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Ammar Mahjoubi: Cité de Dieu et cité séculière
Publié dans Leaders le 21 - 11 - 2023

Avant Constantin, dans l'antique cité païenne, une grande cohésion caractérisait les rapports sociaux. La politique et la vie sociale, ainsi que la religion et la culture constituaient un ensemble solidaire. Seuls les chrétiens avaient rompu cette unité en se disant eux-mêmes étrangers dans la cité : ce fut l'une des causes de leur persécution. Mais depuis Constantin et avec «la paix de l'église», des rapports paisibles entre la cité et l'Eglise finirent par s'établir. Se mit en place une coexistence pacifique. Pourtant, les deux entités demeuraient profondément distinctes, et même lorsque le christianisme devint, à partir du règne de Théodose, la religion officielle et quasi-obligatoire de l'Empire, il ne réussit guère à constituer un ciment civique comparable à celui qu'avait instauré auparavant l'attachement au culte de Rome. Le droit et les institutions aussi bien que l'éducation et la culture lui restaient totalement étrangers et les Pères de l'Eglise n'arrêtaient pas de blâmer les fêtes et les divertissements traditionnels de la communauté urbaine: «Deux cités coexistaient de fait dans une ville africaine au temps de Saint Augustin», constatait C. Lepelley dans son étude des cités romano-africaines du Bas-Empire.
Le changement fut autrement plus imposant durant le premier tiers du Ve siècle. Provoquées par les mesures anti-païennes de Théodose et de ses fils, puis, à partir de 411, par la déroute du Donatisme, les conversions massives et plus ou moins sincères au christianisme amenèrent l'instauration d'une unanimité nouvelle autour du catholicisme triomphant. L'Eglise, enrichie par les legs, se constitua un vaste patrimoine et les évêques, disposant de ressources importantes, devinrent de véritables notables ; leur ascendant ne cessa de croître et de s'imposer aux autorités civiles. Parmi eux, nombreux étaient d'ailleurs ceux qui étaient beaucoup moins sensibles qu'Augustin à l'opposition radicale entre l'idéal civique et l'idéal chrétien. Seul un intellectuel de la taille de l'évêque d'Hippone pouvait si brillamment démontrer la relation antinomique entre ces idéaux. Au prix de concessions mutuelles, les deux pouvoirs du civil et du spirituel étaient cependant, à cette époque, en voie de réaliser l'unité morale de la communauté. En bref : la chrétienté était en vue. Mais l'invasion vandale interrompit le processus, et une haine partagée réunit, contre l'envahisseur germanique et arien, aussi bien les adeptes de la foi catholique que les fervents défenseurs de l'idéal civique romano-africain.
Le paganisme, cependant, restait actif et la mentalité païenne, persistante au témoignage d'Augustin, réussit à conserver à Carthage l'usage de l'ancien temple de Caelestis que les chrétiens avaient transformé en église. Mais après avoir vécu à une époque où le christianisme était resté une réalité relativement marginale, Augustin tira avantage de cette tendance à l'unanimité religieuse chrétienne au point d'accepter, et même de juger souhaitables les mesures de répression et de coercition religieuse décidées par le pouvoir impérial. Cela ne l'amena pas cependant à modifier sa position sur les rapports de l'Eglise et de l'Etat, et sur leurs fonctions respectives, dans La cité de Dieu, qu'il écrivit de 411 à 425. Son intention, dans ce grand ouvrage, était d'expliquer à ses contemporains traumatisés par les malheurs qui s'abattaient sur l'Empire, par les invasions barbares et par la prise de Rome par les Wisigoths d'Alaric, que le Royaume de Dieu ne saurait se confondre avec un Etat ou une société humaine - le dessein de Dieu transcende en effet l'histoire humaine et la compréhension limitée que nous pouvons avoir du devenir humain.La correspondance d'Augustin montre que nombre de païens restaient fidèles aux valeurs et à l'idéal de la cité antique. Pour Maxime de Madaure (M'daourouch, près de la frontière tuniso-algérienne), «le forum de la cité possédait la présence des forces divines salutaire», tandis que Nectarius de Calama (Guelma) considérait toujours, en bon lecteur du Songe de Scipion de Cicéron, que les bons serviteurs de la cité terrestre étaient récompensés, après leur mort, par un accueil à la cité céleste et vivaient avec Dieu. Tous deux discernaient la grave carence du christianisme : ils avaient compris l'impossibilité à laquelle il se confrontait, celle d'intégrer le patriotisme et les valeurs civiques. Ceux-ci caractérisaient l'idéal de la cité antique, et étaient surtout étroitement mêlés à la religion traditionnelle.
