Ponctuelles, les artistes Jo Ann Morning et Rebecca Mann sont de retour pour une nouvelle exposition d'automne à la galerie Saladin. Couleurs, techniques variées et regards singuliers sont au rendez-vous jusqu'au 30 novembre La galerie Saladin accueille depuis le 10 novembre deux artistes américaines qui vivent en Tunisie et exposent régulièrement dans cet espace. Jo Ann Morning est Californienne et se dit subjuguée par les couleurs tunisiennes. Rebecca Mann vient de Boston et travaille dans un style qui donne une grande place à la représentation de la femme. Ceci dit, les deux artistes ont en commun un regard singulier sur la Tunisie, leurs recherches chromatiques et aussi l'usage de plusieurs techniques dans leur travail. Ainsi, Jo Ann Morning propose-t-elle des monotypes, des giclés retravaillés et des techniques mixtes alors que Rebecca Mann évolue aussi sur plusieurs palettes allant de l'huile sur toile au collage en passant par les monotypes et autres techniques mixtes. Chacune des deux artistes propose plus de trente tableaux ce qui donne au final une exposition d'envergure car elle comprend près de soixante-dix toiles. De plus, la diversité étant de mise, le regard se retrouve confronté à plusieurs univers et des tonalités caractéristiques de chacune de ces deux artistes. Un regard propre sur le paysage et les êtres Jo Ann Morning est à la fois habitée par la lumière et par Hammamet où elle vit. De prime abord, l'on ressent dans ses oeuvres la proximité de la mer et la douceur de la lumière. Ensuite, c'est la notion de rencontre qui s'impose à travers ses travaux. Rencontre des cultures en premier lieu car l'artiste a posé son chevalet aussi bien à Marrakech, Le Caire ou à Hammamet. Jo Ann Morning recherche le spécifique. Dans sa démarche, elle s'empare par exemple d'un paysage pour le restituer selon son regard propre. De même, elle croque des personnages atypiques qui, tout en ressemblant à chaque quidam, vont se retrouver transfigurés par un traitement plastique original et aussi un art consommé du détail qui saute aux yeux. Des médinas, des marines et des oeuvres plus intimistes composent sa nouvelle collection d'où ressortent plusieurs oeuvres dédiées au hammam. Tournant le dos à tous les clichés et poncifs, Morning va nimber d'un bleu aérien ses hammams, les peupler de créatures inachevées, dénudées mais très pudiques. Dans cette série dominée par l'oeuvre "Arôme de hammam", l'artiste parvient à évoquer la vapeur, la moiteur et le silence. Très expressives tout en étant impressionnistes, ces cinq oeuvres posent un regard inédit sur le hammam et constituent les pièces maîtresses d'une collection qui sait bouleverser l'agencement de ce qu'elle montre pour faire naître l'émotion esthétique. Lucioles, luminescences et taches diaphanes Rebecca Mann déploie une autre démarche et choisit des tonalités aussi lumineuses avec de nombreux contrepoints féminins. Silhouettes, études, variations sur le bleu donnent toute son étoffe à cette collection dont le fil rouge oscille entre la vision féerique et l'instant furtif d'une réminiscence. Dans le dispositif de Mann, les femmes sont partout et irradient le regard par la diversité dont les pare l'artiste. Lucioles, luminescences ou taches diaphanes interrompent les mouvements des personnages. Avec des pointillés, des stries et des rainures, Mann parvient à instiller de la grâce dans un geste anodin tout en jouant sur les contrastes entre le clair et le sombre. Toute en nuances, sa collection nous introduit dans un univers surréaliste dans lequel dorures et détails chromatiques contribuent à créer un monde propre, un monde dont la femme est la médiatrice qu'elle ressemble à l'Alice de Lewis Caroll, un souvenir de Klimt ou une danseuse en mouvement. Les titres de se oeuvres sont à cet égard évocateurs et nous mettent face à un "Pégase" en plein essor ou une "Cléopâtre" de toutes les vénustés. Lavandes , pollens imperceptibles et vol d'oiseaux fendant l'espace de la toile sont autant de prétextes pour Rebecca Mann dont trois collages capturent des attitudes à la fois fluides et figées et ouvrent une piste technique des plus engageantes. L'exposition des deux artistes est au-delà des oeuvres, un moment qui installe le regard dans la complexité de l'art et ses multiples reflets. Américaines, nos deux artistes le sont assurément, avec une incontestable fibre tunisienne qui modèle leur regard sur la couleur et leurs approches de la lumière.