La blague du jour nous vient, comme vous pouvez le deviner par temps de confinement, de l'Assemblée des Représentants du Peuple, avec son texte d'anthologie, intitulé : « Projet de loi portant transfert des propriétés, droits et engagements de l'Etat, concernant les passages frontaliers terrestres, à l'Office National des Passages Frontaliers Terrestres ». Soit en somme, le transfert à l'Etat de son propre patrimoine ! A une différence de taille, l'Etat bénéficiaire est cette fois le ministère des Transports, ce qui réduit énormément la définition même des « zones frontalières » dans le droit tunisien et international. A parcourir ce qui tient lieu de note explicative, « explication des causes », on ne trouve aucune trace ni des causes « réelles » ayant motivé, sur terrain, ce morceau de prose inédit en dehors du langage juridique, politique, ou même économique, ni des objectifs d'une telle prouesse législative. La note est une suite de références à des textes remontant à 2016, ayant « donné naissance », et non institué, le fameux nouvel Office National des Passages Frontaliers, sans en citer le siège, ni en préciser les attributions. Il est donc tout à fait légitime de jeter un regard rétrospectif sur ce nouvel animal parlementaire né en 2016, en catimini, et sorti de nulle part en pleine crise du coronavirus, afin de soustraire à la loi sur les « zones frontalières » des zones où le commerce anarchique prendrait pied au nez et à la barbe des organes régaliens comme la douane, les forces de sécurité et l'armée. Selon cette explication en une page et demie, les zones frontalières, grâce à ce projet grandiose, feront office de zones informelles de libre échange…sous la houlette, non pas du ministère du Commerce, mais de celui des Transports ! Après transfert de la propriété, l'Office, dont l'autorité de tutelle est le ministère des Transports, procèderait à la location des locaux ainsi « nationalisés ?» aux privés, qui les exploiteraient sous diverses vocations, commerces, casinos, manèges etc. Un office sur papier ! Ce qui gêne le plus, c'est le caractère tout à fait fortuit de ces textes qui émergent au Bardo en des temps particuliers, pour traduire non pas des besoins réels du moment, mais comme instruments de diversion systématique, et préméditée de longue date (2016). A ce titre, on peut dire que l'ARP dispose d'un arsenal de textes et de projets de diversions qui dépasse de loin les cinq ou six lois adoptées en l'espace de six mois bientôt. La suspicion méthodologique s'accroit quand on déterre de tels textes au moment où le trafic transfrontalier est pratiquement à l'arrêt. Il y a tout lieu de penser qu'une telle méthode épouse plus les pratiques louches de la pègre que les traditions parlementaires connues. A parcourir le texte de ce projet, l'on est tenté de s'interroger si les députés de l'actuelle ARP vivent sur la même planète que nous. Normalement, un projet de loi devrait faire l'objet, AU PREALABLE, d'un débat national impliquant tous les « ayant droits » du thème en question, spécialistes de tous bords, plus l'opinion publique, laissée jusqu'à maintenant aux mensonges mystiques des mosquées et des escrocs mystificateurs de tous bords. Or, le nom même de cet Office « nouveau » n'avait jamais été mentionné par un responsable, ne serait-ce que sous forme d'incise, dans un média de la place. Sur la méthodologie de la rédaction du projet, n'en parlons pas ! Un chapelet de renvois à des textes, sans commune mesure avec la réalité prévalant sur le terrain. Ce qui fait fonction d' « explication des causes » est, à 90% une paraphrase du texte du projet lui-même. Des confusions préméditées : Transfert ou mutation ? Pour résumer cette épopée juridique coronarienne, disons que notre législateur tente une mutation et non un transfert de propriété de l'Etat, à une autre branche du même Etat, afin d'en changer la vocation, loin des autorités « compétentes » de Souveraineté, entendez les ministères de la Défense Nationale, de l'Intérieur, et du Commerce. Les auteurs de cette malheureuse trouvaille entendent faire gérer ces zones par contrats entre le ministère des Transports, au lieu de celui des domaines de l'Etat, ou du département du Commerce, à l'instar de ce qui est d'usage avec les terres agricoles et leur ministère de tutelle. Si l'on suit la logique de nos députés, il faut vite dissoudre le ministère des Domaines de l'Etat, de répartir ces domaines aux différentes institutions de l'Etat, le reste, d'un tour de vis, sera considéré comme des Hobous, et alloué au ministère des Affaires religieuses, afin de trouver du travail à la « Direction du Saint Coran » par exemple! Pourtant il y a mieux en plus honnête. On peut consacrer un minimum de temps, en cette période de confinement, afin de parachever l'instauration de la Cour Constitutionnelle par exemple, une action de loin plus honorable en ces temps de déshonneur programmé de l'Etat, et afin de se démarquer un tant soit peu de cette tendance à réduire l'Etat à sa plus mince expression. Pour l'instant, les zones frontalières terrestres ne sont ni à transférer, ni à vendre, ni à louer. Le projet de loi tel que présenté, avec son «Explication des causes» ne vaut pas un quart d'heure de débats, sous l'hémicycle, sur les modalités pratiques de la lutte contre l'un des fléaux qui se tiraillent le pays, le coronavirus, la corruption, la spéculation, et les commerces illicites qui disputent désormais à l'Etat… sa souveraineté pleine. En ce disant, nous aurons épargné à nos chers lecteurs de longues dissertations sur les incidences de ces zones suspectes sur les périmètres municipaux, car quand on dit le passage de Sakiet Si Youssef, par exemple, on parle du périmètre municipal de cette ville. Dhehiba Wazen aussi. Quel profit tireront ces municipalités de ces zones municipales (en partie), en matière de taxes et d'impôts ? Bref, le présent projet a tout l'air d'avoir été concocté en conclave, pour ne pas dire, comme Kaïs Saïed, en chambre close. Il dépend donc d'une série de communiqués clairs et nets de la part de toutes les parties prenantes, avec en premier lieu les différents départements de l'Intérieur, de la Défense Nationale, des Affaires locales, des Domaines de l'Etat, du ministère des Finances et des douanes, en plus des avis des différentes villes et villages jouxtant ou incluant ces zones. Sinon, on aura passé deux semaines de palabres sous l'hémicycle, à remuer un « cadavre exquis ».