Samir Abdelhafidh aux JE à Sousse : Osons l'innovation, poussons la compétitivité (Album photos)    Programme JCC 2025 : salles et horaires des films et où acheter les billets de la 36ème session des JCC    De Villepin aux JE à Sousse: Cinq orientations pour les relations Europe, Maghreb, Afrique et Moyen-Orient    Kairouan : début des travaux du nouvel hôpital universitaire Roi Salman Ibn Abdelaziz    De Villepin aux Journées de l'Entreprise: éviter les impasses, devenir un carrefour euro-africain    La Cheffe du gouvernement : Le développement des zones frontalières, une priorité commune entre la Tunisie et l'Algérie    Algérie vs Emirats : Où Suivre le Quart de Finale en Direct ?    Arnaques en ligne en Afrique : une menace en pleine expansion    Le ministre de l'Economie a annoncé : Prochainement, certaines autorisations administratives seront abrogées    Sofiene Hemissi : Une Appli Unique pour Connecter les 24 Ministères    Douanes : La Tunisie Vise 30 % de Numérisation des Procédures d'ici 2026    Hommage à Amor Toumi: une vie dédiée à la pharmacie, à la santé publique et à l'action internationale    Fierté Nationale : La Tunisie Remporte 3 Médailles de Bronze aux Jeux Africains de la Jeunesse    Rues sales = chiens agressifs...le doyen explique la cause    Dar Ben Abbes: Une résidence d'artistes inspirante à Téboursouk    Brouillard et Pluies : Alerte Météo pour Vendredi    Crise Pharmaceutique : Le Conseil des Pharmaciens Demande une Intervention Urgente du Gouvernement    CAN 2025 : la liste officielle des joueurs de l'équipe nationale dévoilée    Tunis–Alger : une visite décisive pour relancer le partenariat stratégique    Mohamed Heni El Kadri : Pour une gouvernance moderne appuyée par la recherche économique    LEBRIDGE25 – Tunis : un événement pour connecter startups, entreprises et investisseurs    Hommage à Salem Loukil: La gestion par les valeurs... et le sourire    Météo en Tunisie : temps brumeux le matin et pluies éparses    Comment se présente la stratégie américaine de sécurité nationale 2025    Hajj 2026 : le coût du pèlerinage pour les tunisiens fixé par le ministère des affaires religieuses    Titre    Tunisie 2027 : Capitale arabe du tourisme et vitrine du patrimoine    La Chute de la Françafrique: Comment Paris a perdu son Empire Informel    Décès soudain de l'ambassadeur russe en Corée du Nord    Chrome booste le remplissage automatique : plus rapide et plus précis !    In mémorium - Hammadi Ben Saïd, un journaliste qui a honoré le métier    La photographie comme mémoire vivante: l'œil, le regard et la vérité    La résolution 2803 du Conseil de sécurité: Est-elle un prélude à une paix durable et juste à Gaza?    Un séisme de magnitude 5,8 frappe la Turquie    Tahar Bekri: Je voudrais t'aimer monde    Le palais Ahmed bey à la Marsa célèbre le nouveau livre de Mohamed-El Aziz Ben Achour : La médina (Album photos)    Hafida Ben Rejeb Latta chez les rotariens de Tunis, Carthage, la Marsa et Sousse (Album photos)    Match Tunisie vs Qatar : où regarder le match de Coupe Arabe Qatar 2025 du 07 décembre?    Entrée gratuite demain dans tous les sites historiques et musées : profitez-en !    JCC 2025, la Palestine au coeur des journées cinématographiques de Carthage : jury, hommages et engagements    Match Tunisie vs Palestine : où regarder le match de Coupe Arabe Qatar 2025 du 04 décembre?    La sélection tunisienne féminine de handball marque l'histoire : 1ère qualification au tour principal Mondial 2025    Des élections au Comité olympique tunisien    La Poste Tunisienne émet des timbres-poste dédiés aux plantes de Tunisie    Sonia Dahmani libre ! Le SNJT renouvèle sa demande de libération des journalistes Chadha Haj Mbarek, Mourad Zghidi et Bourhen Bssaies    Secousse tellurique en Tunisie enregistrée à Goubellat, gouvernorat de Béja    New York en alerte : décès de deux personnes suite à de fortes précipitations    Le CSS ramène un point du Bardo : Un énorme sentiment de gâchis    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Mort d'Albert Memmi, le Tunisien tourmenté
