Toute une journée, avant-hier, sous la coupole du Parlement, à musarder autour d'un thème pourtant vital pour la Tunisie : la Libye et cette guerre intestine qui se déploie à quelques encablures de nos frontières. Une journée à perdre son temps dans les marginalités, à des choses futiles, à des bagatelles. A des riens en somme. A peu de frais, cette audition de Rached Ghannouchi, pourtant annoncée tambours battants, aura encore tourné à un exhibitionnisme « cartonique ». Il fallait bien deviner que les techniques dilatoires allaient faire dévier la plénière des fondements de la requête présentée par le PDL ; requête dont on découvre qu'elle s'est accrochée à un seul aspect de la « désinvolture diplomatique » du Parlement, en en occultant bien d'autres, brèches béantes qu'auront su habilement exploiter tous les contestataires d'Abir Moussi. Se focaliser sur le seul axe Doha/ Ankara, sur les accointances entre Rached Ghannouchi et Fayez El Sarraj, occultant l'activisme émirati, égyptien et russe, la ceinture de dévotion autour du président du Parlement n'en espérait pas davantage ! Cour des miracles Avant-hier, le spectacle d'un Parlement engoncé dans ses querelles de clochers, au nom d'idéologies surannées et qui ont fait leur temps, eh bien ce spectacle fut, pour le moins, avilissant. Avilissant, surtout, pour cette démocratie tunisienne, la seule démocratie au monde arabe, mais aujourd'hui malmenée, parce qu'elle paye le tribut de ses propres failles institutionnelles. Parce qu'elle a prêté le flanc au clientélisme, parce qu'elle n'a pas parachevé l'édifice, incapable qu'elle est de se repenser devenant même, pour ainsi dire, frileuse. Finis les temps des exaltations révolutionnaires. Finies « les promesses du Printemps », ce « printemps » qui n'a pas vu s'amonceler les nuées orageuses. Oui, on pourrait à la limite dire -question de se voiler la face- que les débats faussement contradictoires auxquels nous avions assisté, avant-hier, reflètent un certain exercice libre de la démocratie et de la libre-parole. Mais ce fut trop passionnel pour que nous en concluions que la démocratie est sauve. Non, elle périclite, parce qu'elle n'est plus représentative de la sensibilité populaire, parce que le populisme est en train de la gangréner de l'intérieur, parce que le lobbying politique joue aux marionnettistes et parce que les agendas extérieurs et intérieurs se démènent dans les arcanes d'une ARP, désormais vouée à une cour des miracles. Dans un régime parlementaire qui ose dire son nom, le Parlement représente ce sanctuaire où le peuple parle à travers ses propres élus. Ces élus sont-ils à l'écoute de ce peuple qui les a mandatés pour se faire l'écho de ses aspirations, de ses problèmes existentiels et, à plus forte raison, en cette période où il butte sur une crise socioéconomique sans précédent ? Non, les élus du peuple s'étripent, s'adonnent à des règlements de comptes tous dirigés, tous ciblés, espèce de foire aux vanités, sans doute parce que la plupart d'entre eux, manquent de culture démocratique, de sens de la dialectique, et qu'ils manquent de culture tout court. Et, le tout, agrémenté d'une bonne dose de révisionnisme historique. Justement, parce qu'ils ne connaissent pas l'histoire de leur pays. Or, l'histoire de ce pays nous enseigne que toutes les gradations idéologiques finissent par se dévorer elles-mêmes et de prendre le deuil de leurs modèles. Et, l'on vient stigmatiser (nos chers élus bien sûr) la façon dont Kaïs Saïed veut restituer sa parole au peuple ! On le traite tout bonnement d'hérétique ! Le pactole du siècle En ce contexte de récession économique, le gouvernement a besoin d'être conforté dans ses choix. Il a aussi besoin d'un minimum de latitude et de liberté de gouvernance. « A période extraordinaire, mesures extraordinaires », comme l'a déclaré Edouard Philippe devant le Parlement français. En d'autres termes, comme l'a fait Merkel, c'est l'Exécutif qui doit monter en puissance. Dans ce cas, le Parlement assumerait le rôle de facilitateur. Fakhfakh pourrait-il s'en prévaloir, dès lors que l'ARP a peur que l'Exécutif ne lui échappe entre les doigts, jetant ainsi ses asphyxiantes tentacules dans la frêle ceinture gouvernementale, en entravant même l'action et les décisions urgentes. La dernière trouvaille : pour desserrer l'étau autour du gouvernement, celui-ci doit consentir à l'élargissement de sa propre ceinture. C'est le schéma préconisé par Ennahdha, comme nous l'avions exposé dans une récente édition. Mais qu'est-ce à dire ? « Voilà, je te tiens en laisse ». Pour autant, le Parlement tunisien proclame, de fait, sa propre suprématie sur l'Exécutif, stratégie inavouée de mettre Kaïs Saïed au pas. On a même vu que, lors de la plénière d'avant-hier, le Président, pourtant le premier concerné par le dossier libyen, a été copieusement ignoré, comme s'il n'était pas, lui précisément, le patron indiscutable de la diplomatie tunisienne. Il est vrai que, jusque-là, Kaïs Saïed n'a pas été réellement présent dans ce dossier. Il aurait même dû se rendre à Berlin pour la conférence sur la Libye. Ce qui est, en revanche, certain, c'est qu'il a bien affirmé que la Tunisie n'abritera aucune base étrangère de quelque nature que ce soit. Par contre, on attend de lui qu'il intègre la dimension des enjeux internationaux autour de la Libye. Agir pour la paix, dans la légalité internationale, c'est bon. Emboiter le pas aux pays qui louvoient les réserves libyennes d'hydrocarbures, les plus prolifiques d'Afrique, enclencherait une forte percussion de notre pays au regard de la diplomatie économique. Parce que le marché de la reconstruction de la Libye se chiffre à 100 milliards de dollars. Sommes-nous en reste ? Nos entreprises, par ailleurs très performantes en Afrique, n'ont-elles pas assez d'arguments pour prétendre à une partie du pactole ? C'est dans ce sens que doit s'orienter la perception tunisienne au regard du dossier libyen. Et, cette percussion, ce n'est certainement pas cette ARP, si qu'engoncée dans ses labyrinthes « géostratégiques » et si prisonnière de ses axes clientélistes, qui daignera l'enclencher. Car, au final, nos querelles intestines risquent de nous mettre en dehors du « pactole du siècle ». Allez dire ça à nos députés !