* Les chefs d'entreprise ne connaissent pas leurs propres besoins. Ils préfèrent toujours des employés « expérimentés ». Pour sa part la formation académique révèle ses limites, même si les universitaires affirment que les réticences des chefs d'entreprises constituent un faux problème ; plutôt des faux - fuyant Le paysage universitaire tunisien s'est largement étendu pendant la dernière décennie. Les établissements universitaires se sont multipliés à un point qu'il y en a, pratiquement, dans chaque gouvernorat. Le nombre d'étudiants a dépassé 360.000, celui des enseignants effleure les 20.000. L'enseignement supérieur tunisien « produit » chaque année 60.000 diplômés et « couve » 15.000 chercheurs encadrés par 32 centres et 139 ateliers de recherche. Ce « gigantisme » n'a pas empêché les observateurs et, même les officiels, de poser la problématique de la qualité des diplômes obtenus et du niveau du savoir-faire des diplômés. En effet, cette grandeur serait caduque si l'on ne ressentait pas ses effets sur le tissu économique tunisien. Les diplômés de l'université sont censés répondre aux besoins d'encadrement manifestés par l'industrie et les centres de recherche sont là pour répondre aux problématiques posées dans les manufactures et les usines. Donc, le degré de synergie entre l'université et le marché de l'emploi, est une fonction de la réponse apportée par la recherche universitaire aux problématiques posées. Seules des réponses satisfaisantes peuvent pousser les industriels à croire davantage aux dividendes de la recherche. Apparemment, et à travers un passage en revue de la manière avec laquelle les industriels accueillent, généralement, les diplômés du supérieur, la satisfaction n'est pas la règle. Le monde du travail conteste, semble-t-il, le « savoir-faire » acquis des diplômés. En plus, plusieurs interrogations ne cessent d'accompagner les activités des centres de recherches. On ne cesse de déplorer le manque d'intérêt accordé aux résultats des études accomplies. Un tel état de situation pose la problématique sous différents angles : les programmes académiques de l'université, la sélection des sujets traités dans les centres de recherche, les soucis des industriels, etc... Le temps a contacté des spécialistes et des professionnels pour avoir leurs avis sur ces diverses questions.
Le Professeur Mohamed Haddar, universitaire et expert international : « Les industriels ne s'impliquent pas suffisamment pour exprimer leurs besoins. » « La question de l'adéquation entre la formation universitaire et l'emploi est une problématique de portée internationale. L'université est partout l'unité de « confection » de l'encadrement humain. Seulement, la conformité du produit dépend des spécificités précisées par l'ordonnateur de la commande. Il faut comprendre par là que l'ordonnateur est le secteur industriel. A cet effet, il est impératif d'engager un véritable dialogue entre les industriels et les universitaires. Car, ce dialogue est le seul moyen susceptible de permettre aux universitaires de comprendre les besoins des industriels et d'y apporter leurs réponses. Regardez dans les pays du Nord ! Toute problématique de l'industrie peut se transformer en un sujet de recherche. C'est un « Test » ouvert aux centres universitaires de la recherche. La bonne réponse est primée par une bourse d'études. C'est l'un des moyens entrepris - chez eux - pour contribuer au financement de la recherche. Chez nous, le tissu industriel est essentiellement basé sur l'entreprise familiale. Les industriels ne connaissent pas leurs propres besoins. Ils ne sont pas suffisamment sensibilisés par l'apport des diplômés. Il faudrait les intégrer davantage dans le processus de la réforme LMD. Laquelle réforme est censée former le capital humain nécessaire pour renforcer l'encadrement dans les entreprises. Or, il est nécessaire d'identifier les besoins des entreprises pour réussir cette réforme. Donc, il faudrait que les industriels soient présents lors de l'établissement des programmes. En plus, ils sont appelés à comprendre que la formation universitaire n'est pas assimilée à une formation professionnelle. Le côté académique a, aussi, son importance. Cette situation pousse davantage à croire à l'inéluctabilité d'un dialogue entre tous les intervenants. C'est ce dialogue qui éclaire la situation et permet de déterminer les besoins à partir d'un diagnostic conjoint des universitaires, des experts et