Publié dans Le Temps le 04 - 06 - 2020

Albert Memmi s'est éteint avant de boucler un siècle. Il aurait eu cent ans le 15 décembre 2020. Nous l'avons rencontré, ma femme et moi, tardivement, au moment où les efforts que faisait le régime de Ben Ali pour ramener en Tunisie les Juifs tunisiens qui avaient quitté notre pays en 1956 ou en 1967 commençaient à donner leurs fruits et où plusieurs figures prestigieuses comme la sienne commencèrent à retraverser la Méditerranée et à rétablir les ponts avec le pays natal. Je l'avais interviewé pour RTCI dans le cadre d'« Intermèdes littéraires », mon émission littéraire hebdomadaire, je ne me souviens plus quelle année, peut-être 1986 ou 1987 mais, depuis, nous n'avons plus perdu le contact. Son retour à Tunis était lié à ses anciennes amitiés qu'il retrouvait avec un plaisir enfantin mais aussi à ses nouvelles accointances avec une génération qui n'était pas la sienne mais qui l'avait lu et avait travaillé sur son œuvre, la nôtre, précisément. Il avait accepté, en 1999, d'animer à l'Ecole normale supérieure ressuscitée par feu Dali Jazi et dont j'étais le directeur, plusieurs activités scientifiques autour de son œuvre, colloque, conférences, rencontre avec les étudiants et le public. Les actes du colloque, sous le titre Journée scientifique Albert Memmi, ont été publiés et nous avons été plusieurs universitaires, jeunes et moins jeunes, à proposer des éclairages de son œuvre dans des articles de revues et des travaux de colloques, durant les trente dernières années.
En 2010, Individu et communautés dans l'œuvre littéraire d'Albert Memmi, ouvrage à deux mains d'Afifa et Samir Marzouki, préfacé par Albert Memmi, succéda à Albert Memmi, L'Aveu, le plaidoyer, ouvrage que lui consacra feu Magid el Houssi, universitaire tunisien exerçant en Italie, en 2004. Cette attention que les chercheurs tunisiens portaient à son œuvre le comblait parce que, pendant longtemps, à la suite de son choix de quitter le pays pour la France alors qu'il y enseignait et qu'il y écrivait dans le journal indépendantiste L'Action, aux côtés de Bourguiba, Béchir Ben Yahmed, Mohamed Ben Ismaïl et d'autres mais aussi après ses polémiques autour du conflit israélo-palestinien avec certains intellectuels arabes comme Abdelkébir Khatibi, il y avait eu une sorte de black-out de fait sur son œuvre. Je me souviens des débats suscités à la faculté où j'exerçais par la proposition de mettre au programme de la maîtrise de français sa Statue de sel, un classique de la littérature francophone et un roman profondément marqué par la Tunisie.
Toute l'œuvre de Memmi est du reste marquée par la Tunisie de façon indélébile. J'ai longtemps cru, ayant assez vite lu son recueil de nouvelles, Térésa et autres femmes, que ce dernier texte de fiction signait le passage à une inspiration plus française mais, ayant relu ce livre pour les besoins d'un article sur la perception de la France dans l'ensemble de son œuvre, je me suis aperçu que, si les lieux qu'il évoque sont pour l'essentiel parisiens, il n'en demeure pas moins que les souvenirs de Tunisie y sont présents et que le terreau imaginaire autochtone qui est celui de ses romans et de ses deux recueils de poèmes y est le même.
