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Houcine Jaïdi - Décès d'Albert Memmi : le silence du ministère des Affaires culturelles est injustifiable et inadmissible
Publié dans Leaders le 29 - 05 - 2020

Par Professeur Houcine Jaïdi - La disparition de l'écrivain et essayiste francophone tunisien, dans sa centième année, le 22 courant, a affligé tous ceux qui, en Tunisie, dans les autres pays du Maghreb, en France et ailleurs, voyaient en lui une figure littéraire emblématique, un intellectuel singulier et un polygraphe prolifique. Ni son âge bien avancé, ni la dégradation de son état de santé, au cours des dernières années, n'ont atténué l'immense chagrin provoqué par sa disparition. Face aux nombreux hommages appuyés et souvent émouvants, rendus par des journalistes et intellectuels tunisiens, notre ministère des Affaires culturelles a préféré rester muré dans un silence assourdissant qui n'est pas sans soulever plusieurs questions.
La tunisianité d'Albert Memmi n'est pas à prouver
En près de cinquante ans, j'ai eu trois rencontres fortes avec Albert Memmi dont deux ont été livresques et qui ont été, pour moi, toutes trois très importantes.
Ma découverte de l'auteur a eu lieu à travers la lecture de son autobiographie romancée, La Statue de sel, parue en 1953. L'ouvrage, publié au cours de l'année de ma naissance, faisait partie d'un lot de livres qui m'ont été offerts, vingt ans après, au lendemain des examens du baccalauréat, en guise de récompense scolaire. La lecture de ce livre, que je n'ai pas choisi dans la vitrine d'une librairie ou sur les conseils de quelqu'un, avait donc été, pour mon grand bonheur, le fruit d'un heureux hasard. Sa lecture a constitué un tournant majeur dans ma culture littéraire : avec lui, j'ai commencé à lire les écrits des auteurs tunisiens francophones. Depuis, j'ai lu, avec une boulimie savoureuse, l'essentiel de l'œuvre de l'auteur tunisien qui s'est fait un nom depuis sa première publication, à l'âge de trente-trois ans.
Près de vingt cinq ans après le début de cette fréquentation livresque, j'ai rencontré Albert Memmi pour la première fois. C'était, à la fin des années 1990, à l'Université de Toulouse - Le Mirail (appelée depuis, L'Université de Toulouse Jean Jaurès - UT2J), dans le cadre d'un colloque international intitulé ‘'La Tunisie mosaïque'' et qui avait bénéficié, entre autres soutiens, de celui de l'ambassade de Tunisie en France et du consulat de Tunisie dans la Ville Rose. Le colloque, dont les actes ont été publiés en 2000, avait pour fil conducteur la pluralité qui a été, depuis la plus haute Antiquité, un trait majeur de l'histoire de la Tunisie, qu'elle fût féconde, conflictuelle ou séparative. Par son itinéraire personnel et par son œuvre, Albert Memmi était tout indiqué pour apporter une contribution aux travaux du colloque. Il choisit de le faire sous la forme d'une très belle conférence où la fine analyse était sous-tendue par la richesse de l'expérience personnelle.
Il y a seulement quelques mois, j'ai pu me procurer et lire Journal de guerre 1939-1943 (suivi de Journal d'un Travailleur forcé et Autres textes de circonstance) d'Albert Memmi, paru en février 2019. Cette publication préparée, introduite et annotée par Guy Dugas, est constituée de notes et de réflexions qui remontent à la Seconde Guerre mondiale et qui sont restées inédites pendant près de 80 ans. Les analyses et les sentiments que l'auteur y a exprimés à la première personne, alors qu'il n'était qu'un ''apprenti philosophe'' âgé d'une vingtaine d'années, tranchent nettement avec la forme indirecte et souvent romancée prise par son œuvre à partir de la publication de La statue de sel. Ces témoignages précieux et souvent poignants - que les historiens ne manqueront pas d'exploiter pour éclairer des pans entiers de l'histoire de la Tunisie pendant la Seconde Guerre mondiale – constituent de véritables clefs pour la compréhension de toutes les publications ultérieures. Ils invitent à tout relire pour mieux comprendre le cheminement personnel et littéraire de l'auteur.
