêt prohibitifs(11) : une combinaison de politique fiscale et monétaire qui ne fait qu'ajouter de l'incohérence à l'ineptie(12). Il est heureux que depuis octobre 2019, la BCT soit revenue sur cette politique irresponsable et qu'elle ait fini par comprendre que face à une expansion excessive des dépenses publiques financée par des prêts étrangers, le moins qu'elle pouvait faire pour limiter les dégâts était de racheter cet excès d'influx de devises pour prévenir une appréciation. Mais le mal avait déjà été fait : le dinar s'est apprécié en termes réels de 18 % de février 2019 à septembre 2020 et cette appréciation ne sera pas facile à corriger. Cet épisode est une bonne illustration des dégâts infligés à l'économie quand l'indépendance de la banque centrale est comprise comme indépendance vis-à-vis du gouvernement.
Que cachent ces tensions ?
Pour revenir à la question théorique des tensions entre politique fiscale et politique monétaire, il faut savoir qu'une expansion fiscale excessive n'est rien d'autre qu'une distribution de revenus sans contrepartie, par exemple une augmentation de salaires non justifiée par une augmentation parallèle de la productivité, des recrutements dans un service public qui est déjà pléthorique, desmarchés de l'Etat octroyés à des hommes d'affaires politiquement connectés, qui facturent le double du coût, etc.
Quand le travail improductif des uns est rémunéré, c'est le travail honnête des autres qui est pénalisé ; il n'y a nulle magie pour faire autrement. Dans le premier scenario où la politique monétaire accommodatrice laisse l'expansion fiscale se traduire en inflation, c'est la génération des travailleurs productifs d'hier et d'aujourd'hui qui sont pénalisés à travers l'érosion de leur pouvoir d'achat (et de la valeur de leur avoirs financiers) par l'inflation, l'inflation étant le moyen de leur soustraire une partie de ce qu'ils ont produit et de la donner à ceux qui les parasitent. Dans le deuxième scenario où un durcissement de la politique monétaire face à l'expansion fiscale contient l'inflation mais élève les taux d'intérêtset augmente l'endettement externe, c'est,d'une part, la génération d'aujourd'hui qui paie sous forme de chômage et, d'autre part, la génération de demain quand elle aura à rembourser la dette.
Indépendance vis-à-vis du gouvernement ou indépendance au sein du gouvernement ?
Ceux qui conçoivent et défendent l'idée que l'indépendance de la Banque Centrale est synonyme d'indépendance vis-à-vis du gouvernement et qui insistent pour dire que le mandat essentiel de la Banque Centrale est de stabiliser les prix, ceux-là choisiront toujours de resserrer la politique monétaire pour combattre l'inflation, advienne que pourra. Ils font donc un choix, au nom de la société, que ceux qui subiront le coût d'une expansion fiscale excessive seront les travailleurs d'aujourd'hui qui ne trouveront pas de travailet les générations de futurs travailleurs qui auront à rembourser la dette. Si l'on demandait à ces victimes désignées d'office leur opinion, elles auraient raison de protester. Si la malédiction d'un tel fardeau est notre sort, il est raisonnable qu'il soit partagé plus équitablement.
L'indépendance, bien conçue, est une indépendance au sein du gouvernement qui consiste essentiellement à donner à la Banque Centrale la tâche de juger de l'orientation de la politique monétaire, de même qu'elle donne au ministère des Finances la tâche de juger de l'orientation de la politique fiscale, mais elles les invitent toutes les deux à coordonner leurs jugements et leurs actions. Sans cette coordination, ces politiques perdent de leur efficacité et de leur efficience et les arbitrages faits séparément par chacune d'elles ne sont pas de nature à produire le meilleur arbitrage pour la société. Dans un Etat compétent et engagé au service de l'intérêt public il ne saurait y avoir d'indépendance des différents organes de l'Etat les uns vis-à-vis des autres, mais une division du travail qui exploite les gains provenant de la spécialisation pour maximiser le bien-êtregénéral. En Tunisie, aujourd'hui, la tâche primordiale est de reconstruire un tel Etat.
Rakia Moalla-Fetini
Ancienne chef de mission au FMI
(1) https://www.bct.gov.tn/bct/siteprod/actualites.jsp?id=762
(2) Ces statuts interdissent à la BCT d'acheter des bons du trésor sur le marché primaire mais, bien évidemment, ne lui interdissent pas d'intervenir sur le marché secondaire pour augmenter ou réduire la liquidité. La différence est marginale et ne saurait être l'élément essentiel dans ces statuts. La question est ailleurs, comme se propose de le démontrer cet article.
(3) Ceci n'est pas toujours le cas. Aux Etats Unis par exemple, la banque centrale est un consortium de banques privées ; en Europe la banque centrale Européenne n'appartient aux Etats membres de la zone euro qu'indirectement, et en Angleterre, la Banque d'Angleterre qui avait commencé à jouer le rôle de banque centrale depuis la moitie du 19 ieme siècle n'a été nationalisée qu'après la deuxième guerre mondiale.
(4) Voir l'article que j'avais écrit à ce sujet sur les colonnes de ce journal le 21 Août 2016.
(5) Ceci est le cas dans tous les pays qui, comme la Tunisie, ont adoptés un régime de taux de change flexible.
(6) Le rôle que peut jouer la politique monétaire pour promouvoir le développement dans le long terme milite lui aussi en faveur d'une indépendance au sein du gouvernement. On reporte cette discussion à plus tard.
(7) La demande globale est le niveau des dépenses publiques, privées, et celles du reste du monde sur les biens domestiques, qu'ils soient des biens de consommation ou des biens d'investissement.
(8) Dans une économie ouverte au commerce avec le reste du monde, la demande globale sur les biens domestiques inclut la demande extérieure (c.a.d. les exportations) et exclu ce qui est dépensé sur les biens étrangers (c.à.d. les importations). C'est là où l'adéquation entre offre et demande doit tenir compte de l'équilibre de la balance de paiements (nous y reviendrons).
(9) En augmentant sa propre demande pour les bons du trésor elle contrera l'augmentation de l'offre de ces bons et, de ce fait, empêchera l'augmentation des taux d'intérêt.
(10) Le renchérissement des biens Tunisiens par rapport aux biens étrangers détournera la demande aussi bien interne qu'externe au profit de ces derniers.
(11) A plus de 7% dans un monde où des investisseurs sont prêts à prêter de l'argent à des taux négatifs.
(12) Voir mes deux articles sur ce sujet : https://www.leaders.com.tn/article/27873-rakia-moalla-fetini-laisser-le-dinar-s-apprecier-est-une-politique-irresponsable
https://www.leaders.com.tn/article/27904-rakia-moalla-fetini-plus-d-eclairage-sur-l-appreciation-du-dinar-la-note-d-analyse-de-la-banque-centrale-de-tunisie


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