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Mort d'Albert Memmi, le Tunisien tourmenté
Publié dans Le Temps le 04 - 06 - 2020

Albert Memmi s'est éteint avant de boucler un siècle. Il aurait eu cent ans le 15 décembre 2020. Nous l'avons rencontré, ma femme et moi, tardivement, au moment où les efforts que faisait le régime de Ben Ali pour ramener en Tunisie les Juifs tunisiens qui avaient quitté notre pays en 1956 ou en 1967 commençaient à donner leurs fruits et où plusieurs figures prestigieuses comme la sienne commencèrent à retraverser la Méditerranée et à rétablir les ponts avec le pays natal. Je l'avais interviewé pour RTCI dans le cadre d'« Intermèdes littéraires », mon émission littéraire hebdomadaire, je ne me souviens plus quelle année, peut-être 1986 ou 1987 mais, depuis, nous n'avons plus perdu le contact. Son retour à Tunis était lié à ses anciennes amitiés qu'il retrouvait avec un plaisir enfantin mais aussi à ses nouvelles accointances avec une génération qui n'était pas la sienne mais qui l'avait lu et avait travaillé sur son œuvre, la nôtre, précisément. Il avait accepté, en 1999, d'animer à l'Ecole normale supérieure ressuscitée par feu Dali Jazi et dont j'étais le directeur, plusieurs activités scientifiques autour de son œuvre, colloque, conférences, rencontre avec les étudiants et le public. Les actes du colloque, sous le titre Journée scientifique Albert Memmi, ont été publiés et nous avons été plusieurs universitaires, jeunes et moins jeunes, à proposer des éclairages de son œuvre dans des articles de revues et des travaux de colloques, durant les trente dernières années.
En 2010, Individu et communautés dans l'œuvre littéraire d'Albert Memmi, ouvrage à deux mains d'Afifa et Samir Marzouki, préfacé par Albert Memmi, succéda à Albert Memmi, L'Aveu, le plaidoyer, ouvrage que lui consacra feu Magid el Houssi, universitaire tunisien exerçant en Italie, en 2004. Cette attention que les chercheurs tunisiens portaient à son œuvre le comblait parce que, pendant longtemps, à la suite de son choix de quitter le pays pour la France alors qu'il y enseignait et qu'il y écrivait dans le journal indépendantiste L'Action, aux côtés de Bourguiba, Béchir Ben Yahmed, Mohamed Ben Ismaïl et d'autres mais aussi après ses polémiques autour du conflit israélo-palestinien avec certains intellectuels arabes comme Abdelkébir Khatibi, il y avait eu une sorte de black-out de fait sur son œuvre. Je me souviens des débats suscités à la faculté où j'exerçais par la proposition de mettre au programme de la maîtrise de français sa Statue de sel, un classique de la littérature francophone et un roman profondément marqué par la Tunisie.
Toute l'œuvre de Memmi est du reste marquée par la Tunisie de façon indélébile. J'ai longtemps cru, ayant assez vite lu son recueil de nouvelles, Térésa et autres femmes, que ce dernier texte de fiction signait le passage à une inspiration plus française mais, ayant relu ce livre pour les besoins d'un article sur la perception de la France dans l'ensemble de son œuvre, je me suis aperçu que, si les lieux qu'il évoque sont pour l'essentiel parisiens, il n'en demeure pas moins que les souvenirs de Tunisie y sont présents et que le terreau imaginaire autochtone qui est celui de ses romans et de ses deux recueils de poèmes y est le même.