Du jour où j'ai commencé la lecture de La statue de sel jusqu'à celui où j'ai fermé Journal de guerre et à la faveur des écrits que j'ai pu lire entretemps , Albert Memmi m'était apparu comme un intellectuel tunisien ayant exploré, dans son pays natal ou en France, sa condition et celle de la communauté à laquelle il appartenait ainsi que celles avec lesquelles il était en contact, avec une rare profondeur. Marquée à la fois par l'attachement viscéral, l'amour critique et l'insatisfaction argumentée, l'évocation directe ou allusive mais toujours renouvelée de la Tunisie dans l'ouvre multiforme d'Albert Memmi est empreinte d'abord du sceau de la fidélité indéfectible. Cet attachement omniprésent, déclaré ouvertement ou sous-jacent dans les romans, les essais, les poèmes et les articles de journaux, cohabite avec la déchirure profonde provoquée par les déceptions, les exils et les incompréhensions.
Le ministère des Affaires culturelles a manqué à son devoir de mémoire
Outre sa tunisianité au-dessus de tout soupçon, Albert Memmi s'est fait connaître, dès ses premiers écrits des années 1950, en tant que défenseur inlassable de la liberté et comme un opposant farouche au racisme, à toute forme de domination à commencer par le colonialisme. Son engagement pour l'indépendance de la Tunisie et pour le droit des Palestiniens à un État sont notoires. Toutes ces convictions ont été vécues par lui avec de nombreux déchirements qu'il n'a jamais occultés, surtout ceux relatifs à l'identité prise entre plusieurs feux, ceux des origines territoriales, ceux de l'appartenance à une communauté juive vivant en terre d'Islam colonisée et ceux de la culture d'une métropole colonisatrice devenue plus tard terre d'accueil. Ses ‘'portraits'' de juif, de colonisé, de colonisateur et de décolonisé ne constituent-ils pas une contribution majeure aux œuvres universelles en matière d'archéologie de l'identité ? Ce qui peut y surprendre, étonner ou décevoir ne peut leur contester ni leur sincérité ni la légitimité de la liberté avec laquelle ils ont été peints.
Que peut-on alors, reprocher à Albert Memmi en Tunisie, aujourd'hui ?
Peut-on lui reprocher son judaïsme, la religion d'une composante de la population tunisienne aussi ancienne que l'histoire ancienne et dont les innombrables apports au patrimoine culturel matériel et immatériel tunisien jalonnent les siècles ? Est-il concevable de l'ignorer en raison de cette appartenance religieuse alors que la nouvelle constitution de la jeune démocratie tunisienne garantit la liberté de conscience et exclut toute discrimination entre les citoyens sur la base de leurs croyances ? Qui peut se donner le droit de le renier alors que l'Etat tunisien fait chaque année du pèlerinage de la Ghriba, à Jerba, une vitrine de la tolérance et du vivre ensemble et qu'il refuse de le réduire à un événement médiatique à visées touristiques ? N'est-il pas insensé de lui faire grief de ses convictions religieuses alors que, depuis 2016, des engagements formels ont été pris, à plusieurs reprises par des membres du gouvernement, en vue de créer un ‘'Musée du judaïsme tunisien'', alors que trois jours avant son décès, un arrêté signé par la ministre des Affaires culturelles et visé par le Président du Gouvernement faisait de la synagogue de Tataouine un ‘'monument protégé'' ? Où est le vrai ? Où est le faux ? Nos gouvernants seraient-ils, à ce point, schizophrènes ?
Peut-on lui reprocher sa nationalité française acquise longtemps après son installation en France et qui ne lui a pas fait renoncer à sa nationalité tunisienne ? Cela est-il possible alors que cette condition juridique est celle de plusieurs centaines de milliers de Tunisiens installés en France ou ailleurs, alors que ce statut est celui d'un bon nombre de nos élus et de nos gouvernants qui ne s'en cachent pas et qui n'ont pas à s'en cacher ?
