La disparition d'Albert Uderzo invite à un regard rétrospectif sur soixante ans de création et une multitude de personnages. Depuis le magazine Pilote jusqu'aux dernières aventures d'Astérix, la créativité de ce dessinateur restera un repère pour les générations. Le paradoxe de la bande dessinée en Tunisie, c'est qu'il existe quelques festivals et salons sans que ne se déploie un marché véritable. Un tour en librairie permet de facilement constater que l'offre dans ce domaine est quasiment nulle. Le seul espace qui propose au public de découvrir des bandes dessinées n'est autre que la Médiathèque de l'Institut français. D'ailleurs, cet institut et de rares partenaires sont les seuls qui couvent la vie du neuvième art en Tunisie. Il n'est pas surprenant dans ces conditions que la disparition du dessinateur Albert Uderzo soit passé relativement inaperçue. Le monde fabuleux d'Astérix et ses compagnons Pourtant ce dessinateur résume à lui seul un pan entier de l'histoire de la bande dessinée française et internationale. Connu à travers le monde grâce aux aventures d'Astérix et ses compagnons, Uderzo a longtemps dessiné des dizaines de personnages qui vont d'Obélix à Idéfix en passant par les Gaulois du mythique village retranché. Son trait précis et son extraordinaire faculté à reproduire des ambiances historiques, ont immédiatement fait mouche. Et depuis le lancement d'Astérix en 1959, la notoriété d'Uderzo est allé crescendo. Ces dernières années, il avait toutefois passé la main et vu son âge vénérable, avait laissé d'autres dessinateurs le relayer. De fait, lui même avait pallié la disparition de son complice René Goscinny, décédé en 1977. Uderzo avait poursuivi l'aventure en solo, créant au passage de magnifiques aventures et poursuivant le cycle de cet inoxydable Astérix. Aujourd'hui, Astérix est un mythe français. Ses créateurs sont moins connu que le personnage qui a désormais une existence autonome. Traduit dans des centaines de langues y compris le Latin, le corpus Astérix est étudié et célébré comme une passion française. D'ailleurs en ce temps de pandémie, on peut se plaire à imaginer Obélix avec sa potion magique, ayant raison du péril et l'affrontant avec le courage requis. On peut tout autant imaginer le téméraire Astérix fonçant dans le tas et conjurant le mal par la ruse et une extraordinaire capacité de résilience. Ce village gaulois qui seul résiste à l'implacable avancée des Romains n'est-il pas une métaphore avec laquelle il faudrait compter? N'avons-nous pas vu ces derniers jours, le médecin français Raoult comparé au druide Panoramix? C'est en effet ce personnage qui prépare la fameuse potion magique qui donne une force exceptionnelle à qui la boirait comme le médecin contemporain qui travaille en laboratoire. Uderzo et les bédéistes tunisiens Si Uderzo est surtout connu pour les aventures d'Astérix - il a aussi dessiné le cycle Tanguy et Laverdure également paru dans Pilote -, son compère Goscinny a été autrement prolifique. On lui doit trois autres personnages connus de tous et appréciés par les bédéphiles. Il s'agit de Lucky Luke dont il signait les scénarios pour le dessinateur Morris, Iznogoud qu'il a créé avec Tabary et aussi le Petit Nicolas dessiné par Sempé. C'est avec Goscinny que le rôle du scénariste dans la bande dessinée a été pleinement reconnu. Disparu à l'âge de 51 ans, Goscinny laisse un fabuleux héritage aussi bien en papier qu'en pellicule puisque la plupart de ses personnages sont passé sur grand écran. Au-delà, Goscinny est le socle de toute la génération Pilote, un magazine dont il fut longtemps le rédacteur en chef. En ce temps, Pilote, Spirou et Tintin seront en Europe les concurrents de la planète Disney. Face à Mickey Mouse, ils seront nombreux les personnages à surgir de l'imaginaire des dessinateurs et scénaristes belges et français. Que ce soit le groom Spirou, le reporter Tintin ou le fier Astérix, ils seront plébiscités par le public et donneront un élan conséquent au neuvième art francophone. On pourrait citer de nombreux autres personnages qui viendront à la rescousse de la culture populaire de l'époque, également dominée par la bande dessinée italienne. Les studios italiens sont en effet à l'origine de plusieurs héros d'illustrés qui, à l'image de Blek le Roc ou Tex Willer, ont été très populaires en Tunisie. Plusieurs artistes tunisiens se sont également essayés à cet art qui a eu pour havre local des revues comme "Irfan" ou "Qaous Aouzah". Aujourd'hui, de nouvelles initiatives voient le jour en Tunisie et dessinent des jours meilleurs pour la bande dessinée qui a trouvé ses nouveaux relais mais reste désespérément en quête d'un marché viable et durable. Verrons-nous un jour poindre à l'horizon, une initiative similaire à celle de Pilote qu'avaient lancé René Goscinny, Albert Uderzo et leurs amis? C'est tout ce que nous souhaitons à la bande dessinée tunisienne qui, elle aussi, a une dette envers le grand Albert Uderzo qui vient de nous quitter.