Plus d'un an après les élections législatives et présidentielle, une dynamique de ruptures et rapprochements semblable à la tectonique des plaques terrestres s'est enclenchée au niveau du paysage politique national. L'activité sismique particulièrement forte en ce moment concerne le camp progressiste. Le craquement le plus spectaculaire est évidemment celui de Nidaâ Tounes. Le 10 janvier, c'est tout l'édifice construit par Béji Caïd Essebsi qui s'est effondré. Et, avec lui, l'ambition de constituer un grand parti moderniste, ouvertement laïc et conquérant et capable de tenir tête au mouvement islamiste Ennahdha. Les acteurs de cette ahurissante empoignade qui a secoué le parti au pouvoir en sont sortis salement amochés. Et Nidaâ Tounes a définitivement perdu son âme suite à l'apparition très controversé du chef du mouvement Ennahdha, Rached Ghannouchi, et au soutien qu'il a affiché au parti qu'il qualifiant il y a seulement quelques mois de «plus dangereux que les salafistes». La lune de miel entre Ennahdha et Nidâa Tounes a favorisé la montée en puissance de l'ancien secrétaire général de Nidaâ Tounes, Mohsen Marzouk, qui a réussi à rassembler des milliers de partisans au Palais des congrès de Tunis en tentant de récupérer l'âme de Nidaâ Tounes. L'électorat potentiel de Nidâa Tounes, et plus particulièrement les femmes progressistes qui sont les plus farouches adversaires du mouvement Ennahdha, s'est en effet retrouvé dans les principes fondateurs du Néo-Nidaâ et l'anti-islamisme viscéral de son chef. Les répliques du séisme qu'a connu Nidaâ Tounes ne se sont pas arrêtées là. Dans la foulée de la mise sur orbite de Hafedh Caïd Essebsi, qui a reçu la «bénédiction» des islamistes lors du congrès de Sousse, 21 députés du parti vainqueur des dernières joutes électorales ont rendu le tablier pour former un nouveau bloc parlementaire, alors que huit autres ont démissionné du parti tout en préférant rester au sein du bloc de Nidaâ Tounes. L'ensemble des démissionnaires protestent contre une politique d'exclusion des principaux éléments de l'aile gauchiste de Nidaâ Tounes et le transfert dynastique du pouvoir au fils du président. Les vingt et un démissionnaires qui ont quitté le bloc Nidaâ Tounes devraient annoncer le nom de leur groupe parlementaire lors d'une conférence de presse prévu le 14 janvier. Conséquence collatérale de l'implosion de Nidaâ Tounes, Ennahdha est devenue la première force politique au sein de l'Assemblée des représentants du peuple, avec 69 sièges contre 65 sièges seulement pour Nidaâ Tounes. Cette montée en puissance du parti islamiste ne menace pas dans l'immédiat l'existence du gouvernement de coalition, qui comprend le mouvement Ennahdha. Nidaâ Tounes pourrait aussi procéder, selon certains bruits de couloirs, à une opération de «fusion-absorption» avec l'Union Patriotique Libre du richissime homme d'affaires Slim Riahi. Quoi qu'il en soit, le mouvement Ennahdha apparaît comme le grand gagnant des fissures de l'édifice Nidaâ Tounes. Outre la préservation de ses positions au sein de l'appareil d'Etat dans un contexte géopolitique régional devenu défavorable à la mouvance des Frères musulmans, matrice idéologique dont il est issu, le parti de Rached vient en effet de placer trois de ses proches à des postes clés: Omar Mansour à la justice, Mongi Marzouk ministre de l'Energie et des Mines, et Nejmeddine Hamrouni réintègre le Premier ministère en tant que conseiller en prospective. Zied Ladhari, ministre de l'Emploi et de la Formation professionnelle, unique ministre d'Ennahdha de l'exécutif sortant, a été également maintenu. Ennahdha a cependant perdu ses deux secrétaires d'Etat, victime collatérale de la disparition des dix-neuf secrétariats d'Etat visant à alléger la machine gouvernementale. Jomâa et Marzouki en embuscade Alors que le poids du nouveau parti de Mohsen Marzouk et ses compagnons reste à déterminer, deux autres grosses pointures de la scène politique s'activent dans tous les sens et attendent impatiemment leur heure de gloire. Revigoré par les 44,4 % des voix récoltés lors de la dernière présidentielle, l'ancien président Moncef Marzouki vient en effet de lancer son nouveau parti «Harak Tounes Al-Irada, en vue de s'affirmer en tant que chef de l'opposition et de se remettre en selle pour la prochaine présidentielle. L'ancien Premier ministre Mehdi Jomâa s'apprête, quant à lui, à annoncer la création d'un centre d'études qui aura pour mission d'engager des réflexions stratégiques sur l'avenir de la Tunisie à moyen et à long termes. L'ancien locataire du palais de la Kasbah a invité dans ce cadre la majorité de ses anciens ministres et collaborateurs à participer à ce laboratoire d'idées qui se penchera sur l'élaboration d'études prospectives et stratégiques dans les domaines du développement économique et social. D'après les observateurs, le centre d'études pourrait servir à Mehdi Jomâa de tremplin pour briguer la magistrature suprême lors de la présidentielle de 2019, dans la mesure où il permettra à l'ingénieur en mécanique d'élaborer un programme politique séduisant et surtout de rester sous les feux de la rampe médiatique. L'ancien directeur de la division aéronautique et défense de Hutchinson, filiale du groupe français Total, qui s'est reconverti dans le consulting, n'a d'ailleurs jamais exclu plus son retour sur l'arène politique. Dans un entretien publié le 3 juillet par le magazine «Harvard Political Review», il avait déclaré qu'il pourrait e créer un parti et même jouer un rôle de premier plan dans un avenir proche.