Cette Tunisie l'habitait dans son séjour parisien au point que la mansarde dont il avait fait son bureau, au-dessus de son appartement du 5 de la rue Saint-Merri, était un petit morceau de Tunisie avec ses meubles, ses tissus d'ameublement, ses tapis, ses peintures et ses objets. Sa relation avec la Tunisie était complexe, une relation passionnelle, « ni je te n'aime ni je ne supporte ton absence » comme dit le dicton qu'il connaissait bien. Il l'avait d'ailleurs écrit dans cette phrase déchirante du Scorpion: « Ce pays hors duquel n'importe où je serai en exil ( …) ce pays dans lequel je n'ai jamais cessé d'être en exil ». Cette ambivalence est due aux diverses composantes de sa personnalité, sa judéité, pourtant en rien religieuse car il était totalement et activement incrédule, sa tunisianité, sa culture française qui n'ont pas toujours fait bon ménage dans sa tête et dans son corps mais qui s'étaient apaisées avec l'âge et la série des Bonheurs, ces billets du Monde qui l'ont parfois mieux fait connaître que ses deux chefs-d'œuvre, la Statue du sel et Portrait du colonisé. Mais cette ambivalence, qui d'entre nous ne l'a pas ressentie à un moment ou un autre, quand ce pays que nous adorons nous semble métamorphosé, non reconnaissable ?
Albert Memmi aimait parfois choquer ses interlocuteurs et aller à contre-courant. Une fois, assis à côté de lui, devant un parterre d'auditeurs juifs, à Paris, je l'ai entendu me susurrer : « Je vais les scandaliser » avant de se lancer dans une diatribe argumentée contre la circoncision avec une réelle jubilation intellectuelle. Le lendemain du soulèvement du 14 janvier, invité en soirée par une chaîne télévisée française, il choqua bien des Tunisiens euphoriques, au moment où les Meddeb et les Ben Jelloun célébraient lyriquement la révolution, en prédisant ses dérives islamistes et les ornières économiques où elle allait, selon ses prévisions, enfoncer le pays.
Nos discussions pouvaient être animées. J'évitais de le contrarier mais, autant j'adhérais sans réserve à la plupart de ses essais, autant son Portrait du décolonisé, ouvrage pourtant courageux parce que sans concession à l'égard des pays décolonisés comme le nôtre qu'il ne caressait pas dans le sens du poil, loin de là, autant il me semblait manquer de cette rigueur caractéristique de son premier essai, Portrait du colonisé, couplé avec le Portrait du colonisateur. J'ai relevé dans cet essai polémique, lors d'un colloque organisé par la Société d'histoire des Juifs de Tunisie présidée par mon ami Claude Nataf, plusieurs exemples de jugements injustes et d'affirmations non fondées mais quand j'en ai parlé avec lui, j'ai, par respect et par affection pour lui, édulcoré mon propos. Mais sa finesse était telle qu'il avait deviné mes critiques et, comme il était fatigué, il me fit promettre que nous en reparlerions quand nous nous reverrions.
Nous ne nous sommes plus revus depuis, hélas, et je le regrette car notre discussion aurait été passionnante pour moi et peut-être aussi pour lui car il aimait beaucoup toute stimulation intellectuelle et savait que, contrairement à certains autres contradicteurs auxquels il s'était mesuré dans sa longue carrière de penseur enclin à la polémique, je n'avais aucune animosité ni aucune défiance à son égard mais au contraire une admiration sincère et une piété quasiment filiale.
Je n'oublierai jamais les derniers mots qu'il nous avait dits, au moment où nous prenions congé de lui, ma femme et moi, lors de notre dernière visite à son domicile qu'il ne quittait plus guère après une chute qui lui avait coûté une fracture du col du fémur : « Je vous aime beaucoup, vous savez ! ». Car ce grand philosophe, cet apôtre du rationalisme, ce traqueur de la dépendance et de l'aliénation, était un grand tendre comme le sont souvent les Tunisiens et singulièrement les Juifs tunisiens.
Adieu, Albert Memmi. Vous nous fûtes essentiel et vous le demeurerez. Avec votre décès, c'est un pan de notre culture et un morceau de nous-mêmes qui disparaissent mais c'est aussi une étoile tunisienne qui monte au ciel pour rappeler notre passé et éclairer notre avenir.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.