Les causes à l'origine des problèmes que rencontre la Tunisie dans les divers domaines sont d'ordre politique et se rapportent principalement à l'inefficacité du mode de scrutin proportionnel choisi après la révolution comme base du système électoral national, ont estimé de grands spécialistes tunisiens en droit et économie politique lors d'une Conférence nationale organisée, hier, à Tunis, par le Collectif « Soumoud » sous le titre « Le mode de scrutin et la crise de la gouvernance en Tunisie ». Un des intervenants, le professeur Houcine Dimassi, spécialiste en économie politique et ancien ministre de l'Economie et des Finances, après la révolution, a calculé que le coût de l'actuel régime politique en Tunisie, c'est-à-dire le manque à gagner qu'il a occasionné pendant les sept dernières années, est faramineux, s'élevant à plusieurs milliards de dollars, en raison du mode de scrutin proportionnel qui, a-t-il dit, a réduit considérablement la marge de manœuvre du gouvernement faute d'une majorité parlementaire et l'a rendu incapable de prendre les décisions nécessaires pour résoudre les problèmes du pays. Il a indiqué que l'effondrement du système de production qui en est résulté a causé un manque à gagner de l'ordre de 15 milliards de dollars au niveau de la mobilisation des recettes fiscales, durant les sept dernières années, ce qui a amené le gouvernement à recourir, notamment dans le cadre de la loi de finances de 2018, à des impositions aveugles pour couvrir vainement les déséquilibres. Aussi, a –t-il dit, notre crise est une crise politique et il est temps de le reconnaitre et d'agir en conséquence Une équipe d'ingénieurs a présenté les résultats d'une simulation des élections législatives de 2014 sur la base de l'application d'un mode de scrutin uninominal à deux tours opposant progressistes et conservateurs, qui montrent qu'au premier tour, les deux clans seraient à égalité tandis qu'au deuxième tour, les progressistes l'emportent à hauteur de 76%, ce qui confirme, ont noté les membres de l'équipe, qu'il y a en Tunisie une majorité électorale, contrairement à ce que prétendent les hommes politiques pour justifier le maintien du mode de scrutin proportionnel plus conforme à leurs propres intérêts. D'ailleurs, dans son intervention intitulé « Le régime politique tunisien à la lumière de l'adoption du mode de scrutin proportionnel », le professeur Amin Mahfoudh, spécialiste en droit, connu pour avoir proposé, depuis les élections de 2014, une révision appropriée du système électoral tunisien, a été d'avis que le choix du mode de scrutin proportionnel avait été fait, délibérément, pour paralyser l'action du gouvernement et hypothéquer ses décisions dans le but de le maintenir sous la coupe de quelques partis politiques, ce qui est le cas. Il a réitéré ses suggestions en faveur de l'amendement de la loi électorale, notamment l'article 106 afin de réduire le nombre des députés au parlement, trop grand actuellement (217) pour les quelques 11 millions d'habitants que compte la Tunisie, tout en dotant les députés des moyens matériels indispensables, y compris financiers, afin qu'ils s'acquittent, au mieux, de leur mission et pour que « le parlement ne se transforme pas en marché de vente des lois au plus offrant ». L'orateur a préconisé aussi la révision du règlement intérieur de l'Assemblée des représentants du peuple qui, dans sa forme actuelle, paralyse l'action du gouvernement et des institutions en conférant au président de l'ARP, la tâche d'établir l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée, alors que dans certains pays démocratiques comme la Grande Bretagne, c'est le chef du gouvernement qui établit cet ordre du jour en fonction des priorités nationales et gouvernementales, et ce en attendant un amendement de la nouvelle constitution tunisienne de 2014 dans le sens de l'adaptation du système électoral tunisien aux nouvelles exigences nationales. En effet, comme l'a noté le coordinateur du Collectif « Soumoud », Houssem Hammi, le choix du mode de scrutin proportionnel était justifié en 2011 pour l'élection de l'Assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution tunisienne afin d'assurer une plus grande représentativité du peuple tunisien à cette tâche à travers les partis politiques, mais ce mode est devenu inadapté à la nouvelle situation et aux nouveaux défis, ce qui commande de le réviser et de l'améliorer. Il a placé la rencontre dans le cadre des efforts déployés en vue de sensibiliser l'opinion publique et la classe politique à cette exigence vitale.