Les diplomates brillants sont souvent d'excellents écrivains. Ils peuvent parfois se révéler être des poètes talentueux. C'est le cas de Mouldi Kéfi dans son nouveau recueil de poèmes intitulé Les cendres rosacées paru aux éditions Leaders. Diplomate de carrière, ancien ambassadeur de Tunisie au Nigeria, en Russie et en Indonésie avant d'être nommé ministre des Affaires étrangères en 2011, il se ressource dans la musique classique, le jeu d'échecs, la lecture et l'écriture. Nouvelliste, romancier et poète, Mouldi Kéfi promène une plume raffinée pour exprimer des sensations fortes. Dans les 34 poèmes du recueil, il traite d'une large variété de thèmes allant de sa région natale du Kef au continent africain, en passant par Bourguiba et d'autres immortels, Sabra et Chatila, des figures marquantes de la résistance palestinienne, et autres. En bonnes feuilles, nous avons choisi son poème intitulé «La Perle Al-Doura». Un poème très significatif comme nous l'explique le poète lui-même. Quand les grands se déchirent dans un couple, ce sont les enfants qui paient les pots cassés. A une échelle plus large et s'agissant de pays et de nations, les petits ne sont pas non plus épargnés lorsque les adultes commencent à s'entretuer. Mais généralement, ils sont ce qu'on appelle des "dommages collatéraux", sauf s'ils sont sciemment et délibérément ciblés. Comme ce fut le cas en cette journée néfaste du 30 septembre 2000 à Nezarim en Palestine occupée. Jamel Al-Doura, tenant par la main son fils Mohamed, âgé seulement de douze ans, se dépêchait de rentrer chez lui, quand soudain une pluie de feu s'abattit sur eux. Les balles fusaient de partout, le père fut blessé, mais l'enfant décéda sur le coup et alla rejoindre les milliers de martyrs palestiniens qui n'en finissent pas de tomber sur le champ d'honneur depuis que leur terre leur a été spoliée, volée et confisquée en 1948. Près de trois ans plus tard, au mois de mars 2003, c'est une jeune juive américaine âgée de 23 printemps qui subira le même sort, mais cette fois-ci écrasée par un bulldozer de l'armée israélienne. Son crime : s'opposer à la démolition des maisons des pauvres hères palestiniens. Dans les deux cas, des sycophantes pharisiens ont essayé de dénaturer la réalité et de masquer la vérité, sans succès. Certains sont allés jusqu'à reprocher à la jeune militante d'être venue de sa lointaine Amérique en Palestine. En poussant plus loin leur raisonnement, on pourrait se demander également ce que ses compatriotes plus âgés étaient venus faire en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale et pourquoi avaient-ils libéré les camps de concentration ? Heureusement que l'écrasante majorité des honnêtes citoyens du monde entier avaient été sidérés, horrifiés par les images insoutenables diffusées par les chaînes de télévision. Révolté par cette odieuse barbarie, j'ai couché sur le papier quelques vers à la mémoire des deux martyrs comme je l'avais fait suite au bombardement de Sakiet Sidi Youssef et au massacre perpétré à Sabra et Chatila. Tels deux joyaux scintillant au firmament, La Perle (Mohamed Addoura) et Le Corail (Rachel Corrie), vous illuminez la voie de l'espoir de voir un jour juifs, musulmans et chrétiens vivre en paix sur la terre qui a vu naître les trois religions monothéistes.» Les cendres rosacées - Poèmes - Du Mohamed Mouldi El Kefi Editions Leaders, 2023, 116 pages, 20 DT Disponible en librairie et sur www.leadersbooks.com.tn Bonnes feuilles La Perle (Al-Doura) Adossé au mur de pierres Couvert de mousse et de lierres Branlant, fissuré et délabré Chancelant, lézardé et incliné Miroir de son propre destin Et celui des Palestiniens