Chômage, emplois précaires, endettement, marasme et désespérance sont les mots-clés qui définissent, terre à terre et en termes simples, cette crise sociale, chronique et aigue, qui ronge le pays de la tête aux pieds. Rares, très rares sont, réellement, les familles tunisiennes qui en sont épargnées. Mais plus rares encore sont, en effet, les Citoyennes et les Citoyens qui, après dix ans de tribulations, ont encore la force, aujourd'hui, de descendre dans la Rue et de protester. Toujours est-il qu'il ne faut jamais sous-estimer l'énergie du désespoir, surtout lorsque celle-ci se nourrit, à plein gosier, de promesses ronflantes, de faux espoirs et de surenchères mensongères. En y regardant de plus près, il faut dire que c'est toute la Tunisie qui s'en voit « défavorisée ». Certaines régions, certains quartiers et certains patelins perdus plus que d'autres, à n'en plus douter, mais le constat, partout où l'on passe, est le même : dix années ont été suffisantes pour qu'une sorte de sinistrose générale, progressive et irréversible fasse perdre ses couleurs à un pays, postrévolutionnaire, censé pourtant en retrouver. En Tunisie, la lutte contre le chômage, la pauvreté et la marginalisation n'est qu'un slogan qu'on rumine à chaque échéance électorale, et que les politiques et les dirigeants, ont pris l'habitude de chantonner, mandat durant, sans parvenir pour autant à le concrétiser réellement en faits et actes. Redonner l'appétit ! Si le dénouement de la crise du Kamour, qui n'a que trop duré, a fini par calmer les ardeurs à Tataouine, les quelques dizaines de milliers de recrutements « arrachés » et les subventions estimées à plusieurs millions de dinars, annuels, en faveur de la région, n'ont pas manqué, «jalousie» oblige, d'ouvrir l'«appétit» aux autres 23 gouvernorats restants. Jalousie ? Bien entendu, il ne s'agit nullement d'«envier» à Tataouine, au vrai sens du terme, ces modiques acquis, arrachés péniblement après tellement d'années de sous-développement et d'appauvrissement méthodique. Loin de là, les Tunisiennes et les Tunisiens, partout où ils sont, partout où ils habitent, s'en félicitent et s'en réjouissent pleinement. Ils en sont mêmes comblés, au final. Le fait est que, bon gré mal gré, les acquis de l'accord du Kamour ont réussi à redonner de l'espoir à la population, toutes franges et toutes régions confondues. Une réflexion partagée : «si les Concitoyennes et les Concitoyens de Tataouine y sont finalement arrivés, alors pourquoi pas nous, en fin de compte !», pense tout le monde à voix haute. Le Méchichi aura eu donc le mérite, au moins, de ressusciter dans les rangs des Tunisiennes et des Tunisiens ce sentiment d'espérance, qu'on croyait pourtant perdu au fil des années. Le hic, c'est que le Président du gouvernement, animé sans doute de ses meilleures intentions, ne s'est guère contenté de cela. Il aurait dû pourtant en rester là, réalisme oblige, tout en continuant à travailler dur et à œuvrer progressivement pour rétablir petit à petit la confiance, longtemps sapée, entre le Peuple et son Etat, si ce n'est pour ranimer, chemin faisant et à petites doses, cet espoir perdu de lendemains meilleurs. Méchichi, au lieu de cela, s'est laissé emporter par une folie des grandeurs, aussi étrange que décidément surprenante, en promettant, à tout-va, monts et merveilles à tous les gouvernorats « défavorisés ». Se ruiner en promesses... Un discours hasardeux qui n'a pas failli d'entrer en totale contradiction avec la sonnette d'alarme, tirée par le même Mechichi, dernièrement. Quitte à se ruiner, aujourd'hui, en promesses, le président du gouvernement, force est de le rappeler, avait pourtant crié faillite sur tous les toits, il y a à peine deux semaines de là, en déplorant les 10 mille milliards de dinars de déficit enregistrés actuellement dans le budget de l'Etat. « Il n'y aura aucune réforme de sitôt, a-t-il martelé dès lors dans un point de presse, tant qu'on n'aura pas trouvé les solutions pour sauver les finances publiques ». Nerveux, il y est même presque allé au clash, souvenez-vous, avec la Banque centrale, après le rejet de son projet de loi complémentaire des finances par le parlement. Sur le terrain, le tsunami social ne fait donc que commencer. Après la Chebba, le Kef, Kairouan, et plus récemment Gabes, c'est au tour de Kasserine de se joindre à la fête et de s'embraser à coups de sit-in et de manifestations. En attendant bien sûr d'autres régions, ce sont les habitantes et les habitants des zones avoisinant le champ pétrolier de Doulab, situé entre Sbeïtla et Laayoun, qui ont entamé, dimanche, un sit-in ouvert pour revendiquer la contribution de l'entreprise exploitant le domaine en employant les jeunes de leurs zones marginalisées et le développement de la région. Pendant ce temps à Hammamet, le président du gouvernement continue de « renouveler » sa détermination à « résoudre les véritables préoccupations des citoyens et les grands dossiers tant économiques que sociaux aux niveaux régional et national ». Le combat de son gouvernement, poursuit-il, est « un combat contre la pauvreté, le chômage, la dégradation des infrastructures, les difficultés économiques et l'épidémie du Coronavirus ». S'il rassure que son gouvernement «se tient à l'écart des querelles politiciennes», en aucun moment, bien sûr, il n'a précisé comment ou par quels moyens mènera-t-il ce combat. Même si Méchichi se dit éloigné de la politique politicienne, pas sûr qu'il n'adopterait pas, pour autant, son baratin. S.B.M.