A l'heure où le gouvernement s'échine à mobiliser des financements pour boucler le budget 2017 et semble avoir toutes les peines du monde pour tracer les contours du projet de budget de l'Etat pour l'exercice 2018, un débat à hue et à dia s'est ouvert sur l'épineux dossier de la privatisation des entreprises publiques. C'est Faycel Derbal, un conseiller du président du gouvernement, qui a jeté un pavé dans la mare le 18 juillet dernier en déclarant que la maitrise du déficit budgétaire passe par la privatisation des entreprises publiques «non vitales et non essentielles» comme les banques et la Régie nationale des tabacs et des allumettes (RNTA) ainsi que la cession des biens immobiliers et des sociétés confisquées au clan Ben Ali. Il n'en fallait pas plus pour les chantres du libéralisme économique de tous bords pour plaider pour le désengagement de l'Etat du secteur productif. L'Union Tunisienne de l'Industrie, du Commerce et de l'Artisanat (UTICA) et la Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie (CONECT) ont sauté sur l'occasion pour presser le gouvernement pour se débarrasser du «boulet qu'il traîne depuis de longues décennies » et de ce «fardeau» qui grève les finances publiques. «Nous proposons la privatisation des entreprises publiques en difficulté, lesquelles sont à l'origine de pertes colossales pour la trésorerie de l'Etat, l'accélération de la réforme des caisses sociales et la révision du régime des subventions pour cibler davantage les ayant- droit», insistait ainsi le vice-président de l'UTICA, Hichem Elloumi, lors d'une conférence sur les orientations de la loi de finances pour l'exercice 2018 tenue le 8 août au siège de la centrale patronale. L'économiste Moez Joudi recommande, quant à lui, la privatisation d'une dizaine d'entreprises publiques sur les quelque 213 sociétés détenues par l'Etat, dont la Société Nationale de Distribution des Pétroles (SNDP), la RNTA et l'une des trois banques publiques (Banque de l'Habitat, Société Tunisienne de Banque, Banque Nationale Agricole). Selon lui, certaines de ces entreprises sont un véritable gouffre financier, un puits sans fond que l'Etat s'efforce de maintenir à flot en puisant dans les fonds qui auraient pu servir à améliorer les services offerts au citoyen. Selon des sources officielles, le déficit cumulé de 28 entreprises publiques a dépassé les 3,5 milliards de dinars durant l'année écoulée. L'UGTT voit rouge ! Dans le cadre de ce débat, les syndicats n'y sont pas allés de main morte. Les employés de la RNTA ont manifesté jeudi 3 août à Tunis, pour exprimer leur refus catégorique de toute privatisation de leur entreprise. Cette manifestation organisée par le syndicat national des employés de la RNTA, rattaché à l'UGTT, suite aux propos du conseiller du président du gouvernement Faycel Derbel, qui avait évoqué l'hypothèse d'une privatisation partielle ou totale de la RNTA pour renflouer les caisses de l'Etat. Lors de cette manifestation, les employés ont exprimé leurs refus catégorique de toute cession partielle ou totale de leur entreprise et ont appelé le gouvernement à déclarer publiquement qu'il ne procèdera pas à la privatisation de l'entreprise. Ils ont aussi appelé le gouvernement à procéder à un audit approfondi de la situation de la RNTA avant d'entreprendre toute autre action, indiquant qu'ils ne sont pas opposés à l'idée d'un programme de départ anticipé à la retraite. Le 10 août, le journal Al-Chaâb, organe de presse officielle de l'UGTT, titrait ;« Le secteur public n'est pas à vendre», estimant que le déficit abyssal des entreprises publiques s'explique par des choix erronés, des politiques inadéquates et une mauvaise gestion héritée du passé. Vendredi dernier, le secrétaire général de la centrale ouvrière, Noureddine Taboubi, a indiqué que la privatisation des entreprises publiques constitue «une ligne rouge». En marge d'une visite à la Société Nationale de Cellulose et de Papier Alfa (SNCPA) de Kasserine, l'homme fort de l'UGTT a mis en garde contre les retombées néfastes de la privatisation, tout en insistant sur le rôle régulateur du secteur public. «Avec la crise dont souffre Al-Fouledh, le secteur privé est en train d'extorquer l'Etat, en réclamant 20 % d'augmentation sous peine d'une rétention de la marchandise. La barre de fer a ainsi atteint 35 dinars, ce qui ne permet même pas aux classes moyennes et démunies de construire une petite maison », a-t-il expliqué. Face à la polémique suscitée par les propos de son collègue Faycel Derbal, le conseiller économique du président du gouvernement Taoufik Rajhi a assuré tout récemment que l'exécutif n'a pas l'intention de privatiser des entreprises publiques. Pourtant, dans un mémorandum de politique, économique et financière adressé à la Directrice générale du FMI, le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie et le ministre des Finances ont écrit noir sur blanc que « la fonction d'Etat actionnaire sera revue, y compris par une identification des secteurs non stratégiques où un désengagement de l'Etat sera poursuivi».