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La Tunisie, berceau du printemps arabe, est-elle en voie de devenir un «Etat voyou» ?
Publié dans Le Temps le 05 - 04 - 2017

L'expression « Etat voyou » (rogue state) est une expression employée initialement par les dirigeants américains pour designer un Etat qui représente un risque pour la paix. Ainsi, le président Ronald Reagan l'a utilisée dès les années 80 pour qualifier le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi de hors-la-loi. Mais plus généralement, l'expression Etat voyou renvoie à l'idée d'un Etat qui ne respecte pas les lois internationales, organise ou soutient les attentats ou viole les droits les plus élémentaires de l'être humain. Et à ce titre et vers les années 1994, le conseiller américain à la sécurité Anthony Lake a élargi le concept « d' Etat voyou » et l'a qualifié comme étant l'Etat dirigé par les clans qui se maintiennent au pouvoir par répression, ou n'ont pas ou peu de respect pour les droits de l'homme. Plus récemment encore, le premier président de la cour de cassation belge, Jean De Codt , a élargi davantage le concept d' « Etat voyou ». En effet, en mai 2016, et en raison des restrictions budgétaires imposées par le gouvernement belge aux dépenses de l'administration de la justice, cet éminent magistrat s'insurgeait en ces termes : « quel respect donner à l'Etat qui marchande sa fonction la plus archaïque, qui est de rendre la justice. Ce n'est plus un Etat de droit mais un Etat voyou ».
Ainsi, et pour des motifs tirés uniquement des restrictions budgétaires imposées au secteur de la Justice, l'éminent haut magistrat belge a pu qualifier son Etat d' « Etat voyou ». Il est légitime alors de se demander s'il ne faut pas adopter la même qualification dans notre pays lorsque l'Etat se rend coupable de violations graves et manifestes de sa constitution, d'autant plus que celles-ci concernent l'un des piliers essentiels de l'Etat de droit, à savoir le Conseil supérieur de la magistrature.
Cette interrogation est d'autant plus préoccupante qu'elle concerne le domaine très fragile et très sensible de la justice surtout dans le contexte actuel caractérisé par le retour au devant de la scène des hauts commis de l'Etat et autres hommes d'affaires qui n'ont pas été inquiétés pour les crimes qu'ils ont commis. C'est à se demander s'il y' a eu une révolution en Tunisie !
Il faut remarquer, à cet effet, que l' « Etat voyou » veut protéger, en leur assurant l'impunité, ceux qui le servent et qui continuent ou veulent continuer à le servir. Il va donc de soi que la mainmise sur la justice lui permettra à d'assurer cette protection et cette impunité. Cela explique l'acharnement du gouvernement et l'ardeur des blocs majoritaires au parlement et de leurs alliés à vouloir faire adopter un amendement médiocre dans son contenu et violant les principes les plus élémentaires des droits humains. Ce qui leur importe est que le Conseil supérieur de la magistrature(CSM) soit docile et maniable. Et pour s'en rendre compte il suffit d'examiner le contenu de l'amendement et les explications non convaincantes données, lors de sa présentation par la ministre de la justice M. Ghazi Jribi, chargé par le chef du gouvernement de gérer cet épineux dossier. Comment convaincre que la mission confiée au président du parlement ou à l'un de ses assesseurs pour convoquer les membres du CSM à la première réunion ne constitue pas une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs ? D'ailleurs, conscients de cette faiblesse les initiateurs de l'amendement ont pris le soin de préciser que cette procédure n'est susceptible d'aucune voie de recours, violant ainsi l'article 108 de la Constitution.
D'un autre coté, le fait de ramener le quorum des réunions du conseil au tiers, sous prétexte d'introduire plus de souplesse, n'est pas non plus convaincant. Au contraire, cela rend le conseil plus vulnérable. Mais la situation tourne à la dérision quand le ministre a dénié toute valeur juridique à la décision rendue par le Tribunal administratif la veille du vote du projet de loi et ordonnant le sursis à l'exécution de l'ensemble des décisions prises lors de réunions précédentes tenues par certains des membres du Conseil. Or, étant lui-même magistrat, le ministre sait pertinemment que les décisions de justice sont opposables erga omnés donc à tous et que tout acte ou action empêchant leur exécution est interdit par l'article 111 de la Constitution.
En vérité, et on ne le soulignera jamais assez, la crise du CSM est née d'une carence du chef de gouvernent, M. Youssef Chahed, qui s'est abstenu d'exercer les prérogatives qui lui ont été conférées par la loi et ce, en refusant de prendre une position claire et ferme quant aux nominations qui lui ont été proposées depuis novembre 2016 aux postes vacants des hautes fonctions de la magistrature par l'Instance provisoire de supervision de l'ordre judiciaire. C'est purement et simplement une méconnaissance de sa propre compétence qui aurait valu à son auteur, dans d'autres cieux, d'être démis de ses fonctions.
