Jalal El Mokh vient de signer un nouveau recueil de poésie ayant pour titre « Khoudh Al Kassid Bi Kowa », titre de type prescriptif pour lequel nous avons choisi comme traduction « On ne badine pas avec la poésie » en préservant sa qualité prescriptive qui exige une concentration et une attention particulières de la part du lecteur pour décoder le sens profond des poèmes. Auteur d'une vingtaine de livres, entre prose et poésie, Jalal est déjà à son dixième recueil de poèmes, dont quatre en langue française. Dans ce nouveau recueil, le poète semble sortir des sentiers battus où la poésie est faite pour se distraire, rêver et s'évader, il nous invite ici, au contraire, à penser, à raisonner, à méditer sur le sort de l'homme et le devenir du monde. Aussi peut-on y trouver toutes les préoccupations sociales, politiques et philosophiques d'un poète engagé dans un combat pour l'amélioration de l'état des choses, sans que, pour autant, les sentiments personnels ou les passions lyriques passent inaperçus. Le recueil renferme douze poèmes assez longs qui font l'éloge des anciennes mythologies et divinités en abordant des thèmes bien chers au poète, à savoir l'engagement pour les causes justes, la liberté, la dignité et le salut de l'humanité. Ce recours aux mythes et aux légendes n'est pas arbitraire pour le poète qui nous disait : « On ne saurait comprendre le monde actuel sans puiser dans les anciennes mythologies et les personnages divins qui portent des valeurs universelles... » En effet, à l'image de plusieurs poètes dans ce monde, Jalal El Mokh, pense que ces divinités ont toujours été les sources inspiratrices du génie des poètes et des écrivains à travers les époques et qu'elles ont toujours leur place, même dans notre monde actuel. Dans ce poème de onze pages, intitulé « Dyhia à son apogée », il est question d'un personnage légendaire (El Kahina), cette femme berbère, insoumise et charismatique, qui a presque changé le cours de l'Histoire en freinant l'avancée des arabes omeyyades lors de l'expédition islamique en Afrique du Nord, au VIIe siècle. Le poète a préféré cette appellation « Dyhia » qui veut dire en berbère « Belle gazelle » à celle de « El Kahina », nom péjoratif et dévalorisant donné par les conquérants arabes à cette héroïne qui les a humiliés ! Le poète rend hommage à cette femme guerrière en décrivant sa fabuleuse épopée et son destin tragique, la considérant comme l'une des premières femmes féministes de l'Histoire à lutter contre les hommes. Le poète fait l'éloge de cette femme qui a fait preuve de courage, d'héroïsme et de patriotisme, mais qui fut victime d'une version historique erronée et que le poète voudrait corriger, histoire de rendre à César ce qui appartient à César. Le poème « L'arche d'Homère » s'est inspiré de deux légendes, l'une religieuse renvoyant à l'arche de Noé, ce prophète qui fabriqua son arche pour échapper au déluge et se sauver avec ses disciples pour éviter la méchanceté et la perversité des mécréants ; l'autre est d'origine grecque, le grand poète légendaire Homère. Cependant, au lieu d'embarquer sur son arche des hommes et des animaux, comme Noé, Homère construisit une arche pour y transporter tous les livres, toutes les œuvres littéraires et toutes les créations artistiques et intellectuelles qui existaient sur terre pour les sauver de la médiocrité qui sévissait à son époque. Le poème est forgé sous forme d'une métaphore filée qui relie entre deux histoires dont l'élément commun est l'idée de faire un acte de sauvetage. Dans un autre poème intitulé « L'homme des cavernes », le poète, qui s'exprime à la première personne, incarne la personnalité de l'homme de Neandertal en s'imaginant être un homme primitif vivant dans sa grotte libre, sobre, simple, naturel, paisible et heureux, menant une vie facile et spontanée et non corrompue, durant des milliers de siècles, sans jamais se plaindre de sa condition, jusqu'au jour où il fut envahi par des hommes dits « civilisés » qui lui usurpèrent sa cave et y installèrent une autre forme de vie. Il fut ainsi obligé de quitter sa cave pour suivre, à son corps défendant, le nouveau rythme de vie dicté par les envahisseurs. C'est alors que s'installèrent tous les maux et tous les vices, des guerres et des conflits dans le monde. Cela rappelle, peut-être, la thèse de J.J. Rousseau qui démontre que tout le bien vient de la nature et que tout le mal vient de la société. En effet, l'homme était vertueux à l'origine ; la société l'a entrainé dans le vice. C'est que les hommes de Neandertal étaient libres et égaux, ils suivaient leurs instincts et étaient animés par un sentiment de pitié qui les disposait à la bienveillance en connaissant ainsi des plaisirs simples. Le poète finit ainsi son poème : « Je suis le Neandertal, l'homme primitif/Qui revient après sa distinction/Je renouvelle l'expérience à contre cœur/Peut-être qu'une Humanité renaisse de nouveau/ Que mes pas guideraient vers d'autres destins/... « Mosaïque du sang » est un autre poème de onze pages qui relate le crime terroriste perpétré l'année dernière au musée du Bardo. Le poète visite le musée après cet attentat où il retrouve les statues et les mosaïques encore sidérées par l'agression terroriste commise contre elles, contre l'histoire, la culture, l'art, la civilisation. Il s'attarde alors devant chaque œuvre d'art exposé dans ce musée pour la décrire minutieusement, glorifiant les illustres personnages légendaires qui y figurent. Il imagine le musée plein de visiteurs, venus des quatre coins du monde contempler notre histoire, notre civilisation, à travers ces belles œuvres d'art qui étaient là, debout, solennelles et imperturbables, et qui ont été surprises par les tirs de Kalachnikov et l'effusion du sang. Le poème finit sur un ton optimiste : l'art, la culture et la créativité demeurent à jamais et donneront un sens à notre vie, sans jamais fléchir devant le terrorisme. Cet album de poésie consiste en un périple dans l'histoire de l'humanité qui fait pourtant allusion aux temps actuels. Ces textes poétiques abondent en métaphores et en images évocatrices où les vers sont bien rythmés. Le vocabulaire est plutôt recherché, employé dans une langue arabe classique très affinée, ponctuée par des mots ou des expressions coraniques. Le tout constitue une véritable orfèvrerie en matière de poésie.