La Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis organise aujourd'hui et demain à Nabeul un atelier de réflexion sur la décentralisation et la gouvernance locale. Cette activité apporte une contribution au débat portant sur les réformes juridiques affectant la gouvernance locale en Tunisie, notamment la nouvelle architecture des institutions, les pouvoirs, les compétences et les ressources des collectivités locales. La décentralisation apparaît aujourd'hui comme une nécessité incontournable qui fait écho aux revendications réclamant lors du soulèvement populaire (décembre 2010-janvier 2011) plus de «liberté», de «dignité» en faveur du citoyen tunisien et revendiquant un équilibre au niveau du développement entre les régions. La Constitution du 27 Janvier 2014 a opté pour une nouvelle organisation fondée sur le principe de la décentralisation dans le respect de l'unité de l'Etat. Ce principe prend forme au travers de trois catégories de collectivités locales tel que mentionné dans le chapitre 7 de la Constitution et plus précisément dans l'article 131 : la municipalité, la région et le district. «Le processus de la décentralisation, avoue Jinan Limam, professeur de droit constitutionnel, est bien engagé dans la perspective de l'organisation des élections municipales prévues pour le 17 décembre 2017 et cela par la généralisation de l'organisation municipale, l'adoption en février 2017 de l'amendement de la loi électorale portant sur les élections municipales et régionales et l'élaboration du projet de Code des collectivités locales (CCL) déposé à l'ARP en mai 2017. Les collectivités locales sont considérées dans le projet comme des acteurs incontournables des dispositifs locaux de développement, suscitant des attentes importantes de la part des citoyens et citoyennes en matière de services et d'infrastructures. Toutefois, on remarque le caractère complexe et incomplet de la répartition des compétences entre les collectivités locales d'une part et l'Etat d'autre part. Le manque de clarté des textes définissant les compétences et régissant l'action des collectivités locales fait craindre le chevauchement des blocs des compétences et la persistance des ambigüités en la matière : Quelles fonctions l'Etat doit-il conserver ? Quelles sont celles à transférer aux différents échelons décentralisés respectifs ? «La réussite de la décentralisation, ajoute Jinan Limam, repose sur le caractère progressif du transfert des compétences. La décentralisation, doit avancer étape par étape en fonction de la capacité administrative, technique et humaine des collectivités locales à prendre en charge de nouvelles tâches et de gérer des ressources financières supplémentaires. Cette capacité est appelée à se renforcer, au cours du temps, d'elle-même grâce à un effet d'apprentissage et par la mise en place d'un système de formation dédié à la fonction publique locale. Face au attentes très élevées de la population, le processus de décentralisation est confronté au manque de moyens financiers et matériels dû principalement à la faiblesse des recettes fiscales qui elles-mêmes sont en partie dues aux restrictions imposées par la désuétude de certaines lois fiscales ; les faiblesses administratives internes qui sont dues notamment à un faible taux d'encadrement du personnel, le manque de ressources humaines et l'absence de formation continue des cadres. La crainte est que la décentralisation et le transfert des compétences aux collectivités locales ne s'accompagnent pas d'un transfert consécutif de ressources. » Impliquer le citoyen «Cette décentralisation « sur le papier », mais sans moyens de mise en œuvre, estime-t-elle, risque d'être décevante pour la population et elle serait perçue, comme une défaillance de l'Etat. En outre, pour en garantir la réussite, la décentralisation doit être mise au service de la réduction des disparités spatiales, économiques et sociales par un meilleur maillage du territoire national et un développement régional plus efficace. Dans ce cadre, le principe de solidarité ainsi que les mécanismes de discrimination positive tels que prévus par la Constitution et le projet du CCL sont fondamentaux. Enfin, la décentralisation et la démocratisation sont deux processus qui s'accompagnent mutuellement. En particulier, la décentralisation a pour corollaire indispensable l'instauration d'une véritable démocratie locale dans la mesure où elle établit la libre administration des collectivités locales par des conseils élus. De cette façon, elle offre aux citoyens une plus grande place dans le processus de formation des décisions publiques qui affectent directement leur vie quotidienne, en exerçant un contrôle a priori et a postériori sur leurs représentants politiques locaux. Cette configuration s'oppose à celle d'un Etat centralisé, jusque-là synonyme d'oppression, qui s'avère être inapte à prendre des mesures considérées localement comme crédibles ou même légitimes. La décentralisation permettra donc d'impliquer les citoyens et la société civile dans un processus participatif dans les affaires locales et régionales par le biais de l'accès à l'information, la consultation, la concertation, la codécision, le référendum, la redevabilité....Toutefois, la perception controversée de la décentralisation demeure problématique dans la mesure où celle-ci suscite à la fois des attentes et des appréhensions. En tant que mode d'administration publique fondée sur une fragmentation des centres décisionnels, la décentralisation permet un rapprochement salutaire entre les décideurs publics et les territoires administrés ce qui est susceptible de renforcer la démocratie locale et l'amélioration des services et infrastructures au niveau local. Par ailleurs, des craintes liées à la mise en œuvre de la décentralisation et la possibilité que cela aboutisse soit à une autonomie de façade, soit que cela amène à l'affaiblissement de l'Etat et la menace de l'unité de l'Etat sont bien fondées » explique-t-elle.