Ayant perdu leurs illusions Leurs rêves et leurs chimères De vivre un jour dans leur Etat Etait accroupi ''Jamal Al-Doura '' ! Il sanglotait en silence Acceptant en la maudissant La terrible et injuste sentence Infligée par les '' puissants '' Qui ont exécuté son enfant Exilé ses parents Emprisonné ses frères Rasé sa vieille maison Et confisqué ses terres. Le corps criblé de plomb Venait d'avoir douze ans ! Ses yeux scrutaient le firmament Et le visage cendré de son père Un sourire d'ange narguait, Titillait et énervait Le quarteron monstrueux Aux regards hargneux Qui fulminait et vociférait En s'acharnant sur un pubère Un olivier, une masure et un gueux . Leurs rires sinistres et narquois Leurs gestes vils et sournois Couvraient le bruit assourdissant Des lamentations et des déflagrations La face livide, labourée de sillons Larmes limpides, acides et salées Perles nacrées, finement taillées Aux reflets opalescents et irisés Coulant sur ses joues meurtries Le cœur écorché, les bras dodelinant Il s'efforçait de serrer le corps sans vie De son petit, chétif et frêle garçon Contre sa poitrine blotti. De gros rubis couleur cramoisie Ornaient ses doigts ramollis Les gouttes de sang dégoulinaient Sur son pantalon crasseux et rapiécé. ''Ils'' les avaient cyniquement mis en joue Puis ont commencé à les canarder! ''Ils'' hurlaient comme des loups Par l'odeur du sang alléchés Mais qui sont donc ces fous ? Ont-ils diantre perdu la raison ! Et toute humanité, toute humilité Sont-ils possédés ou juste des démons? Visant à bout portant Un père et son enfant ! Mais d'où viennent-ils ces désaxés? Leurs yeux sont froids et bleus Leurs cheveux blonds et soyeux Des manchots ou des pingouins Egarés en plein désert ! Ou bien des dromadaires Perdus dans le froid sibérien ? Venus de plusieurs contrées Ils ont envahi ce lopin de terre Et par la force illégalement occupé Portés à bout de bras par leurs ''parrains'' Ils ont tué ceux qui y ont toujours vécu En affirmant être le ''peuple élu'' Mais par qui donc ? Pardi ! Nombreuses sont leurs victimes Parmi lesquelles le martyr ''Mohamed Al-Doura '' Dont l'unique et impardonnable crime Etait celui de vouloir demeurer là Sur le sol qui l'a vu naître Ainsi que sa famille et ses ancêtres N'est-il pas un descendant de Sem Aïeul d'Abraham et fils aîné de Noé Dont le berceau et le tombeau Ne peuvent être que Jérusalem Capitale devant l'Eternel De la Palestine ! Avec son esplanade des Mosquées Beau, rare et unique joyau … Leur impitoyable bourreau Aboya des ordres sans broncher A ses phalanges assassines De viser le gosse et de l'achever Le vieux peut être épargné Car il appartient au passé Et pour garder cette rapine Il faut massacrer son avenir Le rayer, le biffer, l'anéantir ! Ce peuple qui rechigne à partir Qui résiste, lutte et s'obstine Malgré les nombreux "Dyr Yassine'' Doit impérativement mourir Là réside la seule issue certaine Et même si cette jeune écervelée Rachel, la juive américaine Viendrait pour les soutenir Les défendre ou les aider Elle ira les rejoindre sous terre Ecrasée par un bulldozer ! Mise en pièces, en charpie Broyée, disloquée, ensevelie Douce et brave Corrie, Ta place est au Paradis ! Assis sur le sol boueux De sa bicoque délétère Suintant la misère Avili, avachi et prostré Abattu, accablé et humilié Par tant de sadisme et de cruauté De barbarie et de brutalité ''Abou Mohamed'' priait Le visage tuméfié tourné Vers le Tout-Puissant : ''Dieu du ciel, Clément Magnanime et Miséricordieux J'implore Votre Pardon Et si, par faiblesse, j'ai péché Accordez-moi Votre Grâce Sinon prenez-moi à sa place Quitte à me damner Pour toute l'éternité Et laissez vivre mon enfant