L'écrivain Nefla Dhahab, qui n'est plus à présenter, s'est toujours consacrée à l'écriture en arabe, publiant des recueils de nouvelles, dont le tout dernier chez L'Or du Temps, « Balcon sur mer » et des contes pour enfants, dont six nouveaux qui paraitront très prochainement chez Perspectives Editions. Nefla qui s'exprime aussi parfaitement dans la langue de Molière, participe à des écrits en français dont un recueil de textes sur le Hammam. Cette femme qui s'est toujours attachée à l'évolution de la société tunisienne, a défendu à travers ses écrits, des valeurs héritées de l'école de Bourguiba, comme les libertés individuelles et l'égalité des sexes auxquelles elle croit encore et toujours... Comme nous l'avions connue, il y a plusieurs années déjà, elle reste égale à elle-même...généreuse d'âme et de cœur. De notre rencontre au Saf Saf à la Marsa, nous avons eu cet entretien. Le Temps: Fille de poète ayant grandi avec les rimes et les mots, vous avez eu avec votre père, le premier souffle de l'inspiration et les premières discussions littéraires. Pourrait-on dire qu'il était derrière votre immersion dans l'univers de la littérature ? Nefla Dhahab : Mon père disait que j'étais très proche de lui, dans la mesure où je lui ressemblais un peu dans mes hobbys. Lui, qui portait un peu les idées modernistes, était un grand lecteur. Il nous encourageait pour la lecture et nous achetait des livres ...Il nous récitait des poèmes et écrivait lui-même des poèmes dont un, en dialecte tunisien qui a été chanté par Saliha, « Kif dar kess El Hob ». Plus tard, quand j'ai commencé à écrire, il m'a beaucoup encouragée à continuer et à défendre les libertés. A vrai dire, les libertés individuelles, c'est très important pour moi...Malheureusement, nous voyons actuellement en Tunisie, un comportement ségrégationniste entre femmes et hommes, alors qu'avant, on faisait partie de l'école de Bourguiba... Mon père, feu Hédi Dhahab qui a étudié à la Zitouna, a fait la même classe qu'Aboulkacem Chebbi et Tahar Haddad. Pour vous, parler des autres, est plus aisé que de parler de soi... quelles en sont les difficultés? -J'aime jouer sur les personnages, les multiplier, les créer. Ce sont les autres. Je ne pense pas que ma vie intéresse beaucoup les lecteurs, j'aime bien naviguer en effet, entre la réalité et l'imaginaire en laissant plus de liberté aux lecteurs et à l'écrivain. Ecrire une nouvelle, ce n'est pas écrire un journal. C'est ainsi que J'essaye toujours de créer des personnages de fiction inspirés du vécu, avec parfois des suggestions fantastiques. Depuis votre enfance, aviez-vous confié un jour, vous aviez cet appel incessant d'écrire comme beaucoup d'écrivains que vous aimiez et dont vous lisiez les œuvres... Selon vous, le travail de l'écriture se fait tout d'abord dans votre tête... Pourriez- vous nous en parler plus ? -Très jeune, j'étais une grande lectrice, j'avais toujours un livre à la main, même à table. L'inspiration ne me vient pas devant la feuille blanche, mais j'écris dans ma tête, parfois je griffonne quelques lignes sur du papier, j'écris dans mon lit, je fais autre chose puis j'y reviens jusqu'au jour où je me réveille, où je veille, avec la nouvelle presque finie dans ma tête. Au départ, je prépare un plan, mais ce plan va être dépassé et va se transformer en une nouvelle « finie » ! Le travail sur la langue et le fignolage viennent après. Vous avez affirmé aussi, que vous écrivez selon un plan, un canevas, mais au fil de l'écriture, celle-ci vous emporte comme « une mer », comme disait Baudelaire, et vous en oubliez le plan. Est-ce dire par là, que l'écriture n'est pas rationnelle d'une manière absolue ? -Oui, c'est ma manière d'écrire mais elle n'est pas absolue et irrémédiable. Ecrire, c'est le métier de la liberté, donc c'est selon « l'appel » de la nouvelle en question. L'écriture est rationnelle selon la technique que l'on utilise mais elle est liberté de bout en bout. Je ne crois pas à une recette particulière en la matière car on voit comment d'une œuvre