L'actuelle pandémie du coronavirus (COVID-19) constitue une réalité particulière et inhabituelle. Celle-ci peut affecter les personnes sur le plan physique, mais également sur le plan psychologique. En effet, dans un tel contexte, de nombreuses personnes vivront des réactions de stress, d'anxiété et de déprime. Une étude britannique montre que 20% des patients atteints du Covid-19 présentent des troubles psychiatriques dans les 90 jours qui suivent leur infection. Certains possèdent les ressources et les facultés pour s'adapter à ce type de situation mais il y a également d'autres moyens pour les aider à minimiser les répercussions de ces réactions dans leur quotidien comme le souligne Tarek Saïdi, Psychologue clinicien Le Temps : La santé mentale des tunisiens est de nouveau dégradée entre fin septembre et novembre. Cette épidémie a-t-elle généré une souffrance psychologique pour les tunisiens ? Tarek Saïdi : Absolument, cette épidémie a généré une souffrance psychologique chez les Tunisiens comme chez tout le monde, d'ailleurs, suite à mon expérience clinique directe et à l'expérience de téléconsultation avec la cellule d'assistance psychologique, j'étais surpris par le nombre de demandes aux soins psychologiques. En effet, durant les 5 semaines de la 1ère vague et du confinement général, la CAP a reçu 94213 tentatives d'appel dont 4471 appels seulement ont été exécutés. Le plus surprenant ici, c'est que seulement 7% des appels concernent les personnes porteuses de virus ou ceux qui les ont contactés, et 93% des appels sont venus des personnes vulnérables et fragilisées par le stress de la pandémie. Ce qui explique bel et bien le besoin en santé mentale qui a explosé par l'arrivée de cette pandémie. C'est vrai que la pandémie pourrait être la cause de cette explosion, mais je pense que c'est la goutte d'eau qui a fait déborder la vase. Les motifs des consultations sont prédominés par « les troubles anxieux » (angoisse, état de stress traumatique, attaque de panique, anxiété généralisée, hypocondrie, phobies...) et « les troubles de l'humeur » (la dépression, le trouble d'adaptation avec une humeur dépressive, le trouble bipolaire ...). Suite au déconfinement, la tension s'est un peu apaisée, mais elle est demeurée présente chez les personnes en état de vigilance et de résistance. Cela aggrave leur santé mentale, avec le risque, pour eux, de tomber dans l'épuisement qui se traduit, en terme psychologique, par la «décompensation», c'est-à-dire tomber dans une maladie mentale. Cette augmentation des dépressions est–elle aussi observée aussi chez les personnes qui se trouvent dans des situations financières très difficiles mais aussi les inactifs et les jeunes ? Oui, certainement, le chômage et la situation financière difficile sont des facteurs à risque qui fragilisent d'emblée le psychisme humain. Donc, une personne déjà fragilisée risque plus d'être déséquilibrée et pourra développer un trouble mental telle que la dépression ou autre. En outre, cette pandémie ne touche pas uniquement les chômeurs ou les personnes en situation socio-économique difficile, même les travailleurs dans presque tous les secteurs publics et surtout privés qui ont peur de perdre leur emploi. Concernant les jeunes, c'est un peu particulier, parce qu'ils ont une spécificité psychologique teintée par le besoin de bouger et de se déplacer. Donc, on a repéré un nombre important (45%) des jeunes d'âge inférieur ou égal à 35 ans qui sont en situation de détresse psychologique. Peut-on affirmer que le couvre-feu a fait augmenter le nombre de personnes se disant victimes d'anxiété et de troubles du sommeil ? Oui, je confirme cette hypothèse mais toujours avec précaution, parce que le couvre-feu n'est pas un confinement qui était considéré et perçu comme le synonyme «d'emprisonnement». Autrement dit, l'impact psychologique du couvre-feu est beaucoup moins important que celui du confinement général. Je précise qu'il faut toujours analyser la situation dans sa globalité. En effet, dans la situation actuelle, les gens peuvent satisfaire leurs besoins tout au long de la journée, mais ne peuvent plus se déplacer la nuit. De plus, la saison d'automne et le climat n'est pas favorable aux sorties nocturne, surtout que cela coïncide avec la scolarisation des élèves et des étudiants qui vont profiter pour réviser pendant le couvre-feu ou bien profiter ressouder les liens familiaux qui étaient le plus souvent perdus dans les conditions ordinaires. Néanmoins, le couvre-feu pourrait être un facteur de risque lorsqu'il devient perçu comme une alerte ou un signe de retour aux conditions précédentes (confinement général + couvre-feu). Une étude aux USA montre qu'une personne sur 5 développe des troubles mentaux (anxiété, dépression, insomnie) dans les 3 mois qui suivent une infection Covid-19. Pensez-vous que les personnes guéries du coronavirus sont plus à risque de développer une maladie mentale dans les trois mois qui suivent leur contamination ? Oui sans doute. Les ex-porteurs du virus ont plus de risque de développer une maladie mentale, mais personnellement je n'adhère pas à cette supposition. C'est-à-dire, même s'il y a quelques cas, je ne pense pas que le nombre des personnes qui vont développer des troubles mentaux va être significativement élevé, parce qu'il faut prendre en considération les particularités et les spécificités de chaque région du monde. Nous en Tunisie, on n'a pas les mêmes caractéristiques des Américains et c'est évident. Premièrement, parce qu'on n'a pas les mêmes vécus que les américains (le pays qui a déclaré le plus grand nombre des cas Covid-19 positif). Deuxièmement, on n'a pas le même type de liens socio-familiaux puisqu'en Tunisie on a un rapport familial encore uni et solide surtout lorsqu'il s'agit d'une maladie. Donc cette incorporation familiale fait l'objet de «de briefing psychologique», c'est-à-dire, aider le porteur du virus à s'exprimer immédiatement et librement, et là, la famille ou les proches, jouent le rôle du chiffon qui va absorber les émotions négatives ou l'amortisseur de l'impact psychologique de l'événement, et ça représente une véritable prévention contre le développement d'un trouble mental ultérieurement. Ceci est étayé par les études qui ont affirmé que la gestion de stress dès que possible peut prévenir les problèmes à long terme. Aussi, on est une population croyante, et les croyances religieuses ont un rôle préventif. Je pense que la réponse exacte à cette question reste ambiguë en attendant les études scientifiques concernant ce sujet. Comment éviter de sombrer dans cet état de souffrance mentale ? Tout d'abord, je voudrais faire la lumière sur deux points importants. Le premier c'est que le stress et la peur sont des sentiments naturels qui nous protègent contre les risques et nous amènent à bien réagir avec notre environnement, La différence entre le stress pathologique et le stress adaptatif c'est une affaire de dosage. Le deuxième point, c'est qu'il n y a pas une recette prête pour tout le monde. En effet, chacun a ses propres mécanismes de défenses psychologiques, d'ailleurs, c'est pour cette raison qu'on travaille avec le principe de cas par cas en matière de psychothérapie. Donc, ce que je conseille, c'est de développer notre capacité de RESILIENCE FLEXIBLE c'est-à-dire avoir la capacité à vivre, à réussir et à se développer en dépit de l'adversité. Pour ce faire un travail sur soi est recommandé et voici quelques moyens qui nous aident à le faire : Tout d'abord, on doit commencer par changer nos idées et nos perceptions sur tout ce qui nous arrive, il faut porter beaucoup plus d'attention aux côtés positifs. Parce que ceci va donner le sentiment du contrôle de la situation qui est la clef de diminution du sentiment du risque et par conséquent l'atténuation du sentiment du stress. Pratiquement, nous pouvons remplir notre emploi du temps par des activités bénéfiques pour détourner notre attention des stimuli négatifs, notamment, profiter plus des activités en plein air et des activités sportives qui ont prouvé leur efficacité dans la lutte contre les maladies mentales. De plus, nous devons nous éloigner le plus possible des médias et des réseaux sociaux, parce que plusieurs études affirment que trop de médias nuit à la santé mentale. Par contre, lire a un effet anxiolytique et antidépresseur, d'où l'importance d'accorder un temps de lecture. En outre, comme le coronavirus est contagion, la peur est beaucoup plus contagieuse, c'est pour cette raison qu'il faut se mettre à distance avec les personnes pessimistes et bien profiter de la communication avec les amis et la famille, par ce que dans certains cas, une discussion avec une personne qu'on aime est plus bénéfique qu'une séance de psychothérapie. Ainsi, il faut bénéficier d'un mode de vie sain et d'un régime alimentaire équilibré. De plus, je recommande fortement les exercices de méditation et de relaxation tels que le yoga, la respiration profonde, la cohérence cardiaque qui sont accessibles sur YouTube ou chez les professionnels de la santé mentale (psychologues, psychothérapeutes et psychiatres). Je veux bien insister ici sur les bienfaits d'écouter notre souffrance et de demander de l'aide d'un spécialiste. Il ne faut pas avoir peur de la psychothérapie et il faut surtout se détacher de l'idée que ceux qui consultent chez les « psys » sont des fous, non ce n'est pas du tout le cas, parce que même le « psy » a besoin d'un psy. Je termine par affirmer que l'immunité psychologique est la première étape pour ne pas sombrer dans la souffrance mentale K.B.