Démissions en cascade, fusions-absorptions, ralliements spectaculaires, réduction des clivages idéologiques…A environ un an des prochaines élections législatives et présidentielle, une dynamique de ruptures et d'alliances semblables à la tectonique des plaques terrestres s'est enclenchée au niveau du paysage politique. L'activité sismique est particulièrement intense dans les rangs de la coalition au pouvoir. Le divorce entre le mouvement Ennahdha et Nidaa Tounès, les deux pièces maîtresses de cette coalition, a provoqué un séisme de grande magnitude, dont les répliques ne cessent de se produire. La fusion-absorption entre Nidaa Tounès et l'Union Patriotique Libre (UPL) de l'homme d'affaires controversé Slim Riahi a chamboulé de nouveau la composition des groupes parlementaires au sein de l'Assemblée des représentants du Peuple (ARP). Le parti fondé par le président de la République et qui avait remporté les législatives et présidentielle de 2014 avant de partir en lambeaux a reconquis la place de deuxième force parlementaire. Avec 51 députés, il se place juste derrière le mouvement Ennahdha, mais devant la Coalition nationale, un groupe parlementaire composé essentiellement de transfuges de Nidaa Tounès. Réputé proche du chef du gouvernement Youssef Chahed, ce groupe parlementaire s'est trouvé relégué au troisième rang avec 39 députés. Il devrait cependant voir ses rangs s'étoffer prochainement avec l'arrivée de plusieurs députés. Avec cette nouvelle configuration, le chef du gouvernement, dont l'adhésion à NidaâTounes a été gelée, ne bénéfice théoriquement que du soutien que des 68 députés d'Ennahdha et des 39 élus de la coalition nationale, soit 107 voix, alors que la majorité nécessaire pour le vote de confiance au gouvernement est de 109 voix. Fin du clivage idéologique ? Sentant l'étau se resserrer autour de lui, le chef du gouvernement a tenté de trouver une issue pour se maintenir au pouvoir. Il s'est rapproché de Machrou Tounès, l'un des multiples formations issues de l'implosion de Nidaa Tounès ? Le président de Machrou Tounès, Mohsen Marzouk, a défendu bec et ongles Chahed en déclarant que la crise politique actuelle est le «résultat des tiraillements au sein du parti au pouvoir et n'a aucun lien avec l'échec ou la réussite du gouvernement Chahed». Dans un communiqué publié mercredi, Machrou Tounès s'est également dit «disposé à participer au pouvoir même avec les rivaux politiques, pourvu que la plateforme de l'action gouvernementalesoit liée à un programme à même de sauver le pays, c'est ce dont le mouvement est en train de discuter avec le chef du gouvernement». Le parti, qui dispose de 14 députés, a également reconnu que des discussions politiques menées avec le mouvement Ennahdha se sont focalisées sur «la nécessité de considérer la constitution, comme un cadre fédérant les protagonistes politiques, en dehors des conflits idéologiques destructeurs». Ce faisant, le mouvement de Mohsen Marzouk a cependant prôné «la construction d'un pôle politique, national et moderne, instaurant l'équilibre et rompant avec la corruption politique». Le parti de Chahed en gestation ? Le chef du gouvernement, qui se pose commun rempart contre un scénario de succession dynastique qui le président nonagénaire passer le flambeau à son fils Hafedh, s'apprêterait, selon ses proches, à lancer son propre parti. Baptisé «Amal Tounès» (L'espoir de la Tunisie), la nouvelle formation serait dirigéepar le tandem Slim Azzabi, l'ancien directeur du cabinet de la présidence de la République, et Mehdi Ben Gharbia, l'ancien ministre des Droits de l'Homme. Youssef Chahed ambitionne également de s'ouvrir aux membres de Nidaa Tounès, aux anciens membres du Rassemblement Constitutionnel (RCD) non impliqués dans des affaires de corruption et à d'autres partis centristes, dont Machrou Tounès et Al-Moubadara (L'Initiative) de Kamel Morjane, pour créer un pôle centriste qui restaurerait l'équilibre politique et mettrait fin à l'hégémonie du mouvement Ennahdha. Autant dire que les jeux ne sont pas faits et que de nouvelles alliances seraient en vue pour bousculer les sphères de pouvoir. Les prochaines semaines seront décisives pour connaître les positions de chacun. Mais il n'est pas aussi exclu que des fissures se produisent. Au stade actuel, nul ne pourrait prédire le mouvement des «plaques politiques» et dire si elles provoqueront, et quand, des bouleversements majeurs.