Cette Tunisie l'habitait dans son séjour parisien au point que la mansarde dont il avait fait son bureau, au-dessus de son appartement du 5 de la rue Saint-Merri, était un petit morceau de Tunisie avec ses meubles, ses tissus d'ameublement, ses tapis, ses peintures et ses objets. Sa relation avec la Tunisie était complexe, une relation passionnelle, « ni je te n'aime ni je ne supporte ton absence » comme dit le dicton qu'il connaissait bien. Il l'avait d'ailleurs écrit dans cette phrase déchirante du Scorpion: « Ce pays hors duquel n'importe où je serai en exil ( …) ce pays dans lequel je n'ai jamais cessé d'être en exil ». Cette ambivalence est due aux diverses composantes de sa personnalité, sa judéité, pourtant en rien religieuse car il était totalement et activement incrédule, sa tunisianité, sa culture française qui n'ont pas toujours fait bon ménage dans sa tête et dans son corps mais qui s'étaient apaisées avec l'âge et la série des Bonheurs, ces billets du Monde qui l'ont parfois mieux fait connaître que ses deux chefs-d'œuvre, la Statue du sel et Portrait du colonisé. Mais cette ambivalence, qui d'entre nous ne l'a pas ressentie à un moment ou un autre, quand ce pays que nous adorons nous semble métamorphosé, non reconnaissable ?
Albert Memmi aimait parfois choquer ses interlocuteurs et aller à contre-courant. Une fois, assis à côté de lui, devant un parterre d'auditeurs juifs, à Paris, je l'ai entendu me susurrer : « Je vais les scandaliser » avant de se lancer dans une diatribe argumentée contre la circoncision avec une réelle jubilation intellectuelle. Le lendemain du soulèvement du 14 janvier, invité en soirée par une chaîne télévisée française, il choqua bien des Tunisiens euphoriques, au moment où les Meddeb et les Ben Jelloun célébraient lyriquement la révolution, en prédisant ses dérives islamistes et les ornières économiques où elle allait, selon ses prévisions, enfoncer le pays.
Nos discussions pouvaient être animées. J'évitais de le contrarier mais, autant j'adhérais sans réserve à la plupart de ses essais, autant son Portrait du décolonisé, ouvrage pourtant courageux parce que sans concession à l'égard des pays décolonisés comme le nôtre qu'il ne caressait pas dans le sens du poil, loin de là, autant il me semblait manquer de cette rigueur caractéristique de son premier essai, Portrait du colonisé, couplé avec le Portrait du colonisateur. J'ai relevé dans cet essai polémique, lors d'un colloque organisé par la Société d'histoire des Juifs de Tunisie présidée par mon ami Claude Nataf, plusieurs exemples de jugements injustes et d'affirmations non fondées mais quand j'en ai parlé avec lui, j'ai, par respect et par affection pour lui, édulcoré mon propos. Mais sa finesse était telle qu'il avait deviné mes critiques et, comme il était fatigué, il me fit promettre que nous en reparlerions quand nous nous reverrions.
Nous ne nous sommes plus revus depuis, hélas, et je le regrette car notre discussion aurait été passionnante pour moi et peut-être aussi pour lui car il aimait beaucoup toute stimulation intellectuelle et savait que, contrairement à certains autres contradicteurs auxquels il s'était mesuré dans sa longue carrière de penseur enclin à la polémique, je n'avais aucune animosité ni aucune défiance à son égard mais au contraire une admiration sincère et une piété quasiment filiale.
Je n'oublierai jamais les derniers mots qu'il nous avait dits, au moment où nous prenions congé de lui, ma femme et moi, lors de notre dernière visite à son domicile qu'il ne quittait plus guère après une chute qui lui avait coûté une fracture du col du fémur : « Je vous aime beaucoup, vous savez ! ». Car ce grand philosophe, cet apôtre du rationalisme, ce traqueur de la dépendance et de l'aliénation, était un grand tendre comme le sont souvent les Tunisiens et singulièrement les Juifs tunisiens.
Adieu, Albert Memmi. Vous nous fûtes essentiel et vous le demeurerez. Avec votre décès, c'est un pan de notre culture et un morceau de nous-mêmes qui disparaissent mais c'est aussi une étoile tunisienne qui monte au ciel pour rappeler notre passé et éclairer notre avenir.


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