A terme, c'est une voie sans issue. Durant les dernières années, la tendance aux déficits budgétaires et par voie de conséquence à la montée de la dette publique résulte d'une part de l'augmentation des dépenses publiques, essentiellement les dépenses de fonctionnement (en 2017, les salaires des agents de l'Etat et autres administrations publiques représentent 42% du budget) et, d'autre part, du fait que les recettes fiscales n'augmentent pas au rythme escompté, compte tenu d'une croissance molle. Personne ne saurait nier que le pays vit au dessus de ses moyens et qu'il a accumulé une dette excessive (75% du PIB), reproduisant le modèle socio-économique qui a prévalu depuis l'indépendance jusqu'à l'éruption de la colère populaire qui a balayé le régime de Z.A Ben Ali. Or, il se trouve que c'est la désintégration du contrat social qui régissait de façon implicite le pays, à l'instar de l'écrasante majorité des Etats arabes, qui a précipité la chute des régimes qui dirigeaient ces pays d'une main de fer. En quoi consistait ce contrat social implicite? Les gouvernements arabes fournissaient l'emploi, via un secteur public hypertrophié, garantissaient gratuitement l'éducation et la santé et subventionnaient l'alimentation de base et l'énergie. En contrepartie, la population était privée de ses droits politiques. Au début des années 2000, les premières fissures ont fait jour, au gré des déséquilibres budgétaires. Le service public n'est plus un employeur de choix, le système de subventionnement généralisé des produits de base, de l'énergie et des soins est devenu un fardeau insupportable. Il s'ensuivit des déficits budgétaires qui se sont creusés d'une année à l'autre, obligeant les Etats à recourir à l'endettement aussi bien intérieur qu'extérieur. Même si la Tunisie a pu aligner pendant vingt ans - du début des années 1990 à la fin des années 2000- des taux de croissance plus qu'appréciables (autour de 5% par an), même si son déficit budgétaire n'a que rarement dépassé le seuil de 3% de don PIB, même si, en 2010, le déficit de sa balance des paiements se situait autour de 1% du PIB , elle n'a pu échapper, à l'instar des autres pays arabes, au syndrome du développement malheureux (voir à ce propos le rapport de la Banque mondiale intitulé « Eruptions of Popular Anger, The Economics of the Arab Spring and its Aftermath », celui qui profite en premier lieu aux cercles qui gravitent autour du pouvoir, où la corruption, le copinage et le népotisme sont la règle, laissant sur le bord du chemin des pans entiers de la population. Après ce qui est convenu d'appeler la révolution du 14 janvier 2011, ce qui a été gagné sur le plan des libertés individuelles a été largement perdu sur le plan socio-économique. Aux débrayages, sit-in et autres grèves sauvages ont succédé les querelles de chapelles des partis et des hommes politiques. Résultat des courses, presque huit ans après, le pays est au bord de la faillite. L'inflation est montée en flèche, le taux du loyer de l'argent l'accompagne dans cette spirale ascensionnelle, les déficits budgétaire, commercial et de la balance des paiements se creusent chaque mois davantage, les réserves en devises fondent comme neige au soleil et la dette publique atteint un seuil inquiétant. Pourquoi attacher à la question de la dette publique une grande importance? Ceux qui éludent cette question oublient les conséquences qui résultent d'un endettement excessif. Lorsque la dette publique atteint un niveau élevé, deux conséquences majeures apparaissent. D'une part, le poids des intérêts dans le stock de l'endettement (si le déficit public est un flux, la dette est un stock) devient lourd et absorbe des ressources publiques qui pourraient être allouées plus efficacement à d'autres objectifs: l'investissement dans l'infrastructure et dans des projets productifs. En 2018, l'Etat va consacrer la somme de deux milliards huit cents millions de dinars pour le service de la dette et cinq milliards cent quatre-vingt-cinq millions de dinars pour payer le principal de cette dernière, soit 22% du budget. Or selon le principe d'efficacité, les dépenses publiques doivent être consacrées en priorité aux domaines présentant le rendement social le plus élevé. Il convient de rappeler dans ce cadre que plusieurs dépenses peuvent influencer la croissance à long terme, en particulier les dépenses d'éducation, de santé et d'équipement. D'autre part, un effet d'éviction apparaît du fait de la préemption par l'Etat des ressources d'épargne disponibles au détriment du financement du secteur privé, créateur de richesses, donc d'emplois. À l'extrême, la dette devient ingérable et donne lieu à des crises qui, elles-mêmes, ont un coût social lourd. C'est ce qui s'est passé en Amérique latine au début des années 1980, et il y a dix ans en Grèce. Alors que faire, sachant qu'un défaut de rigueur dans la gestion des finances publiques conduit à l'inflation (à cause de l'expansion de la masse monétaire), à un effet d'éviction, à l'incertitude et à la volatilité qui ont tous pour effet d'entraver la croissance? Une solide position budgétaire est fondamentale pour assurer la stabilité macroéconomique, laquelle est de plus en plus reconnue comme un facteur essentiel à une croissance soutenue. En effet, un ajustement budgétaire avisé permet également de mobiliser l'épargne intérieure, promouvoir une meilleure affectation des ressources et contribuer à la réalisation des objectifs de développement. Ce sont également des années de réformes, notamment sur le plan structurel, qui permettront de retrouver le chemin d'une croissance vigoureuse à même de réduire les inégalités (via les transferts sociaux) et de lutter contre le chômage. Il ne faut perdre de vue que la Tunisie dispose d'une spécialité, conséquence d'un investissement en masse dans l'éducation - à mettre au crédit de H. Bourguiba, premier président de la République: plus les jeunes sont diplômés, plus ils sont au chômage. Ces derniers se retrouvent donc réduits à se battre pour des emplois qualifiés et pour une vie digne. Le principal défi à venir est de savoir (et oser) mettre en place une approche équilibrée en matière de gouvernance économique, à travers un nouveau contrat social s'appuyant sur un secteur privé dynamique (les PME exportatrices qui faisaient la force du pays sont en train d'agoniser, croulant sous le poids d'une pression fiscale de plus en plus forte et un secteur parallèle anarchique), un gouvernement efficace, impartial et équitable et des partenaires sociaux responsables. Pour ce faire, des réformes structurelles devront être engagées dans les domaines de l'éducation (il n'est un secret pour personne que l'enseignement n'est plus adapté aux besoins), la justice (la liberté d'entreprendre doit être appuyée) et la fiscalité (étendre l'assiette des impôts et taxes tout en réduisant les taux). Bien évidemment rien de tout cela ne sera viable sans la mise en place d'institutions politiques démocratiques pérennes, un minimum de cohésion de l'Etat et une certaine stabilité politique. Eléments qui font défaut pour le moment, et c'est pour ça que c'est compliqué de faire sortir le pays du gouffre dans lequel on l'a embourbé. Mohamed Fessi Consultant d'entreprises et enseignant universitaire