Peut-on lui reprocher d'être francophone alors que c'est à la suite d'un accident de l'histoire qu'il l'est devenu, à l'image d'innombrables Tunisiens de sa génération et des générations suivantes ? Cela peut-il venir à l'esprit alors que son pays natal est un membre fondateur de l'Agence de Coopération Culturelle et Technique (ACCT), l'ancêtre de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) et qu'il s'apprête à accueillir, l'année prochaine, le 18e Sommet de la Francophonie ? N'est-ce pas là le summum de l'absurde et de la schizophrénie : célébrer en grande pompe la francophonie dans un pays dont les préposés aux Affaires culturelles ne reconnaissent pas les mérites du Doyen de leurs auteurs francophones, du plus grand auteur juif du Maghreb et d'une des figures les plus en vue de la francophonie transcontinentale ? Le paradoxe est d'autant plus insoutenable que les prochaines assises de la l'OIF auront lieu, finalement, à Jerba, haut lieu du judaïsme tunisien.
Dans un contexte tunisien marqué par les appels récurrents au repli identitaire, le populisme anti-élite, l'opportunisme politique à tout prix et des relents d'antisémitisme, nos préposés aux Affaires culturelles doivent être conscients de leur responsabilité. Il est des silences coupables qui agissent comme des loupes grossissantes sur des non-dits, des reniements et des automutilations mortifères.
Reconnaître le tort et se rattraper le plus tôt possible
Face à l'attitude, pour le moins incompréhensible du ministère des Affaires culturelles, l'honneur des Tunisiens est sauf dans la mesure où le décès de leur illustre compatriote a été rapporté par de nombreux journaux et a donné lieu à des évocations venant de la part d'universitaires connaisseurs de l'homme et de son œuvre. L'association ‘'Nous Tous'' a déjà annoncé l'organisation, prochainement, d'une manifestation autour de l'œuvre du grand écrivain.
Le monde universitaire tunisien, qui compte d'excellents connaisseurs de l'œuvre d'Albert Memmi, pourrait prendre l'initiative de décerner son nom à un espace de travail ou autre : amphithéâtre, salle de réunion, hall… Cette tradition est bien ancrée dans l'Université tunisienne. Y recourir, à cette occasion, ne peut qu'honorer le Conseil d' Université ou le Conseil scientifique qui serait le promoteur d'un tel geste. Ce type d'hommage n'exclut bien évidemment pas les rencontres académiques qui pourraient être consacrées à l'œuvre de l'homme de lettres.
Mais rien ne remplacera un hommage officiel rendu par les représentants de l'État.
Porte-parole traditionnel de l'Etat dans son domaine de compétence, le ministère des Affaires culturelles, gagnerait à se rattraper sans tarder. Outre un hommage bien mérité, il pourrait décerner le nom du grand auteur à un espace de l'un des établissements qui sont sous sa tutelle. Deux lieux seraient bien indiqués : la bibliothèque nationale et la Cité de la Culture. La prochaine Foire Internationale du Livre de Tunis pourrait aussi servir de cadre à une manifestation dédiée au disparu.
Si rien n'est fait par le ministère des Affaires culturelle, c'est à la Présidence de la République de prendre l'affaire en main pour rendre hommage comme il se doit celui qui, de son vivant, avait reçu plus d'une décoration tunisienne. Le sommet de la Francophonie dont l'organisation incombe, en premier lieu, à la Présidence de la république sera aussi une bonne occasion pour rendre un hommage solennel à Albert Memmi selon une formule qui sied à son envergure. Entre autre pistes, on peut penser à une rue ou une place de la capitale qui porterait le nom de l'illustre écrivain tunisien et qui sera inaugurée en présence des chefs d'Etats participant au Sommet. Faut-il rappeler que la ville de Tunis, qui a vu naître le grand homme de lettres et penseur est, depuis plusieurs décennies, membre de l'Association internationale des Maires francophones ?
Albert Memmi est assurément une gloire de la littérature francophone tunisienne et une figure emblématique de la diversité culturelle qui a toujours marqué positivement l'histoire de son pays d'origine. L'appropriation par les Tunisiens de son œuvre qui, de par plusieurs composantes, participe de l'universel, ne doit poser aucun problème, comme toute autre production littéraire des filles et des fils du pays de la haute Antiquité à nos jours. Lui rendre, après son décès, l'hommage officiel qu'il mérite est un devoir de mémoire auquel toute dérobade relève d'abord de la faute morale grave.
Professeur Houcine Jaïdi
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