des industriels. Les recommandations de ce dialogue permettent d'identifier les véritables problèmes. L'université pourrait alors accorder une formation complémentaire pour répondre à d'éventuels besoins diagnostiqués qui n'ont pas trouvé de solutions dans les modules existants. Mais, et malgré l'importance de cette concertation, les industriels manquent à l'appel lors des réunions des commissions « LMD ». Il faudrait donc les sensibiliser à l'importance de cette réforme. Et il faudrait qu'ils comprennent, aussi, que les dividendes de l'investissement dans la recherche, ne sont pas immédiats. Tous les intervenants sont appelés à s'y mettre. Le résultat ne saurait tarder. »
Ali, industriel : « le savoir-faire des diplômés est limité » « Il est vrai que les autorités publiques ne cessent de créer des mécanismes de soutien à l'emploi. Les encouragements vont du support par l'Etat d'une partie (allant aux 3/4) du salaire des diplômés recrutés à l'exemption des charges sociales se rapportant à ces agents pour une durée pouvant atteindre 5 ans. Mais, il n'empêche qu'il s'agit du recrutement d'un cadre avec ce qui implique comme attributions et devoirs. Ce cadre est appelé à s'assumer. Or, le savoir-faire de ces nouveaux diplômés est très limité. Leur capacité d'amélioration laisse à désirer. Ils ne parviennent pas à s'intégrer rapidement dans le processus de production avec des implications qui peuvent toucher tout le personnel. Ils occupent des postes de responsabilité. Et même s'ils sont des stagiaires, il y a des connaissances qu'ils sont censés posséder. Autrement, le personnel sous leurs ordres, ne va pas les respecter. Donc, il faut veiller à respecter les équilibres de l'entreprise, lors d'un recrutement. Mais, ceci risque de ne pas être respecté lors du recrutement d'un diplômé qui ne s'affirme pas. Il faut rappeler que les hommes d'affaires adhèrent pleinement au programme de l'Etat de recruter les diplômés. Or, nous nous trouvons opposés au manque flagrant de spécialisation. La majorité des diplômés est formée de généralistes qui sont formés académiquement dans des trucs généraux. Donc, ils ne peuvent pas fournir le plus escompté dans l'encadrement. Et c'est ce qui dérange. Nous ne cessons de répéter qu'il est impératif d'installer des mécanismes de synchronie entre la formation et l'emploi pour qu'on puisse contribuer efficacement à l'absorption du chômage des diplômés.
Sahbi, étudiant doctorant : « je ressens que certains industriels éprouvent du mépris quant à l'apport de notre travail de recherche » « Tout étudiant poursuit un objectif derrière l'approfondissement de ses études. Chacun, de nous, veut améliorer ses performances pour accroître ses chances d'accéder à un bon poste et contribuer davantage, et mieux, au process de production. Mais, l'état actuel des choses montre que la multiplication du nombre d'étudiants en 3ème cycle est due - non à un intérêt accru pour la recherche - mais à l'absence d'opportunités de recrutement. Nous nous inscrivons parce que nous n'avons pas d'autre chose à faire. C'est triste de le dire, mais, c'est la vérité. Il n'est pas sûr que je vais travailler dans le secteur où j'ai étudié durant plus de huit ans et où je possède des qualifications académiques. J'ai l'impression que l'industriel s'en fout. Je ressens, même, un certain mépris de la qualité de mon travail de recherche. Plusieurs de mes collègues occupent actuellement des postes équivalents à des bacheliers alors qu'ils sont docteurs. Ils s'occupent de ressources humaines, ou d'archives, alors qu'ils sont des chimistes ou des géologues. Tout ce travail de recherche peut être négligé si je n'arrive pas à décrocher un poste dans l'enseignement ou dans l'industrie. Mais, je suis convaincu que je n'ai pas beaucoup de chance de décrocher l'un de ces postes. C'est dommage mais, c'est la réalité que nous vivons actuellement. Le produit de la formation universitaire est ignoré au profit de certaines considérations, désormais, individuelles. Pourtant, c'est la communauté nationale qui a déboursé de l'argent lourd pour payer cette formation. Donc, je pense qu'il est impératif de parvenir à une meilleure synergie entre la formation et l'emploi. Il est désormais insensé de gaspiller ainsi les ressources de la communauté nationale. Il est insensé, aussi, que je me crève la cervelle - durant des années - dans un domaine et que je ne bénéficie pas à la fin des fruits de ma recherche.»