à l'autre, l'écrivain peut faire fausse route et rater une œuvre alors qu'il a réussi la première par exemple, et vice- versa. Quelques unes de vos nouvelles ont traité de la lutte intérieure de l'individu, de la lutte de l'homme pour la liberté, de la lutte de l'écrivain pour créer, afin de recomposer une société pleine d'amour et de haine, d'un monde de valeurs face à un monde de matière, de justice et d'injustice. -Je crois que j'ai essayé durant ces années et depuis le commencement, de lutter pour reconstruire et je crois que c'est en rapport avec notre société. En effet, chacun veut effacer le précédent, (je ne parle pas de la situation politique,) mais habituellement, les gens aiment détruire pour exister. Il y a en nous, les traces de grandes civilisations qui ont traversé ce pays de bout en bout et d'année en année, mais avec cette volonté d'effacer le précédent quelque soit « x »...et c'est cela que je condamne...Finalement, on n'écrit pas sur soi-même, mais on écrit pour condamner ce qui ne nous plait pas, parce que contraire à nos convictions les plus profondes, et contraire à notre projet de société, car chaque écrivain porte en lui et à travers ses écrits, un projet de société. La littérature a quelque chose de radical dans la mesure où elle présente toutes ces questions sous forme de fictions, d'histoires, de façon à dialoguer dans le style de chacun de nous et selon les interprétations de chacun. Vous avez écrit des nouvelles, (« Volutes de fumées », «Soleil et ciment », (Edition Essafa), puis, « Le silence », « Histoires nocturnes », « Haroun prend le tournant »), (Edition l'Or du Temps). Vous êtes auteure par ailleurs, de plusieurs contes pour les enfants, par amour pour eux, mais aussi par une conviction profonde de participer à un travail de construction. -Oui, j'ai écrit pour les enfants par amour pour eux et surtout, après avoir lu plusieurs livres qui m'ont déroutée ; trouvant qu'ils étaient trop moralisateurs, très conservateurs, ne suscitant l'imaginaire que très peu et où le besoin de découverte chez l'enfant et l'esprit de liberté sont inexistants ... Bien sûr, c'était à mes débuts, c'est-à-dire, en 1980.... Alors, j'ai décidé de faire le contraire dans mes écrits, en développant l'imaginaire chez l'enfant et en propulsant la petite fille au premier rang et en évitant d'être moralisatrice, mais suggestive d'histoires amusantes et performantes pour l'enfant. J'ai publié jusque là, 29 contes pour enfants et les 6 autres, sont sous presse actuellement, « Elyssa, reine de Carthage », « Princesse Aziza Othmana », « Le chat de Jinène », «Je t'aima ô papa », « La petite hirondelle », « Lapineau a trouvé une maman », (Perspectives Editions). A quand un premier roman? -Depuis toujours, j'ai écrit des nouvelles, mais la première œuvre qui n'avait jamais vu le jour, c'était un roman : « Les chemins parallèles », (Douroub Moutawazia). Peut être que mon style vif et décapant, conviendrait mieux au genre de nouvelle ! Dans « Balcon sur mer » on découvre 12 courtes nouvelles, dont « Un jour pluvieux », où le cimetière constitue une toile de fond pour la narratrice qui se rappelle de son enfance à la médina et de ses parents... -Effectivement, il s'agit d'une femme qui se remémore des pans de son enfance à la médina. Sa présence au cimetière va l'amener à chercher le tombeau de sa mère... qui est devenu sa chambre de pierre... Elle revoit la médina en arrivant au cimetière et en partant du cimetière, en proférant ces mots : « je quitte la colline des morts et dans mon esprit, éclata une aube qui court sur les terrasses de la médina, saluant les hirondelles qui brassent les voûtes blanches avec leurs ailes... » Quelles seront vos prochaines participations dans la vie culturelle en Tunisie ? -Pour le moment, je suis invitée à partir du 22 mars prochain à kélibia, par la Délégation culturelle régionale de Nabeul, pour présenter mon dernier recueil de nouvelles « Balcon sur mer », avec l'espoir qu'il plaira aux lecteurs de la région. Propos recueillis par: