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Abdelaziz Kacem: L'intelligentsia ou la ménopause du cogito
Publié dans Leaders le 22 - 10 - 2021

La crise est mondiale, elle est politique, socioéconomique. C'est là son aspect le plus visible, non le plus grave. La crise est plus que jamais socioéducative, socioculturelle. Tous les pays de la planète, par-delà le Covid-19, ont en partage cette tendance au crétinisme. L'Occident en a déjà pris conscience et j'y reviens. Le Tiers-monde, presque émerveillé, s'acharne à développer son sous-développement. Les terres d'islam entretiennent leurs croyances métastasées.
Qu'en est-il de nos compatriotes ? Ils semblent être les seuls terriens à ne voir plus loin que le bout de leur nez. Ils pataugent dans le cloaque de leur microcosme rabougri, avec l'egocentrique conviction que le monde n'a d'yeux que pour nous. Et le monde nous regarde en effet. Il ne s'explique pas pourquoi la greffe démocratique refuse de prendre à nos plants.
À chaque pic de crise, j'entends autour de moi de sempiternelles questions : où sont les intellectuels ? Pourquoi se taisent-ils ? C'est par un sentiment général d'impuissance, quand tous les acteurs sont en faillite, que l'on invoque les forces de l'esprit.
Que peuvent les intellectuels ? Rien ! Qui sont-ils ? Un anachronisme ! Jusqu'à la moitié du XXe siècle, les choses étaient claires. Aujourd'hui, il faut déblayer le champ sémantique. Les intellectuels font partie des élites, celles-ci, désignant ceux qui sont aux commandes dans la société, sont de moins en moins intellectuelles. Elles partageaient naguère un tronc culturel commun qui faisait d'elles des lettrées. Maintenant, les cadres sont culturellement analphabètes et moralement peu fiables. Ce ne sont pas eux qui nous sortiront du labyrinthe.
L'un des théoriciens du concept élitaire, le sociologue franco-italien Vilfredo Pareto (1848-1923), nous avertissait, il y a plus d'un siècle : ces diverses élites, artistique, scientifique, économique, politique, etc., ne sont pas justiciables de catégories morales: elles «n'ont rien d'absolu ; il peut y avoir une élite de brigands, comme une élite de saints»(*). Et cela se passe sous nos yeux.
Les intellectuels, pour s'en distinguer, ont préféré évoluer dans ce qu'ils appellent «l'intelligentsia». Le terme a été forgé par le philosophe polonais Karol Libelt (1807-1875) pour désigner les gens du savoir «ceux qui de leur lumière guident vers la raison», ce qui s'appliquait déjà aux philosophes du siècle des Lumières. Cette classe a toujours aspiré à se présenter comme le seul moteur de l'histoire.
Tout en les craignant, les dirigeants cherchaient leur compagnie. L'intelligentsia russe, dès les années 1890, a œuvré pour des réformes politico-sociales. Cela agaçait tellement l'empereur Nicolas II qu'il s'écria, ayant entendu prononcer le mot d'intelligentsia, lors d'un banquet : «Comme je trouve ce mot répugnant!» Il se targuait d'être aimé par toute la population, à l'exception de ceux qui se réclamaient de cette caste.
En réalité, à toutes les époques, sous toutes les latitudes, le nombre des Socrate mis à mort est incalculable. Les hommes du pouvoir restent soupçonneux à l'égard de tous ceux qui utilisent le calame. On attribue au Cardinal de Richelieu une assertion qui en dit long sur le rapport pouvoir politique-pouvoir des mots : «Qu'on me donne six lignes écrites de la main du plus honnête homme, j'y trouverai de quoi le faire pendre». C'est pour surveiller et occuper les gens de lettres qu'il aurait créé l'Académie. Il y a chez le censeur une sorte de délire interprétatif et la suspicion prenait parfois une tournure, pour le moins, aberrante.
