A suivre les péripéties du malentendu entre Jazz à Carthage et les Journées musicales de Carthage, on ne peut que déplorer l'hostilité larvée et les tentatives de marginalisation qui sont à l'oeuvre. Pourtant, les responsables de festivals ont un devoir de partenariat et de complémentarité qui, dans ce cas, est mis à mal puisque, sans crier gare, les JMC se sont approprié les dates de Jazz à Carthage. Et dire qu'une année compte 52 semaines... Après notre article sur les rapports heurtés entre Jazz à Carthage et les Journées musicales de Carthage (JMC) et la publication sur ces mêmes colonnes d'un entretien avec Hamdi Makhlouf, le directeur des JMC, la question du chevauchement de ces deux festivals musicaux continue à faire couler de l'encre. En effet, Mourad Mathari, directeur et fondateur de Jazz à Carthage vient de nous contacter pour apporter quelques précisions. Les précisions de Mourad Mathari Ces deux manifestations musicales doivent se dérouler quasiment aux mêmes dates, au mois d'avril prochain, ce qui de toute évidence peut susciter des craintes en ce qui concerne le bon déroulement de chacun des festivals dans le respect de l'autre. Si Jazz à Carthage occupe ce créneau du calendrier depuis 11 ans, les JMC qui en sont à leur troisième édition, ont aussi choisi d'occuper ces mêmes dates, sans se soucier de l'antériorité de Jazz à Carthage. A ce propos, Mourad Mathari souligne les conséquences, selon lui, de ce chevauchement des dates et son bien-fondé. Il affirme ainsi: "Insister sur le caractère culturel des JMC et justifier l'impossibilité de les décaler au nom de ce caractère sous-entendrait que Jazz à Carthage n'est pas un événement culturel. Toutefois, ce caractère culturel lui a été accordé par le Ministère des Affaires culturelles depuis 2005 et renouvelé chaque année par ce même ministère. Ainsi, essayer de différencier les JMC et Jazz à Carthage en se basant sur le critère culturel ne fait justement que reproduire le schéma de suprématie des événements culturels étatiques - surprotégés et soutenus - sur les événements culturels privés, surtaxés et entravés". Mourad Mathari poursuit son argumentaire en indiquant que: "Si Jazz à Carthage a choisi la deuxième semaine d'avril - et ce depuis plus de onze ans -, c'est que c'est ce créneau qui lui est le mieux adapté. Décaler le festival n'est pas une option envisageable pour Jazz à Carthage car c'est lié à d'autres festivals internationaux, à la disponibilité des espaces et celles des équipes". La situation ressemble fort à un dialogue de sourds et, sans prendre parti, il est clair que l'antériorité plaide en faveur de Jazz à Carthage alors que les JMC auraient aisément pu choisir n'importe quelle autre semaine du calendrier y compris durant le mois d'avril. Selon de nombreux observateurs, il y aurait anguille sous roche et du non-dit qui pourrait motiver l'acharnement des JMC à déloger Jazz à Carthage de ses dates habituelles. Plus symptomatique, il est un fait que Jazz à Carthage est actuellement en difficulté, que l'édition 2017 de ce festival pourrait ne pas avoir lieu, que les sponsors se font rares. Toutefois, l'éthique culturelle la plus élémentaire commande de ne pas tirer sur les ambulances et a fortiori de ne pas pousser vers le gouffre une entreprise culturelle en difficulté. C'est, selon notre modeste appréciation, à ce niveau que le bât blesse et que la direction des JMC conjugue faute morale, entêtement et manque d'élégance. Pourquoi s'acharner contre un festival considéré à tort comme concurrent, au point de vouloir lui "piquer" ses dates tout en poussant des cris d'orfraie dès que quelqu'un s'aventure à en faire la remarque? Pourquoi deux manifestations musicales en arrivent-elles à ce point de rupture de dialogue? Le rôle du service public est-il de contribuer à torpiller les initiatives privées? En ce qui nous concerne, et toujours sans prendre parti, les faits sont têtus et ce sont clairement les JMC qui ont adopté une démarche hostile. Une anomalie regrettable en attendant le retour du respect mutuel Il est temps pour les deux festivals de trouver un modus vivendi et reprendre le dialogue même si les carottes semblent cuites pour les éditions 2017 de ces deux manifestations car les programmes ont été publiés et dans certains cas, les contrats probablement signés. Il n'en reste pas moins qu'étant donné la rareté des festivals de musique contemporaine, c'est un crève-coeur de constater que les combats de coqs tiennent lieu de partenariat culturel. Pendant ce temps, le public est désorienté devant cette impasse même si Mourad Mathari concède dans sa correspondance que: "Il est vrai que dans une certaine mesure les deux événements n'ont pas le même public-cible. Cependant, les spectacles proposés sur l'une ou l'autre scène peuvent attirer un même public, le clivage entre les styles musicaux n'étant pas si hermétique". Remarques pertinentes, certes, mais qui ne font malheureusement rien avancer. En effet, il est triste de constater que sur les 52 semaines que compte une année, les JMC ont choisi, contre toute logique et toute cordialité, la seule semaine durant laquelle se déroule un festival de musique contemporaine pour choisir leurs dates. Il s'agit ici non seulement d'une anomalie regrettable mais aussi d'un manquement à l'éthique. C'est là notre point de vue de médiateur et, tout en étant ouvert à la discussion, nous ne pouvons que déplorer l'OPA hostile d'un festival sur un autre. Ceci car nous croyons en la culture et en la nécessité pour les acteurs dans ce domaine d'accorder leurs violons dans le respect mutuel et celui des attentes du public.