« Dieu Est Amour » : c'est l'intitulé de l'un des ouvrages du grand islamologue Mohamed Talbi. Il prend sur lui, aussi, cet « Amour » : « je ne crains pas Dieu parce que je L'aime ». En ces temps où, partout, et dans toutes les religions, des mains s'élèvent vers le ciel pour invoquer la miséricorde de Dieu, les exégètes, les savants de la religion, les islamologues de chez nous et tous ceux qui sont éparpillés de par le monde, se confinent dans le silence. Un Mufti, craignant on ne saurait dire quoi, ne parle pas, ne réagit pas. Les savants de l'Université théologique de la Zitouna n'éclairent pas les adeptes sur le rapport de la religion à la science, au rapport de la religion à l'Etat « guerrier » contre un ennemi invisible. Juste des minarets qui psalmodient à longueur de journées des versets du Coran est que, presque personne, n'écoute. On n'en est plus là à s'interroger, comme l'a fait Talbi, sur l'abolition de la Charia pour redonner toute sa dimension au seul Coran. On n'en est plus là, non plus, à devoir, comme le déclare encore le très controversé Talbi (Nouvel Obs), de ne devoir s'affirmer musulman qu'en en vertu d'une triple adhésion : adhésion au témoignage, adhésion au langage, adhésion d'observance. Mais, le fait est là, le questionnement est lancinant : quel rapport de la religion à la science en ce contexte de pandémie ? L'Islam, religion du Savoir : « Iqrâa » (la première sourate du Coran) interpelle plus que jamais les théologiens eux-mêmes. Einstein -décidément encore lui- disait ceci : « La science sans la religion est boiteuse, la religion sans la science est aveugle ». La laïcité à l'épreuve de la pandémie On ne saurait dire si ce silence est la conséquente du modèle de laïcité de l'Etat. A contrecœur, les islamistes ont dû accepter que le fameux article de la Constitution de 1959, la Constitution de Bourguiba, fût reconduit dans celle rédigée après la révolution. C'est simple : l'article dit que la Tunisie est une république et que sa religion est l'Islam. Une religion d'Etat, avec toute sa magnificence, mais pas un Etat religieux, avec ses avatars et ses relents obscurantistes. C'est le modèle qui sied à cette Tunisie, confluent des ethnies, creuset des civilisations et modèle, plus que tout autre pays de la rive sud de la Mare Nostrum, du multiculturalisme. Peut-être, sans doute, nos savants théologiques, ceux qui ont suivi un cursus basé sur « Le tanwir », en d'autres termes, les « Lumières » de la religion, dans le modèle malékite sunnite, font-ils face aux contrevents de l'obscurantisme religieux, à la contre-révolution, cheval de Troie de certains partis qui ne démordent pas. « Islamiser le modèle de société par le seul biais rédempteur de la Charia », ne sachant pas, dans leur aveuglement, que ce sont les enseignements coraniques qui y sont mis à mal. La Sunna y est tout autant mise à mal. Anonner les mêmes redites depuis des siècles, c'est aller à contre-sens de la parole théandrique entièrement divine, en amont, proclamée par le Coran. Fossé de quatorze siècles-lumières L'Etat, on s'en doute, dans cette guerre des urgences, n'a peut-être pas le temps de se référer aux savants de la religion. Il ne saurait endiguer non plus cette vague de « Takbir », vague bravant tous les confinements, bravant le Covid-19, défiant tous les dispositifs sécuritaires aussi. A cela, s'ajoutent le charlatanisme au nom de la religion et toute son armada de « guérisseurs » et la déferlante des hérétiques et des exorcistes qui envahissent la toile. A-t-on pris, au moins, le soin d'écouter ce que débite le radio-pirate répondant au nom de « Radio-Zitouna » ? Et, cette HAICA, si prompte à verbaliser les dérapages des chaines généralistes, n'est-elle pas, elle aussi, dans l'envoûtement maléfique que déverse cette chaîne ? A ce point, l'Etat est incapable d'en interdire l'accès aux ondes hertziennes ? Voilà donc, où ces « illuminées » -dont bon nombre se trouve au sein du Parlement même- veulent mener le bon peuple. Quatorze années-lumière en arrière ! C'est ce moment précis que les obscures alcôves de l'intégrisme choisissent pour projeter un discours dérogeant à l'impératif d'Etat, à cet effort de guerre pour lequel l'on appelle à la mobilisation générale. Leur souci majeur ? Les mosquées qui ont poussé comme des champignons pour se garantir le paradis éternel. Et, cela, alors que la Santé publique restait à la traine. Le danger dans tout cela, c'est que ces discours d'un autre âge font, par ailleurs, le lit du terrorisme. Nos forces armées et nos forces sécuritaires, en première ligne, tout autant que l'Armée des blouses blanches, ne baissent pas la garde. Des loges secrètes actionnent les cellules dormantes du terrorisme. Et, on l'a vu, il y a deux jours. Des menaces de mort, aussi, contre des personnalités politiques, qui ne partagent pas leurs convictions, sont proférées. Et, l'on imagine leur colère, face aux timbres portant les effigies de Belaïd et Brahmi…. Sur ce front, l'Etat doit absolument bouger. Mais, au-delà de l'Etat, les savants de la religion doivent, eux aussi, aller au front. On a vu l'admirable Cheikh Badri Madani le faire sur la chaine Al Hiwar : ses paroles sont d'une grande pertinence. A savoir, l'impératif de « dictature de la citoyenneté », ou encore celui d'en finir avec « les mains tremblantes » pour mieux affronter le mal. Lui, il l'a fait. Mais, où sont passés les autres ? Comment faire comprendre aux âmes faibles et aux faux dévots que la fermeture des mosquées est tout à fait légitime et ne contrevient pas aux préceptes religieux ? Comment leur faire comprendre qu'ils n'iront pas en enfer s'ils ne font pas le rite de pèlerinage ? Comment leur faire accepter la contrainte de devoir renoncer aux prières du « Trawih » dans les longues soirées ramadhanesques ? En fait, plus les lieux du culte sont peuplés et plus on s'interroge sur le culte. Parce que le culte n'est pas le même pour tous. Parce qu'on oublie que « Dieu est Amour »