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Chronique des arts: Houda Rajab ou l'art de revisiter la tapisserie artistique
Publié dans Le Temps le 09 - 12 - 2018

Houda Rajab est une jeune artiste tissière. Elle est déjà connue depuis presque deux décades. Elle a choisi, malgré les épreuves, les doutes et les hésitations de s'initier à ce métier d'art pour, peut-être, se faire une place au soleil dans le monde des arts de la tapisserie. Elle a constaté qu'il fallait conforter la tradition tissière en déperdition, et elle se propose aujourd'hui de développer en même temps ce métier dans le sens de sa rénovation et de sa modernisation en invoquant à sa rescousse l'art et le design. La problématique s'avère actuelle et la solution possible. Dans la mesure où la tapisserie semble présenter des potentialités sérieuses pour sortir de la crise où elle se débat.
L'adoption de techniques nouvelles, de matériaux performants et de fonctions novatrices en conformité avec les transformations sociales, architecturales et autres… et la nécessité de s'y adapter. C'est le prix à payer pour effacer la marginalisation dans laquelle se trouvent les productions traditionnelles artisanales.
Houda Rajab, à l'instar d'autres artistes du secteur pense pouvoir, à travers son travail de formatrice et de créatrice, participer à promouvoir des approches fonctionnelles alternatives propres à amoindrir la marginalisation de cet art, en sollicitant l'intervention d'envergure de l'art et du design, pour créer des œuvres significatives.
L'artiste nous a proposé dans le cadre de sa recherche de dévoiler dix-huit œuvres de moyenne dimension, exposées en 2005 à la galerie Essaâdi à Carthage. Treize ans après se tient la deuxième exposition personnelle regroupant vingt œuvres de grandes dimensions. L'artiste semble avoir pris tout son temps pour nous livrer les résultats d'une longue recherche pratique et esthétique qui semble avoir institué une distinction entre la première et la deuxième exposition et qui a introduit également des différenciations à l'intérieur d'un mouvement de cinquante ans institué par des artistes comme Hmida Wahhada, M'hamed Mtimet, madame Safia Farhat, Mohammed N'jah…etc.
Les tâches de certains de ces artistes pionniers comme celles de Madame Safia Farhat et H'mida wahada consistaient à, répertorier, d'abord les caractéristiques générales des travaux traditionnels de la tapisserie, ensuite résister à l'abandon et à l'effilochement de cette tradition, puis à promouvoir une formation universitaire et, en dernier lieu susciter des vocations artistiques dans leur domaines.
Ces missions ont abouti à asseoir une pratique nouvelle en créant un enseignement de spécialité tapisserie à l'Ecole des Beaux-Arts de Tunis, Ecole qui a pris en 1972, le nom de "ITAAU" qui a continué la même démarche.
La délégation régionale de l'artisanat de Gafsa dirigée par le tissier Hmida wahhada a permis à tous les étudiants stagiaires de la spécialité de parfaire leur métier et de réaliser leurs créations. C'est ainsi que d'autres artistes ont pu être initiés à l'art de la tapisserie comme : Ben Ghorbel, Ali Nacef Trabelsi, Fatma Samet… et aujourd'hui Houda Rajab.
Houda Rajab continue cette expérience comme l'une des héritières spirituelles de la reconversion de la pratique artisanale en pratique artistique radicale. Ce projet qui était essentiel pour les promoteurs de cette démarche obtint des résultats probants qui se sont traduits par une production remodelée, re-fonctionnalisée à travers des œuvres de plus en plus inventives et de moins en moins immédiatement utilitaires.
Une série de klims de H'mida wahhada et d'autres artistes furent appréciés pour leur dimension artistique : le Président Bourguiba lui-même a fait faire pour son palais de Skanès quatre œuvres de klims projetées par un cartonnier français Hervé Lelong et réalisés en collaboration avec H'mida Wahhada et ses artisanes. En outre Bourguiba tenait toujours à faire visiter l'atelier de tissage de Gafsa à toutes les personnalités qui venaient en visites d'Etat en Tunisie.
Mais, avant qu'il n'atteigne ses hautes cimes de prestige et qu'il ne devienne objet de considération et de collections (des banques, des grandes entreprises nationales, de l'ONA…), le Klim a adopté les apports artistiques dominants du mouvement pictural tunisien et surtout des artistes comme Safia Farhat, de Mohammed Njah et de bien d'autres. Le chemin parcouru artistiquement et historiquement par le klim, comportait des glissements, quelques ruptures au niveau de la décoration mais aussi au niveau de la fonction.
Le tissage du Klim, avant ces modifications, était connu comme une production de tapisseries de haute lisse (ou lice) à tissage ras. Sa décoration impliquait des bandes tissées, colorées, parallèles, simples; mais aussi par une décoration plus riche, modulaire, de représentation stylisée (géométrique) de chameaux, de poissons, de soldats etc. Les transformations se sont développées d'une manière sereine et sans heurt. Les tentatives artistiques qui ont touché le Klim l'ont été, parce qu'elles étaient favorisées par la facilité de la mise en œuvre de ce dernier et c'est ce qui explique leur véhémence par rapport à celles que l'on constate dans le domaine artisanal, dont « l'évolution » est plus lente. Et le travail de Houda Rajab s'insère dans cette passionnante aventure.
