Ce jeudi 13 janvier 2011, à la veille de la journée historique de vendredi 14 janvier 2011, avec le couvre-feu instauré, tout le monde, dans le Grand Tunis, chargé de lourdes provisions, rentrait en hâte, chez eux, se mettre en sureté. Tout près, des jeunes tunisiens anonymes, cagoulés et à visage découvert, affrontaient avec des pierres et des projectiles divers, aux alentours du Parc Habib Thameur, en plein Centre-ville de la capitale, les policiers armés de fusils d'assaut de l'ancien régime, qui tiraient sur eux à bout portant. C'était l'un des derniers carrés de ces jeunes tunisiens révoltés, sortis, spontanément, un peu partout en Tunisie, en cette fin de l'année 2010, combattre, à eux seuls, les mains nues, l'injustice et la tyrannie à travers leurs symboles représentés par la police et la gendarmerie. En l'espace d'une vingtaine de jours, tout l'édifice qu'on croyait imprenable s'était écroulé. Mais, voilà qu'aussitôt rassurés du départ forcé du maître des lieux, les charognards à l'affût se sont précipités de partout pour se partager les restes. Au début cynique, la récupération de l'historique révolution tunisienne du 14 janvier 2011 par la nouvelle classe d'arrivistes est devenue, aujourd'hui, flagrante. L'un des plus grands bénéficiaires, le mouvement islamiste Ennahdha vient de le déclarer, ouvertement, prétendant dernièrement en être le ferment et le détonateur. Ce mouvement ne pouvait pas s'attribuer une quelconque participation active. Ses leaders se la coulaient alors douce dans des hôtels et des résidences de standing à l'étranger, tandis que leurs troupes étaient emprisonnées, suite à des condamnations par la justice pour complot et atteinte à la sureté de l'Etat. Ironie du sort ! Par ce renversement des valeurs fréquent dans l'histoire humaine, le président de la république, Béji Caïd Essebsi, à qui revient le mérite incontestable, en tant que premier ministre à l'époque, d'avoir canalisé pacifiquement le soulèvement populaire tunisien vers l'instauration d'un Etat démocratique, est aujourd'hui «diabolisé». Ce fut l'espace d'une année. On lui devait aussi l'endiguement de la tentation totalitaire montrée par Ennahdha, au lendemain de son triomphe dans les premières élections générales réellement démocratiques en Tunisie, organisées fin 2011. Quoique totalitariste, Bourguiba avait néanmoins raison de se méfier de la démocratie formelle électoraliste se fondant sur la manipulation démagogique des peuples, mais à ces défauts, la démocratie tunisienne naissante, outre la dilapidation des richesses nationales, a su cultiver, avec un art particulier, l'immoralisme et la médisance.