Pour bien comprendre la situation rappelons, qu'après l'élection des membres du CSM en octobre 2016, un différend a surgi entre ses membres : les uns soutenant que le rôle de l'Instance provisoire de supervision de l'ordre judiciaire est terminé et que le Conseil est seul compétent pour prendre les décisions. L'autre groupe soutient, qu'au contraire, cette instance garde ses prérogatives tant que la composition du Conseil n'a pas été achevée par le pourvoi aux postes vacants. Chacun des deux groupes se cantonnant derrière sa position, le gouvernement s'est vu obligé de débloquer la situation en proposant l'amendement de la loi réglementant le CSM. Mais il s'est pris de la mauvaise manière. En effet, le ministre de la justice s'est évertué, aidé par des magistrats de l'ordre administratif qui lui sont entièrement dévoués, à présenter la proposition d'amendement comme seule alternative pour résoudre la crise. Or cette proposition a été largement contestée non seulement par une grande majorité des magistrats à la fois de l'ordre judiciaire, de l'ordre administratif et de l'ordre financier, mais également par une grande partie des composantes de la société civile et d'éminents universitaires spécialistes en droit constitutionnel et en droit administratif, qui ont estimé, à juste titre, que la solution du problème est beaucoup plus simple : elle se déduit logiquement du paragraphe 8 de l'article 148 de la Constitution aux termes duquel l'Instance provisoire de la supervision de l'ordre judiciaire continue à exercer ses fonctions jusqu'à l'achèvement complet de la composition du Conseil. Ils soutiennent que le texte de la Constitution est clair et ne doit faire l'objet d'aucune interprétation en application de la règle de droit bien connue suivant laquelle le texte clair ne s'interprète pas.
En deuxième lieu les articles 106 et 148 de la Constitution répondent à la question que c'est le chef du gouvernement qui est habilité à signer les propositions des nominations aux hautes fonctions de la magistrature puisque le président de la République n'aura cette prérogative qu'après l'achèvement de la composition du CSM et qu'après qu'une loi aura déterminé les hautes fonctions de la magistrature.
La résolution de la crise du Conseil étant ainsi claire puisque incluse dans la Constitution, pourquoi le ministre de la Justice a recouru à une solution inconstitutionnelle largement critiquée ? Plusieurs raisons peuvent être avancées :
La première est que le ministre a voulu couvrir la carence du chef du gouvernement qui n'a ni rejeté ni validé les nominations, aux postes vacants des hautes fonctions de la magistrature, qui répondent aux conditions légales laissant ainsi la situation pourrir et se compliquer de plus en plus pendant plus de quatre mois.
La deuxième raison est d'ordre politique. N'oublions toujours pas ce qui a été signalé plus haut que l' « Etat voyou » assure l'impunité de ceux qui le servent. Pas étonnant donc que le parti d'Ennahdha a cherché, dès le début à avoir un œil sur le CSM. Ceux qui ont suivi le dossier de près savent que des personnalités influentes d'Ennahdha avec la complicité et la bénédiction d'une partie importante du parti de Nidaa Tounès veulent avoir un droit de regard sur le Conseil . Le vote de l'amendement de la loi le régissant a, si besoin est, démontré cette évidence. Les blocs majoritaires au parlement ont utilisé de manière astucieuse la démarche du gouvernement face à la crise du Conseil pour mettre la main sur ce Conseil et par conséquent sur l'appareil judiciaire et la justice. Ce faisant ils ont fait basculer la Tunisie d'un Etat œuvrant à édifier un Etat de droit vers un « Etat voyou ». Ce qui leur permettra d'assurer l'impunité des siens pour les crimes qu'ils ont commis ou peuvent commettre. C'est un antécédent grave et un coup très dur porté à l'édification de l'Etat droit. Et ce n'est que le commencement puisqu'on parle déjà de la remise sur la table de discussion du projet de loi très contesté relatif à la réconciliation économique.
En conclusion, la voie inconstitutionnelle par laquelle le problème du CSM aura été résolu entrainera des répercussions fâcheuses tant sur le plan national que sur le plan international. Ainsi elle pourra être la source sur le plan national d'une grande instabilité en raison du fait que le citoyen l'interprétera comme un message signifiant une justice à double vitesse : une justice obéissant aux instructions pour assurer l'impunité des gens au pouvoir et leurs proches et une justice ferme pour le commun des mortels.
Sur le plan international, les Etats et les instances internationales ne peuvent plus avoir confiance dans un Etat qui viole les droits inclus dans sa Constitution fraîchement adoptée et auront tendances, à l'instar des institutions financières internationales à être, moins enthousiastes à porter leur aide à la Tunisie. D'ailleurs le Comité international des juristes s'est empressé de faire appel au président de la République pour ne pas signer l'amendement tout en demandant au chef du gouvernement de s'en tenir à une application stricte de la Constitution.
Pour leur part, les composantes de la société civile continueront à militer en vue d'une mise en place du CSM dans les plus brefs délais tout en respectant la Constitution et la réglementation en vigueur. Un appel sera fait au président de la République, en sa qualité de garant du respect de la Constitution et de la suprématie de la loi pour ne pas signer l'amendement adopté de la loi régissant le Conseil . De même il sera sensibilisé pour inviter le chef du gouvernement à respecter la loi et signer sans plus tarder les nominations aux postes vacants répondant aux conditions légales. La société civile soutiendra également le recours qui sera intenté par plus d'une trentaine de députés pour inconstitutionnalité dudit amendement tout en espérant que la décision sera rendue, par l'instance provisoire de control de la constitutionnalité des projets de loi, loin de toute influence ou intimidation. Enfin la société civile fera recours, si besoin est, aux instances internationales qui peuvent aider à faire prévaloir la règle de droit. Mais si malgré tout cela les forces du mal finissent par triompher il faut craindre que des jours sombres et des moments difficiles attendent les tunisiens et il faudra donc que les forces vives de la nation se mobilisent pour faire face et lutter contre cette dictature naissante. Et en attendant et en espérant un dénouement rapide et conforme à la Constitution de ce dossier je ne peux m'abstenir de dire honte à tous ceux qui, de mauvaise fois, ont préparé ou aidé ou soutenu et enfin voté cette loi scélérate qui ne pourra que nuire à l'image de notre pays.
A.S.
(*)Avocat à la cour de cassation et président de la Coordination nationale indépendante pour la justice transitionnelle


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