On sait que depuis Apollinaire, nombre de poètes ont aboli la ponctuation dans leurs poèmes. Or, dans un pays satellite de l'Urss, un poète a été contraint, au nom de la raison d'Etat, de rétablir les points et virgules qu'il avait omis dans son recueil. Car la ponctuation est le garde-fou du poème, l'antidote de la polysémie. Dans l'un de ces pays-là, un auteur obligé à modifier son roman eut la malice d'y indiquer : première édition, revue et corrigée.
En Occident toute l'intelligentsia s'inquiète. Tous les spécialistes constatent une baisse sensible du QI. Tous les pays d'Europe, y compris la Grande-Bretagne, surtout la grande Bretagne, ont perdu des points, contrairement à ce que prophétisait le chercheur néo-zélandais James Flynn. Le QI, selon lui, a connu au XXe siècle une hausse sensible, en raison de l'amélioration des conditions sanitaires et de la généralisation de l'éducation et cela allait continuer. Or ce que l'on a appelé l'effet Flynn a commencé à s'inverser, dès la fin du siècle dernier.
La chaîne Arte a diffusé, en novembre 2017, un documentaire alarmant, intitulé «Demain tous crétins». Edward Dutton, de l'Ulster Institute for Social Research, Royaume-Uni, le dit sans ambages «Nous devenons de plus en plus stupides, ça se passe maintenant et cela ne va pas s'arrêter».
Pour sa part, le Pr Didier Raoult publie dans l'hebdomadaire Le Point du 24 juin 2018 une chronique intitulée L'inquiétante baisse de notre QI. Il s'agit là d'un crétinisme qu'il attribue aux effets désastreux de deux éléments.
«La visualisation massive des écrans entraîne des modifications cérébrales visibles, avec une diminution de l'épaisseur de la matière grise dans certaines zones du cortex, en particulier celle liée à la communication interhumaine et celle liée à la compréhension […] Une majorité des jeunes regardent des écrans plus de six heures par jour.» Il appelle à la motivation à la lecture. Celle-ci «entraîne des réseaux neuronaux multiples et augmente l'intelligence».
N'est-ce pas une baisse du QI qui a été à la base de l'élection d'un Trump aux Etats-Unis, ou d'un bondieusard comme Tony Blair en Angleterre ? En France, après la disparition des grands maîtres-à-penser de l'Hexagone, comment expliquer l'ascension d'un chroniqueur aussi haineux que Zemmour, qui se déplace avec des gardes du corps et qui s'apprête aux élections présidentielles ?
Les facteurs favorisant le crétinisme en Occident sont plus dévastateurs ailleurs. Le développement de la matière grise de tout un chacun, «Al madda ach-chakhma», c'était le leitmotiv du président Bourguiba. Où en est-on ? Dix ans de liberté d'expression n'ont pas révélé un seul charisme. Quand des députés attribuent à Churchill ce que disait Ibn Khaldoun, cela prouve qu'ils ne connaissent ni l'un ni l'autre. Et c'est à ces gens-là que les médias font appel, pour mieux abêtir la jeunesse.
Moi, je fais partie d'une intelligentsia de plus en plus clairsemée, de plus en plus malheureuse. Et me vient à l'esprit le grand poète et dramaturge allemand, Bertolt Brecht. Peu avant sa mort, lassé du nazisme, puis du capitalisme, ensuite du socialisme, il a légué à la postérité, pour qu'elle les médite et en tire la leçon, quelques vers, sous le titre banal de Changement de roue. Pendant que le chauffeur change la roue crevée, le poète «assis au revers du fossé» rumine son désabusement :
Je n'aime pas le pays d'où je viens
Je n'aime pas le pays où je vais
Qu'est-ce qui fait que j'attends ce changement de roue
Avec impatience
Jamais simplicité d'expression n'aura été aussi lourde de sens. L'impatience du poète au plus fort du renoncement et de l'amertume est d'un optimisme singulier. En détestant l'ici et l'ailleurs, le poète devenu vieux, incapable de reconstruire le monde, nous invite instamment à cette grande entreprise avec, pour matériaux, les mots de toujours et de tous les jours. Ne pas rester en panne, changer la roue quand même, continuer sa route, ne serait-ce que pour tourner en rond.
Qui voudra m'aider à changer ma roue ?


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