Dès le départ, le ver était dans le fruit ! C'est cette Constitution « torchon » qui est l'origine de tous les malheurs dont souffre la Tunisie depuis environ une dizaine d'années. La crise qui secoue le pays n'est pas économique ! Elle est politique et institutionnelle : un pouvoir à trois têtes à cause d'un système politique bâtard et étrange, soigneusement fait sur mesure pour qu'Ennahdha demeure le maître absolu de la vie politique en Tunisie où trois pouvoirs s'entre-déchirent et se tiraillent pour une lutte impitoyable du pouvoir... Bien qu'il soit élu directement par le peuple, le chef de l'Etat ne bénéficie pas de grands pouvoirs face au chef du gouvernement qui ne bénéficie d'aucune légitimité électorale. La seule légitimité dont dispose le chef du gouvernement est la légalité au sein du parlement. Bricolage démocratique Une fois nommé et obtenu la confiance du parlement, le chef du gouvernement jouit de prérogatives constitutionnelles considérables. Bien sûr, il est soumis au contrôle du parlement mais il suffit, comme ce fut le cas avec Youssef Chahed et comme ce qui se passe actuellement, d'une alliance faite par le biais d'un bricolage entre deux ou trois partis regroupant une majorité au sein du parlement pour que, pendant toute une législature, le pouvoir réel soit entre les mains d'une alliance qui se partage le gâteau sans se soucier ni du peuple qui l'a élue ni des réformes profondes à engager pour redresser le pays. Fort de son score exceptionnel qu'l avait obtenu lors de la présidentielle, Kaïs Saied a quasiment réussi à " présidentialiser " le régime en choisissant un de ses fidèles pour diriger un gouvernement dont tous les membres ont été choisis, au départ, par le président de la République. Maladroit et impulsif, le locataire de Carthage a contraint son ex-homme de confiance à se jeter dans les bras du Cheikh Ghannouchi qui était, pourtant, très mal parti ! Un don du ciel est tombé pour le Vieux renard alors que le chef du gouvernement aurait pu tenter sa chance pour rester indépendant en s'adressant aux Tunisiens et aux Tunisiennes auprès desquels il aurait pu trouver un grand soutien. Il a préféré la voie facile et tranquille ! Le loup dans la bergerie ! C'est que, dès le départ, tout était conçu pour qu'Ennahdha demeure toujours le Loup qui garde la bergerie ! Un président de la République qui règne mais ne gouverne pas. Un chef du gouvernement à la merci d'Ennahdha qui contrôle malicieusement le parlement en ne lésinant sur aucun moyen pour atteindre ses objectifs ! Un président du parlement qui fait tout pour se substituer au chef de l'Etat qu'il ne cesse d'affaiblir et d'isoler voire de destituer ! Résultat : un ménage à trois où Ennahdha est dans tous les étages du pouvoir faute de quoi il bloque tout ! Et c'est là où réside la crise qui ronge notre pays depuis plusieurs années. Une crise politique qui a eu pour conséquence l'affaiblissement de l'Etat et des institutions républicaines modernes, la clochardisation du parlement et l'effondrement de l'appareil économique au profit du secteur parallèle et de la contrebande. A cela s'ajoute la détérioration du pouvoir d'achat des ménages et toute cette agitation soi-disant sociale mais visant, en fait, avec la complicité des uns et des autres, à diviser le petit peuple en bons et mauvais musulmans comme si nous étions en présence de plusieurs peuples et de plusieurs Tunisie ! Face au président du parlement, le président de la République était bien placé pour remettre de l'ordre dans la Maison Tunisie. Mais, hélas, sans doute par manque d'expérience et de patience, il a brûlé ses cartes en tentant d'étouffer et d'humilier son fidèle Hichem Méchichi qui ne semble pas avoir trop attendu pour trouver un autre parrain et d'autres partenaires qui l'attendaient au tournant pour en faire leur nouvelle proie... Il suffit de jeter actuellement un coup d'œil sur ce qui se passe en Tunisie pour avoir une certaine idée sur la situation du pays : on brûle des pneus, on bloque des routes, on incendie, on pille, on menace et on défie même l'Etat et toutes les institutions républicaines ! Ce qui se déroule actuellement à El Kamour et au Sud du pays constitue le miroir par excellence de ce pouvoir à trois têtes où l'on ne sait plus qui gouverne la Tunisie ! Le pays est tiraillé entre trois pouvoirs où Ennahdha est à la fois juge et partie, faute d'un adversaire coriace et solide. Le bon petit peuple, cher au chef de l'Etat, est plus que jamais divisé, perdu et livré à lui-même pareil à un orphelin ! Le pouvoir ne se partage pas Face à cette lutte farouche et impitoyable pour le pouvoir et les jeux des couloirs, les Tunisiens et les Tunisiennes sont en colère. Ils sont fatigués et lassés par une démocratie de façade coupée entièrement des préoccupations des citoyens. Le paysage qu'offre le parlement de lui-même est une mascarade qui discrédite la jeune démocratie et réveille tous les démons qui prônent la tentation autoritaire. La transition démocratique avance et progresse quand la prospérité économique règne, lorsque la sécurité domine, quand la pauvreté décroît, quand la justice entre les citoyens et entre les régions existe et lorsque le peuple est uni autour d'un grand projet national mobilisateur et rassembleur. Les trois têtes du pouvoir tirent, hélas, chacun, vers sa propre direction d'intérêts partisans. Un président de la République toujours imprécis, flou et peu rassembleur. Un président du parlement dont le seul but consiste à magouiller et à manœuvrer pour dresser les uns contre les autres en vue de ne jamais quitter le pouvoir au risque de tout démolir même sa propre secte ! Et un chef de gouvernement pris en sandwich qui tarde à se prendre en charge. Pour gouverner, le train du destin en politique ne souffle qu'une seule fois et les mains tremblantes se trouvent très vite paralysées. Face à ce ménage à trois, c'est la Tunisie qui se disloque, se morcelle et s'affaiblit et c'est le peuple qui se perd, se désoriente et se tiraille. Car comme le dit si bien Antoine de Saint-Exupéry dans le Petit Prince :" Aimer, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction ! "C'est que : " Le pouvoir ne se partage pas !", comme le décrit merveilleusement l'ancien premier ministre français, Edouard Balladur dans sa cohabitation avec François Mitterrand de 1993 à 1995. On découvre, dans cet ouvrage, un Mitterrand, tour à tour, séducteur et vindicatif, cajoleur et méfiant, obsédé du pouvoir comme "un propriétaire inquiet", où chacun cherche à préserver son territoire et où la lutte pour le pouvoir est alors poussée à son summum... M. M.