Le mode de scrutin se fait par liste à la proportionnelle et au plus fort reste. Dans ce cas, les gouvernements qui émergent sont le fruit de coalitions et, au final, les partis renoncent à leurs programmes de départ. La crise politique qui en a découlé contraint les gouvernants à chercher des solutions en dehors de la logique électorale, à l'image du Document de Carthage, et l'ingérence des organisations nationales (Ugtt, Utica, Utap). «Ces organisations nationales respectables ne disposent d'aucun mandat populaire », selon Amine Mahfoudh, professeur de droit Le Collectif Soumoud a organisé hier une conférence nationale (en l'absence du parti Ennahdha qui n'était pas représenté) autour du mode de scrutin et la crise de la gouvernance en Tunisie. Le collectif, tout comme les orateurs qui se sont succédé à la tribune, défendent l'idée selon laquelle l'impossibilité de mener des réformes et l'absence d'une culture de redevabilité des élus a pour principale racine un mode de scrutin inadapté et un régime politique «non identifié». Il appelle à une révision du mode de scrutin. Les règles doivent changer Amine Mahfoudh, professeur de droit, hostile aux dispositions actuelles de la Constitution de 2014, dénonce un émiettement des prérogatives entre les différents pouvoirs, notamment entre le président de la République et le président du gouvernement. Mais lorsqu'on évoque la position divergente du rapporteur de la Constitution, Habib Khedhr, qui estime qu'on ne peut évaluer la Constitution, qu'une fois entrée en vigueur dans sa totalité, Amine Mahfoudh s'emporte : «C'est la dernière personne habilitée à parler de la Constitution, il n'est pas spécialiste, ses choix politiques en matière constitutionnelle et en matière de loi électorale nous ont menés à la crise. Quant à lui et à titre personnel, il a réussi à atteindre ses objectifs», déclare-t-il. Dans l'immédiat, et à l'approche des élections législatives (prévues en octobre 2019), Mahfoudh vise le mode de scrutin, qu'il qualifie de «scrutin de l'ingouvernabilité». Actuellement, le vote se fait par liste à la proportionnelle et au plus fort reste. Dans cette configuration, les petits partis peuvent remporter des sièges au Parlement, même avec peu de voix. Bien évidemment, cela donne naissance à une sorte de mosaïque à l'hémicycle. «Dans ce cas, il est difficile de constituer un gouvernement, les gouvernements qui émergent sont le fruit de coalitions et donc, au final, les partis renoncent à leurs programmes de départ», explique le professeur Mahfoudh. Selon lui, cette crise de pouvoir contraint les gouvernants à chercher des solutions en dehors de la logique électorale, à l'image du Document de Carthage et l'ingérence des organisations nationales (Ugtt, Utica, Utap). «Au fond, ces organisations nationales respectables ne disposent d'aucun mandat populaire», dit-il, tout en estimant que le but du «rédacteur» de la Constitution était de «bloquer les mécanismes de prises de décision». Parmi ses propositions : réduire le nombre d'élus de 217 actuellement à 100. «100 élus avec des moyens importants valent mieux que de 217 avec peu ou pas de moyens du tout», indique Mahfoudh. Scrutin uninominal à deux tours Le doyen Sadok Belaid défend, pour sortir de l'impasse, l'adoption d'un mode de scrutin uninominal à deux tours. Pour faire simple, les électeurs seraient invités à choisir des personnes et non plus des listes comme il se fait actuellement. «Ces listes sont préparées par une poignée de décideurs, et l'électeur ne peut ni introduire de nouveaux noms ni même changer l'ordre de la liste», critique Belaid. Avec le scrutin uninominal, l'électeur choisit les deux ou trois premiers d'une circonscription donnée, qui participeront au second tour. A l'issue de ce tour, un seul candidat est élu. Selon lui, ce mode de scrutin permet de simplifier les choses pour l'électeur, le responsabiliser et, in fine, permet une plus grande stabilité et puissance du pouvoir. Les supporters de cette approche pensent que cela fortifierait non seulement la majorité mais aussi l'opposition, puisqu'il y aurait à l'hémicycle deux principaux partis, l'un au pouvoir, l'autre dans l'opposition. Sceptique, le député et président du groupe parlementaire du Front populaire Ahmed Seddik voit dans ce débat une tentative de sauver la majorité actuelle du bourbier dans lequel elle est empêtrée. «Comment ferait-on pour la parité et la participation des jeunes ?», se demande-t-il. Moins radical que Sadok Belaid, le professeur Haykel Ben Mahfoudh propose un scrutin uninominal à deux tours avec une dose de proportionnelle. Celui-ci permet certes de dégager une majorité mais permet également aux petits partis d'être représentés dans des proportions qui ne handicapent pas la prise de décision. La prise de décision, c'est justement ce qui est important en ces temps de crise, prévient l'ancien ministre des Finances Houssine Dimassi. D'après ses calculs personnels, la croissance des secteurs clés de l'économie serait passée de 3,4% avant le soulèvement de 2011 à 0,3% pendant la décennie qui a suivi. «Cela est le résultat direct du régime politique qui engendre une impossibilité de mener les réformes nécessaires connues de tous», conclut-il. Le collectif Soumoud, composé de plusieurs associations et personnalités nationales indépendantes, ambitionne d'élaborer un ensemble de recommandations qui devront ouvrir la voie à un débat sur le régime électoral et la crise de gouvernance en Tunisie. Il vise également un projet de loi électoral qui sera annoncé à l'issue des prochaines élections municipales et présenté aux trois présidents, aux partis politiques et aux organisations nationales en prévision des élections de 2019.