La première exposition de tapisserie de Houda Rajab
Cette exposition s'intègre donc dans la problématique de réaménagement de la tapisserie utilitaire, simplement décorative, vers une œuvre d'art autonome pleine et entière. La démarche engagée par l'artiste lors de cette première exposition est celle, évidemment, d'une artiste plasticienne initiée aux techniques de la tapisserie : capable de produire son carton, sa maquette à l'échelle réelle et ses gammes de couleurs : Construisant élément par élément l'œuvre, la structurant graphiquement et chromatiquement en coordination avec les artisanes chargées de l'exécution du carton. Dans cette exposition les œuvres proposées semblent exprimer la préoccupation esthétique de l'artiste, octroyant à la partie basse de la tapisserie un rôle primordial dans la composition, lui confiant par rassemblement des fils et éléments plastiques, le rôle du "poids" effectif et esthétique de l'œuvre.
Les éléments de la représentation au niveau de presque toutes les tapisseries versent dans la mise en valeur d'un volume, non seulement symbolique mais concret et quelquefois même projettent des figures plastiques presque naturalistes, faisant mouvoir un champ d'épis de blé fictif dans une sorte de murmure sans fin d'un vent imaginaire. D'autres tapisseries aux tentures matiéristes laissent deviner un discret et fugace jeu d'ombre et de lumière qui ne trouble guère la sérénité de la composition.
Houda Rajab pense, par ailleurs, pouvoir, à travers son travail de formatrice, promouvoir des approches fonctionnelles alternatives propres à amoindrir la crise qui frappe la tapisserie en engageant des recherches plastiques d'envergure.
L'exposition de 2005 très homogène au niveau de la présence incantatoire d'éléments proches du réalisme, a été suivie treize ans plus tard par une deuxième exposition personnelle en 2018.
L'exposition 2018 : La rupture
Cette deuxième exposition semble couper court à toutes les références impliquées dans la première. Les œuvres proposées ne sont plus tournées vers un tissage en relief tendant vers l'implication d'une représentation fictive impliquant la présence de figures à peine suggérées et l'utilisation de couleurs "rompues".
Ici l'approche change et se dirige vers une rupture, presque totale, d'avec les éléments "iconographiques" dominants dans l'exposition de 2005. Surtout par rapport au "matièrisme" qui est réduit aujourd'hui à sa plus simple expression. Les éléments qui structurent les œuvres ne sont plus de l'ordre du relief mais de la surface et de la "platitude" de la texture et de sa mise en œuvre graphique et chromatique, nous rappelant le travail purement plastique définissant le tableau… de peinture selon l'approche faite par Maurice Denis.
Les graphismes semblent être inspirés par la calligraphie arabe mais qui n'atteignent jamais la plénitude de ses formes et de ses sens. Le recours à l'arabesque s'arrête aux portes du mouvement et se maintiennent au niveau d'un geste primaire de cercles de segments de droite de points de courbes qui pullulent et se multiplient en signes cabalistiques et en mouvements curvilignes. Et nous savons que la réalisation de l'élément curviligne et très difficile en tapisserie.
Les dimensions impressionnantes des œuvres octroient à ces tapisseries un caractère monumental évident. Leurs surfaces sont parcourues par des mouvements colorés très dynamiques mais qui restent lyriquement informels rappelant de loin les travaux de Mathieu ou ceux de Kandinsky.
L'artiste semble ici, ouvrir "une fente dans le chaos" tel que Gilles Deleuze en parle dans son livre « Qu'est-ce que la Philosophie ? ».
Aménageant cette "fente" l'artiste se laisse envahir elle-même par ce formidable appel des forces obscures des mondes de tous les débuts. elle tentera alors de dominer cet informel par une mise en œuvre en la structurant et en y introduisant un ordre et une configuration graphique et chromatique nouvelle et originale. Cette démarche est emblématique de toutes celles qui tendent à trouver un sens à ces recherches actuelles développées par tant d'artistes dans d'autres domaines qui tendent toutes à instaurer un ordre plus esthétique qu'utilitaire.
Houda rajab s'engage dans un travail structurant des univers informels qu'elle a affrontés pour en extraire leur épaisseur leur richesse leur complexité et leur sens. Tout cela exige un savoir et un savoir faire spécifique et une technicité adéquate. Cette exigence concerne la confection de cartons et de tout ce qui est propre à les réaliser, entre autres les compétences que le métier exige : savoir lire le carton et savoir le réaliser. À ce niveau les artisanes tissières de Gafsa ont été formées dans ce sens déjà du temps de Hmida Wahhada et de ces femmes fabuleuses comme Fatma Ghléla, Hallouma saoudi, Aïcha Zaïer et tant d'autres qui ont accompagné les artistes à gagner leur pari de remodeler l'activité de la tapisserie en la menant sur la voie de l'art. Ces artistes ont pour noms ceux que nous avons déjà cités ainsi que celle qui nous donne aujourd'hui l'occasion d'en parler : Houda Rajab.Houda Rajab a certainement beaucoup fait pour promouvoir la tapisserie artistique et elle n'a nullement besoin d'entendre un discours complaisant en faveur de son travail. Libre, responsable d'elle-même, héritière d'un métier ancestral, elle est, avec d'autres artistes, gardienne du temple d'un art qui se fait concrètement, mais qui traverse des heures difficiles. Elle défend un métier ardu enraciné dans la matière, et elle rejette les fausses solutions d'un art virtuel et éphémère que certains proposent comme solution visant au développement d'un art qui se déploie dans la durée et dans la liberté de création et d'expression.


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