L'attitude chrétienne, beaucoup plus ambiguë, possédait, comme l'affirme Henri Marrou, «une structure bipolaire»; elle était déchirée entre deux fidélités, toutes deux exigeantes mais contradictoires. Contradiction entre la fidélité, indéfectible à la cité de Dieu et celle, nettement moins claire, à la cité terrestre. Ceci valait tant au niveau du patriotisme municipal, exalté par Nectarius, qu'au niveau de l'Empire, seul envisagé par Augustin dans La cité de Dieu. Pourtant, il n'avait jamais approché le pouvoir impérial, contrairement à Ambroise de Milan, et c'est dans le cadre municipal des cités romano-africaines qu'il avait acquis toute son expérience de la vie publique et sociale. Mais rares, dans La cité de Dieu, sont les exemples vécus dans cette expérience. Ses exemples politiques sont ceux de la Rome primitive à l'époque républicaine, avec fort peu de renseignements sur le Bas-Empire et sur le néo-paganisme syncrétiste de la nouvelle religiosité en ce début du cinquième siècle ; alors que la polémique contre le paganisme ne vise que les aspects archaïques de la religion romaine, que Varron n'avait lui-même exposés qu'en antiquaire.
Pour Augustin, la civitas terrena (la cité terrestre), toute à son égoïsme, à son orgueil et à sa volonté de domination, cheminait vers sa perdition, tandis que la civitas Dei, en rassemblant les élus au long de son pèlerinage terrestre, n'aspire qu'à son triomphe eschatologique. L'Eglise, avec ses réalités humaines, ne saurait être cette Cité divine car, en son sein, vivent des pécheurs ; mais l'Etat romain, en prônant des valeurs ordonnées à la cité divine, n'est plus la cité du mal. Les deux cités, ici-bas, sont mêlées, et comme le bon grain se distingue de l'ivraie, le jugement eschatologique permettra d'opérer le tri définitif. Mais Augustin, emporté par la polémique, assimila souvent l'Etat romain à la Babylone maudite et l'Eglise terrestre à la civitas Dei, car le paganisme est intrinsèquement mauvais et diabolique. «Deux amours ont bâti deux cités : l'amour de soi jusqu'au mépris de Dieu a bâti la cité terrestre, l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi a bâti la cité céleste. L'une se glorifie en soi, l'autre dans le Seigneur ; l'une cherche sa gloire dans les hommes. Dieu, témoin de la conscience, est la plus grande gloire de l'autre. L'une, appuyée sur sa propre gloire, redresse sa tête; l'autre dit à son Dieu: ''tu es ma gloire et tu redresses ma tête''. Chez les princes et les nations que l'une s'est soumis, la passion du pouvoir l'emporte ; dans l'autre, tous se font les serviteurs du prochain dans la charité.»
Les moteurs de la cité terrestre, ses agents actifs accumulent l'orgueil et l'amour illusoire de la gloire, la cupidité et la volonté de domination. Passions qui incitent l'ambition des notables, dans la cité, à briguer les fonctions municipales et provinciales, les honneurs locaux et les dignités impériales. Vie locale et réalités africaines qu'Augustin contemplait et qui expliquent sa vision négative de l'action politique. Dans le tome II de son excellente étude des «Cités de l'Afrique romaine au Bas-Empire» (source principale de cet article), C. Lepelley estime qu'il y a une nette parenté entre le système théologique des deux cités et la structure bipolaire observée dans les cités africaines du Bas-Empire. La situation de ces cités paléochrétiennes, empiriquement observée par Augustin, cette dualité de l'infrastructure sociale a donc pu influer sur sa pensée et sur les images qui l'expriment.
«De même qu'Augustin était l'héritier fidèle de la culture et de la rhétorique classiques, il était ici dans la continuité d'une longue tradition chrétienne qui remonte à Saint Paul, celle qui voit dans les chrétiens tendus vers la patrie céleste des étrangers dans ce monde.» Avec les structures sociales et mentales traditionnelles de la cité africaine, les chrétiens ne pouvaient se sentir vraiment citoyens, de plain-pied parfaitement avec l'ensemble du corps social. «Deux siècles après la généralisation de la citoyenneté romaine, Augustin ressuscitait la qualification de ''civitas peregrina'', pour l'appliquer aux chrétiens qui ne pouvaient se sentir citoyens à part entière dans leur cité terrestre.» Qualifier ainsi la cité de Dieu de civitas peregrina voulait dire qu'elle était non seulement voyageuse, en pèlerinage, mais aussi étrangère.


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