Le 31 janvier 2011 parut La Révolution des Braves, de notre ancien collaborateur Mohamed Kilani. Outre la performance qui a été enregistrée dans le Guinness comme l'ouvrage le plus rapide généré par la révolution tunisienne, le livre nous offert une métaphore quasiment prémonitoire qui a aujourd'hui valeur de prophétie. On y lit : « Le projet Démocratie est une œuvre collective. C'est un nouveau-né prématuré ayant subi l'accélération de l'Histoire. Il est encore sous couveuse. Aidonsle à en sortir indemne pour que, demain, le nourrisson puisse progressivement distinguer les voix, les visages et les couleurs. Bébé, il suscitera le plaisir et la curiosité de voir sa première dent et son premier pas, ou d'entendre ses premiers balbutiements. Accordons donc toute notre attention à la couveuse pour offrir au nouveau-né les chances de sortir à l'air libre vivant et sans aucun handicap. En même temps, prenons soin de sa mère, c'est-à-dire la patrie, qui est souffrante et qui aspire légitimement à un prompt rétablissement. La Tunisie vient de sortir avec brio d'un long tunnel, celui de la dictature, elle doit rapidement sortir du tunnel de l'anarchie avec réalisme. » Dans Au fil des ans, publié en décembre 2017, l'auteur revient sur cet événement et commente son propre texte : « Désenchantement » Six ans après, me revient le souvenir de ce texte. Il me laisse confus, perplexe et sceptique : cette aspiration à la démocratie est demeurée un projet inachevé. Les avancés politiques, incontestables du reste, n'ont pas été accompagnées de la construction citoyenne escomptée et indispensable. Or le principal matériau de la démocratie s'appelle justement le citoyen, celui qui adhère aux principes et normes de ce choix de société. Que constatons-nous six ans après la rupture avec l'ancien régime ? Que le vivre ensemble ne correspond pas aux principes de la révolution laquelle est devenue pour beaucoup une véritable malédiction. » Que doit-on ajouter à ces assertions ? Chacun peut faire, dix ans après, son propre diagnostic ou sa lecture propre. Mais de toute évidence, la couveuse de Kilani n'est pas protégée et la mère, c'està-dire la patrie, n'est pas encore rétablie. Quant au nouveau-né, la démocratie, il n'est pas sorti dans l'air libre, sans garantie de trouver, le cas échéant, sa boussole. F.S