Alors que les pénuries d'eau tendent à se généraliser dans plusieurs régions du monde, l'ONU alerte, dans un rapport publié le 22 mars 2023, «Une crise mondiale de l'eau est imminente»(1). Où en est la Tunisie? Avec des ressources en eau qui sont inférieures à la moitié du seuil minimum requis pour assurer un développement durable, notre pays est aujourd'hui classé parmi les pays les plus menacés par cette pénurie. Qu'est-ce qu'il convient de faire pour parer à cette menace? Répondre à trois urgences: 1) Donner une priorité absolue à la maintenance de l'infrastructure hydraulique formée par les barrages et leurs interconnexions édifiés, pour l'essentiel, par la Tunisie au lendemain de son indépendance. Beaucoup de ces ouvrages commencent à s'essouffler. Certains sont presque en fin de vie (sous nos climats l'espérance de vie d'un barrage dépasse rarement les 60-70 ans avant l'envasement quasi-total de sa retenue). Un effort budgétaire similaire à celui consenti au lendemain de l'indépendance doit être réservé à partir de cette année pour le renouvellement de l'infrastructure hydraulique. L'ONU préconise de multiplier par 3 le budget alloué à l'infrastructure hydraulique. 2) Garantir la distribution équitable de l'eau potable en procédant à la réhabilitation du réseau de distribution d'eau potable, à l'extension du réseau d'assainissement des eaux usées et à la réutilisation des eaux usées traitées en agriculture. Il est impératif pour réduire les pertes, les casses et ruptures dans la distribution d'eau potable de réserver à la maintenance un budget à la hauteur d'un réseau aussi complexe que celui de la SONEDE qui s'étend sur plus de 158.000 km. 3) Pallier au plus vite au manque de «l'eau, ressource naturelle» à «l'eau, bien industriel» en recourant à l'énergie solaire pour la production de l'eau potable à partir des eaux saumâtres et de l'eau de mer. Avec 1300 km de côtes et des étendues sahariennes sur les ¾ du territoire national qui enregistrent un ensoleillement garanti presqu'à longueur d'année, la Tunisie est en mesure d'être pionnière dans le développement des techniques de dessalement de l'eau de mer en recourant à l'énergie photovoltaïque. Une priorité absolue est à accorder à ce thème par nos institutions de recherche. Le potentiel scientifique tunisien est en mesure de relever le défi. À titre d'exemple, on peut citer la jeune start-up tunisienne qui a développé Kumulus, une machine qui transforme l'air en eau potable.(2) La Tunisie pionnière dans la gestion de ses ressources en eau La Tunisie a marqué l'histoire de l'humanité en étant pionnière dans le domaine de l'eau depuis l'antiquité à ce jour, comme en attestent les infrastructures hydrauliques alimentant la cité de Carthage, les piscines aghlabides de Kairouan, les systèmes de distribution d'eau dans les oasis du Djérid établis par Ibn Echabatt, le premier ingénieur hydraulicien des temps modernes et le premier juriste de l'eau qui a établi le cadastre de l'eau au Djérid(3). La Tunisie au lendemain de son indépendance a donné la priorité à la mobilisation de ses ressources en eau dans le cadre de plans directeurs relatifs au Nord, au Centre et au Sud du pays. Ceux-ci ont été relayés dès la fin du XXème siècle par les stratégies décennales de mobilisation des ressources en eau 1991-2000, 2001-2010, 2011-2020, 2021-2030 dans lesquelles mon collègue et ami Ameur Horchani, un autre hydraulicien du Djérid qui nous a quittés le 5 août 2021, joua un rôle essentiel(4). L'étude stratégique sur l'eau 2050 vient d'être clôturée. Son plan opérationnel doit démarrer sans attendre. La Tunisie est plus que jamais tenue à rester pionnière dans le domaine de l'eau. La Tunisie serait-elle aussi pionnière dans l'instauration d'une journée nationale de l'eau? Fidèles au caractère sacré de l'eau dans notre culture et fidèles à la mémoire de nos anciens qui, par une gestion rigoureuse de cette ressource, nous ont garanti, malgré l'aridité de notre climat, la sécurité hydraulique depuis l'apparition de la vie sur cette terre à ce jour, nous serions bien avisés de commémorer une journée nationale de l'eau le 5 août de chaque année, sachant que le mois d'août est le mois qui clôture l'année hydrologique. Ce serait le rendez-vous annuel pour les spécialistes qui sont chargés d'évaluer, en cette étape, l'avancement de la stratégie Eau 2050 et d'y apporter les éventuels rectificatifs pour l'adapter à la dynamique du changement climatique en cours. Ce serait également l'occasion d'évaluer l'avancement des différentes unités de la recherche scientifique qui travaillent dans ce domaine. Cette journée permettrait aussi de mobiliser les médias pour sensibiliser la nation entière sur le caractère vital de cette ressource. Mettre l'accent sur l'économie de l'eau et sa bonne gouvernance sont désormais des impératifs incontournables. Il y va du développement durable de la Tunisie et de la pérennité de la vie sur cette terre. Chadli Laroussi Professeur des Universités
