Béchir Khraïef né à Nefta, en 1917. Etudes au Lycée Alaoui, à Tunis, puis à El-Attarine, diplômé en traduction et littérature françaises, Béchir Khraïef a été commerçant, enseignant, fonctionnaire culturel. Romancier, nouvelliste, dramaturge, son œuvre romanesque constitue un pilier majeur de la narration tunisienne, dans ses préoccupations linguistiques, comme historiques. Il décède en 1983. Parmi ses œuvres: Barg-el-lil, 1961 ; Régime de dattes, 1969 ; Bouquet de jasmin, 1971; Hobbak Darbani 1980; Bellara, (posthume), 1992. (Beit-Al-Hikma). La Nouvelle Il y avait dans l'une des villes de l'Andalousie, un brillant torero, devenu célèbre par son excellence dans le combat contre les taureaux. Il jouait de leurs sentiments et les affaiblissait, peu à peu, jusqu'à ce que l'un d'eux se soumette et cueille sa mort. Son nom drainait les amateurs de ce sport, des coins reculés du pays, de longues semaines avant le combat. La discussion autour de lui occupait les soirées, tout le long de cette période. Lors de l'un de ces combats, tous les gradins furent occupés et le stade bien rempli. La reine prit place dans la tribune d'honneur et ordonna le début de la corrida. Le maire de la ville jeta la clef du toril, le torero la récupéra avec son chapeau large, orné. Le torilero souleva le portique, et le taureau s'élança, noir, fuyant l'obscurité et l'étroitesse, avança vers l'arène. On l'avait amené de la campagne, où les taureaux de combat, grandissent libres, tétant leurs mères, jusqu'à s'en passer et vivre leur propre vie, déambulant à travers les pâturages et les bois, parmi les belles femelles. S'accomplit ainsi leur forme et leur muscle devient solide. Dans la fleur de l'âge - c'est-à-dire à six ou sept ans - leur vie heureuse finit dans un combat spectaculaire, après s'être défendu avec orgueil et fierté. Ce taureau avait montré, à l'essai, une fureur et une férocité spéciales devant tout mouvement. Il fut considéré de la meilleure espèce. On le conserva pour ce genre d'excellents combats… Il s'arrêta au milieu de l'arène, respirant la lumière, caressant ses muscles avec sa longue queue, cherchant l'espace et la largeur. Il vit deux cavaliers couverts qui le provoquaient avec leur lance, il n'a pas attendu, recula puis s'élança. Une tempête de poussière se dégagea du cheval, éventré, par-dessus son cavalier, ses boyaux comme des serpents bleus se tordaient par terre. Il a failli labourer le cavalier et le joindre à son cheval, si l'autre cavalier n'avait pas couru et ne s'était pas opposé à lui, il se retint. Pendant qu'il le soulevait avec le cheval entre ses cornes, il réussit à lui donner un coup entre les épaules. Les cavaliers se succédèrent, il terrassa huit de leurs chevaux que les mulets tirèrent à l'extérieur du stade pour en rapiécer ce qu'ils pouvaient. Les cavaliers se retirèrent après lui avoir asséné des coups au garrot, le massacrant et le démolissant. Le tour des toreros pédestres arriva, ils étaient trois. L'un d'eux remua la muleta rouge, il devint fou et la transperça, elle essuya son front, légère et douce. Le torero planta sa lance. Les narines du taureau devinrent plus larges, ses yeux tout blancs, il se déchaîna, devint une boule de nerfs à bout, poursuivant la muleta avec une insistance bestiale stupide, ne voyant qu'elle, attiré par sa couleur rouge, sans faire attention à la personne qui plantait en lui son fer, quatre brindilles pendillaient dans son épaule, son sang coulait avec. Le torero héroïque médita et soupesa les mouvements de l'animal. Quand il le vit ivre de douleur et d'épuisement, soumis à ce qu'on lui imposait comme directions, Il avança… Il avança, svelte, élégant dans sa cape brodée, son pantalon serré, salua le public en se baissant légèrement, un tonnerre d'applaudissements fusa, il se retourna vers son adversaire, à pas sûrs, les mouvements maîtrisés, dans sa main droite, une petite épée tranchante, dans sa gauche, une muleta de soie. Ils se mirent face-à-face: C'est sûr, l'un d'eux, quittera l'arène, mort. Au taureau, la force, à l'homme, l'esprit. Le torero se redressa droit, sans bouger, étendit la muleta de soie, comme une aile rouge, à son côté droit et la remua, la bête l'écorna, elle flotta et fut défaite dans le ciel du stade. Il poursuivit, traçant avec, des croissants, des cercles et des arabesques élégantes, le taureau derrière, la pourchassant, le sang couvrant ses yeux. L'animal fonce dessus, le cavalier lève son bras avec douceur, la muleta touche le taureau, de la tête à la queue, la colère le reprend et ses mouvements deviennent fous, désespérés. Tout entier, il bouge, essoufflé, soufflant. Tout entier, il bouge, sauf son esprit, est absent, en repos. Devant lui, le torero, fixe, immobile, calme, sauf son esprit, éveillé, prêt. Quand le moment du coup fatal arriva, le torero amena le taureau en face de la tribune d'honneur, le fit arriver jusqu'à ce que ses pieds soient au même niveau que les sabots du taureau. Dans sa main gauche, l'épée et la muleta, dans sa main droite, son large chapeau noir. Il se plia devant la reine en lui demandant la permission de donner le coup de grâce, ce qu'elle ordonna. Il jeta le chapeau à l'une des belles et le mouchoir par terre, se mit debout dessus, s'engageant à donner le coup fatal sans quitter son périmètre. Il leva son épée en direction du garrot de l'animal, s'assura de la rencontre, remua la muleta afin que le taureau se lance et vienne en dessous de sa main droite, l'épée s'enfonce entre ses épaules, pénètre son cœur et s'écroule. Le taureau ne bougea pas, regarda l'homme avec des yeux humains, intelligents, ce dernier eut peur… Le taureau était revenu à lui, on se rappelle qu'il avait, par le passé, un esprit mais il fut métamorphosé, pour ce qu'il avait commis dans sa vie humaine. Il ne s'intéressait plus à la muleta rouge mais à son propriétaire, son souffle baissa, ses nerfs se calmèrent. L'esprit de l'homme s'envola de frayeur, il bougea la muleta, avec des mouvements nerveux, vit le taureau sourire, regardant sa poitrine, avec deux cornes meurtrières, il cria: Il a un esprit, il a un esprit! Il jeta la muleta par terre et fit comprendre qu'il ne combattra pas ce taureau, que le jeu est fini et avec lui sa vie sportive. Le maire de la ville accourut vers lui, ainsi que le Comité de fête, lui demandant ce qu'il avait et s'il avait eu peur, il répondit: Oui! Il ajouta : les six tonnes de muscles et de nerfs ne l'auraient pas repoussé, s'il n'avait pas vu un esprit, il les supplia de faire sortir le taureau, en échange de toute sa propre fortune, qui valait 4000 Reals. Ils acquiescèrent et lui demandèrent plus d'explications, Le taureau lui fit un clin d'œil: Allons-y! Ils disparurent à travers les chemins de la montagne en discutant. Machmoum el-Full (Bouquet de jasmin), 1971.