Au mépris de la logique et des publics, deux festivals de musique auront lieu la même semaine en avril prochain. Malgré son antériorité, "Jazz à Carthage" est mis en échec par les JMC. Pour les uns, il s'agit de concurrence déloyale voire de sabotage pur et simple et pour les autres d'envergure différente des deux manifestations. De quoi faire fuir les sponsors et couvrir le secteur de ridicule... Véritable battant, pleinement engagé dans la promotion culturelle, Mourad Mathari est un des animateurs incontestables de la scène musicale tunisienne. Le blues des imprésarios face à leur tutelle Déjà dans les années 80, il fondait l'association tunisienne des danses artistiques et sportives (ASDAS) puis confirmait en créant quelque temps après les festivals "Jazz à Carthage" et "Mûsiqat". Ce promoteur privé dans le domaine culturel a ainsi contribué à mettre en valeur la musique jazz très appréciée des Tunisiens et aussi les musiques du monde en multipliant les rencontres avec les artistes de toutes traditions. Mathari et ses équipes n'ont jamais reçu de cadeaux de la part du ministère de la Culture. Au contraire, les passes d'armes et les polémiques entre celui qui est perçu comme seulement un imprésario et la tutelle ont souvent été la règle. Ce fut surtout le cas lors de l'organisation des festivals d'été et Mathari a souvent dénoncé les mesures léonines qui entravent le travail des promoteurs de spectacles et les mettent indirectement en concurrence avec les pouvoirs publics, eux-mêmes organisateurs de festivals, selon des règles qu'ils édictent au grand dam des professionnels du secteur. D'ailleurs, quasiment tous les imprésarios dénoncent cette concurrence du ministère de la Culture qu'ils jugent déloyale. A tout le moins, ils souhaitent que leur tutelle, lorsqu'elle agit en tant qu'organisatrice de spectacles le fasse dans la transparence et le respect des procédures qui sont appliquées aux professionnels. Cette discussion qui renait à chaque festival n'est pas près de connaitre un terme tant que le ministère de la Culture continuera à organiser ces festivals. Quant aux professionnels, nombre d'entre eux exigent que ces festivals soient organisés par des établissements publics spécialisés ou des associations. Un chevauchement inattendu et pourtant évitable Un énième malentendu est en passe d'exacerbation avec la perspective en mars de deux festivals musicaux à la même date. En effet, les Journées musicales de Carthage (JMC) qui devaient avoir lieu du 12 au 19 mars ont été reportées un mois plus tard, du 9 au 16 avril. Cette décision a été prise pour des considérations techniques et de visibilité par le ministère de la Culture. Seulement doit se tenir à la même date, "Jazz à Carthage"", une manifestation plus ancienne que les JMC et dont la date est traditionnellement en avril. Organisé par Mourad Mathari, le festival "Jazz à Carthage" se voit ainsi lésé par la nouvelle niche choisie par les JMC dans le calendrier. Interrogé à ce propos, Hamdi Makhlouf, le directeur des JMC, a affirmé dans un entretien à la presse tunisienne que ce chevauchement " ne dérangeait pas puisque les deux manifestations sont de différentes envergures, mais ce serait vraiment bien si l'organisateur de "Jazz à Carthage", lui aussi, décale un peu sa manifestation à partir de l'an prochain vers la troisième semaine du mois d'avril par exemple. Je pense que ça ne poserait pas de problèmes à Jazz à Carthage". Les règles d'une concurrence loyale sont-elles respectées? Evidemment, ce "pousse-toi que je m'y mette" avait toutes les chances de recevoir un accueil mitigé de la part des organisateurs de Jazz à Carthage... De fait, il aurait été bien plus élégant de se consulter en amont afin de définir un gentlemen's agreement en vue d'un modus vivendi entre le festival antérieur et celui plus récent qui a pour avantage d'être financé à fonds perdus par le ministère de la Culture. Sans jeter la pierre à quiconque, il est tout de même troublant d'entendre des propos évoquant "l'envergure" de chacun de ces festivals dans la bouche d'un chargé de mission au nom des pouvoirs publics. Au delà de la programmation, excellente, des deux manifestations, les JMC devraient considérer que les sponsors de Jazz à Carthage risquent de ne plus suivre et atténuer leur soutien à cette manifestation, dans ce nouveau contexte où la visibilité lui sera disputée par un concurrent frontal et direct, même si les JMC éludent cette question. D'autre part, c'est bien le public qui paiera les pots cassés par ce chevauchement mal venu. En effet, pourquoi obliger les spectateurs à choisir l'un ou l'autre, lorsqu'ils désirent aller aux deux sources? Et, d'autre part, sachant que les JMC ont une tradition de quasi-gratuité car relevant du service public, qui ira à Carthage pour une manifestation strictement payante? Est-ce la culture que l'on sert de la sorte? Plus inquiétant encore, les JMC semblent avoir choisi de s'ouvrir davantage encore au...jazz mais sans Carthage. Quelle sera la position de Sonia Mbarek, nouveau ministre de la Culture? Pour troublants qu'ils soient ces indices ne devraient pas nous faire douter de la bonne foi des uns et des autres. Toutefois, il est dommage qu'avec son poids de mastodonte, le secteur public vienne écraser un jeune promoteur et son festival qui tient la route depuis plus d'une décennie. C'est d'ailleurs pour ce faisceau de coïncidences troublantes que plusieurs observateurs soutiennent, à tort selon nous, que le ministère de la Culture voudrait mettre Mourad Mathari à genoux. Au final, qu'en sera-t-il en avril prochain? Quelle sera la réaction du public et quelle sera la position du ministère qui vient de changer de titulaire? Le cœur de Sonia Mbarek penchera-t-il pour "Jazz à Carthage" ou pour les JMC? Les dates actuelles seront-elles confirmées pour les prochaines années? Et, dans ce cas, comment compenser Mourad Mathari, mis en échec par sa tutelle? Encore un imbroglio qui aurait pu facilement être évité...