« Je dois clamer haut et fort que je suis à titre personnel intimement convaincu de ce que Bourguiba n'est qu'un produit inavouable de la France [...] et il serait absolument incroyable que la France ne détienne pas les documents qui montrent ce qu'elle a fait de la Tunisie et des Tunisiens durant mais aussi après son protectorat. » C'est ainsi que Khaled El Manoubi clôt sa lettre ouverte au Chef de l'Etat Français dans son livre intitulé : « Présidents par procuration : la préparation impériale de trois chefferies (1927-1987) » Professeur d'économie politique et auteur de plusieurs articles publiés pour la plupart après 2011, Khaled El Manoubi s'intéresse dans son livre paru récemment à cette période charnière de l'Histoire de la Tunisie qui a connu de nombreux rebondissements politiques et sociaux. Tout au long des 18 chapitres, il interroge indirectement ses lecteurs, tout en apportant des réponses, sur le rôle joué par les puissances étrangères et notamment la France, aussi bien durant l'ère coloniale que post-coloniale. Il affirme par exemple que Bourguiba est un pur produit français qui avait facilité l'administration indirecte de la Tunisie par cette nation colonisatrice après l'Indépendance. On lit ainsi dans l'introduction générale du livre ce passage : « Le principe du décrochage implique que la France, fait également unique dans les colonies de cette dernière, prépare une succession à son avantage, c'est à dire au détriment du peuple. Mais préparer un dictateur n'est pas chose facile même pour une métropole coloniale [....] La France désigna également et avant 1938 le dauphin de son dauphin (Hedi Nouira N.D.L.R) et il échut aux Etat-Unis d'imposer un autre vice-dauphin, à savoir Ben Ali, agent de la CIA que Bourguiba a dû préparer en secret à partir de la mi-1982 après avoir préparé Nouira de 1957 à 1974. » Appuyant ses propos aussi bien par des thèses que par des faits historiques, El Manoubi n'y va pas de main morte et affirme qu'« avant l'Indépendance, assurer la continuité de la préparation assure l'essentiel. Il suffit alors que la France fasse paraître son homme comme étant le plus anti-français. En contexte post-colonial, par contre, le régime doit d'abord survivre tout en se préparant à la réaction du peuple contre la répression. A cette fin, des scénarios invraisemblables sont organisés comme la généralisation des coopératives en 1969 pour que Nouira apparaisse comme un recours et la tuerie du pain en 1983-1984 pour masquer le retour de Ben Ali à la police.» En somme, tous ceux qui ont présidé la Tunisie ou failli la gouverner n'étaient que des pions aux mains de puissances étrangères qui décident, depuis toujours et à elles seules, de son sort. A travers ce flash back retraçant trois moments clé de l'Histoire de la Tunisie, l'auteur propose une certaine lecture du passé de ce pays, relate des faits, propose des théories pour comprendre ce qui s'est réellement passé et évoque des politiciens qui ont joué des rôles déterminants dans l'évolution de la situation politique, chacun à son échelle. Il est par exemple question de Mohamed Mzali, de Hédi Baccouche mais aussi de l'actuel Président de la République, Béji Caid Essebsi, homme clé de l'époque Bourguibienne. Il est cité plusieurs fois et notamment dans ce passage : « Une chose est sûre. Non seulement on aura évité d'avoir affaire à Saida si Caid Essebsi avait été une fille mais, en plus, le fils de Habiba ne s'appellera pas Habib mais bien El Béji. De fil en aiguille, ne peut-on pas joindre Carthage à partir de Sidi Bou Saïd en passant par Sidi Bouzid. » Dans « Présidents par procuration : la préparation impériale de trois chefferies (1927-1987) », Khaled El Manoubi défraîchit certaines bribes du passé tunisien qu'il interprète selon son analyse et ses convictions. Libre ensuite aux lecteurs d'y adhérer ou pas, surtout que nombreux sont ceux qui considèrent que Bourguiba est un « guide suprême intouchable » dont la carrière politique et les décisions ne peuvent être discutées ou critiquées. De ces avis contraires pourrait naître un bien riche débat.