Après avoir longuement tergiversé, Nidaa Tounès a décidé de mettre ses menaces à exécution. Dans un communiqué publié dans la soirée du vendredi, à l'issue de la réunion de son instance politique, le parti présidentiel a annoncé avoir décidé de geler l'adhésion du chef du gouvernement Youssef Chahed. «Après avoir pris connaissance des réponses au questionnaire qui lui a été envoyé, l'instance politique a décidé de geler l'adhésion de Youssef Chahed au parti et de soumettre son dossier à la commission du règlement interne conformément article 59, 67 et 69 des statuts », a précisé l'instance dans son communiqué. Lors de sa réunion tenue mercredi, l'instance politique de Nidaa Tounès avait adressé un «questionnaire» au chef du gouvernement dans lequel elle lui accordait 24 heures pour expliquer sa relation avec le parti. Vendredi, l'intéressé a affirmé ne pas avoir répondu à cette correspondance, affirmant être occupé par la loi des finances 2019 et la rentrée scolaire. «Aujourd'hui c'est la loi des finances, demain c'est la rentrée scolaire. Je ne me suis pas occupé de ce sujet», a-t-il déclaré à la presse en marge d'une conférence nationale sur les orientations de la loi des finances 2019. Nidaa Tounès a également exprimé, dans son communiqué, sa «totale solidarité avec l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), face à ce qu'il qualifie de «campagne de dénigrement et de suspicion quant à son rôle national et historique». Le parti vainqueur des élections législatives de 2014 a d'autre part mis en garde contre «le danger que représente la transformation de l'action politique en une guerre de positions basée sur l'opportunisme et l'intérêt personnel au lieu d'une compétition entre les programmes», tout en louant «le rôle du bloc parlementaire, et la cohésion de ses députés autour des choix du parti, et leur loyauté à son président fondateur, Béji Caïd Essebsi, malgré les tentatives de certaines parties de provoquer des scissions». Relations houleuses Les rapports entre Nidaa Tounès et Youssef Chahed se sont gravement détériorés en mai 2017 après l'arrestation très médiatisée de certains barons de la corruption, dont le sulfureux homme d'affaires Chafik Jarraya. Ce lobbyiste, qui se targuait publiquement de soudoyer des parlementaires et des journalistes, est proche de certains dirigeants de Nidaa Tounes. Il avait également déclaré avoir contribué au financement de la campagne du parti lors des élections législatives et présidentielle de 2014. Lors des discussions l'accord de Carthage II entamées au printemps dernier à l'initiative du président de la République, en vue d'élaborer un nouveau programme d'action à un exécutif d'union nationale, Nidaa Tounès a réclamé le départ du locataire du palais de la Kasbah, officiellement en raison de sa «mauvaise gestion de la crise économique». Le chef du gouvernement a cependant réussi à sauver sa tête grâce au soutien du mouvement Ennahdha, qui dispose du premier bloc parlementaire à l'Assemblée des représentants du peuple. Lâché par son propre camp, le quadra, à qui on prête de plus en plus des ambitions présidentielles, est sorti de son mutisme fin mai dernier, pour tirer à boulets rouges sur le directeur exécutif de Nidaa Tounès, Hafedh Caïd Essebsi. «Les dirigeants de Nidaa Tounes, et à leur tête Hafedh Caïd Essebsi, ont détruit le parti. Cela est même devenu une menace pour les institutions publiques», a-t-il lancé lors d'un discours retransmis en direct à la télévision nationale. Majorité parlementaire En réaction à ces critiques acerbes, Nidaa Tounès a menacé de faire tomber le gouvernement, en retirant ses ministres, tandis que le président de la République est sorti, le 15 juillet, de son silence pour appeler le successeur de Habib Essid à démissionner ou à solliciter la confiance de l'Assemblée. «La politique est une question de perception. On ne peut faire face aux demandes, même partiellement, sans soutien politique. Dans ce cas, soit on démissionne, soit on demande la confiance à l'Assemblée», lui a-t-il conseillé Mais le petit-fils de la militante féministe Radhia Haddad a ignoré cette demande. Il a, depuis, manœuvré pour empêcher son éventuelle destitution par l'ARP. Le 27 août, 33 députés ont annoncé la création nouveau groupe parlementaire baptisé «la Coalition nationale» en vue d' «assurer la stabilité politique et de poursuivre la guerre contre la corruption», affichant ainsi une incontestable proximité au locataire du palais de la Kasbah. Le 8 septembre, huit députés ont démissionné du bloc de Nidaa Tounès pour rejoindre le nouveau groupe parlementaire. En recevant les huit députés démissionnaires, dont Moncef Sellami, Zohra Driss, et JalelGhedira, Youssef Chahed a confirmé être à la manœuvre. Dans ce contexte, son éventuelle exclusion du parti ne signifiera en aucun la fin de sa mission à la Kasbah. La Constitution ne l'oblige pas en effet à démissionner, tandis qu'une éventuelle motion de censure à son encontre pourrait se révéler improductive. Arithmétiquement, le patron de la Primature peut solliciter et obtenir un renouvellement de confiance dans son gouvernement grâce au soutien du groupe parlementaire la Coalition nationale, qui compte désormais 41 députés, et à celui du mouvement Ennahdha (68 sièges). La majorité absolue requise à cet effet est de 109 voix. Autant dire que la crise politique qui secoue le pays depuis plusieurs mois est bien partie pour s'éterniser…