" Qu'importe le moment ! qu'importe la saison !(...) Il monte, il monte, il monte encore, (...) Comme s'il s'en allait dans la profonde nuit A la poursuite de l'aurore Calme, il monte où jamais nuage n'est monté ; [Et] plane à la hauteur de la sérénité ". Comment parler d'un artiste sans les mots d'un autre artiste ? Comment évoquer la mémoire d'un peintre sans les rimes du poète ? Y a-t-il meilleurs vers que ceux de Victor Hugo à inscrire en épigraphe pour célébrer la mémoire de Abdelaziz Gorgi. C'est hier, jeudi 10 janvier dernier que nous avons appris la disparition de l'artiste Abdelaziz Gorgi. Le monde des arts, et particulièrement, le monde de la peinture, perd une figure importante et plus d'un demi-siècle d'histoire picturale...
" J'ai plein d'idées dans ma tête, j'espère les réaliser prochainement ; mais ce qui est sûr, c'est que je continuerai à flirter avec mon pays, mon atelier, mes tubes et mes copains... " nous avait déclaré Abdelaziz Gorgi, dans sa galerie à Tunis lors de sa dernière interview le19 décembre 2005. A l'âge où les jeunes hommes reprenaient les affaires familiales ou embrassaient la fonction publique, le jeune Abdelaziz s'inscrivit à la première Ecole des Beaux-Art situé dans le passage Ben Ayed à Tunis. Sa sensibilité artistique le conduira, comme ses contemporains, à fréquenter les ateliers et les cours de peinture, de céramique etc... dans la Ville des Lumières, Paris. De retour au pays natal, le peintre renoue avec les traditions et l'identité personnelle. Ses endroits préférés demeurent la médina et ses boutiques d'artisans ; les souks et leurs crépitements de vie. A vif, Abdelaziz Gorgi exécute des croquis et immortalise les instants anodins du quotidien. Ces personnages pris dans l'effervescence du moment habiteront ses toiles et seront des sujets qui investiront non seulement les travaux de l'artiste mais également son esprit : " Dans mon travail, je crée mes personnages, je discute avec eux, ils sont tout le temps en moi. " Cette discussion Gorgi l'élargira à tout un monde, tout un univers, celui des traditions, celui des ruelles de la médina et de la diversité de l'artisanat. Cette dernière a occupé une place prépondérante dans le cursus de l'artiste. A cet effet, il fréquentera le milieu des artisans et brisera les remparts qui séparent le domaine pictural de l'artisanat, il verra que l'un est une continuité de l'autre et que la séparation n'est qu'artificielle et sans intérêt. Le renouveau dans la sphère plastique se traduira par l'instauration de l'actuelle Ecole des Beaux-Arts dont Abdelaziz Gorgi et ses compagnons de route seront les fondateurs et au sein de la quelle il enseignera pendant des années. Le premier des enseignements qu'il inculquera est l'importance du dessin ; lors de sa dernière interview, Gorgi insistera sur sa place privilégiée : " Vous savez, tout commence avec le dessin. Il a la primauté. [...] Je vous parle du dessin car c'est le point de départ de toute création [...] je redis que le plus important c'est le dessin car c'est la vie, s'il n'existe pas, on est coincé. " Ce dessin tant chéri, Gorgi le déclinera en peinture, en sculpture, en tapisserie, en mosaïque etc... l'oscillation du trait, la danse des courbes feront naître ces personnages particuliers et propres à l'univers de Gorgi. Ces personnages qui le démarquent de ses contemporains et des générations futures. Le 28 janvier 2007, à la galerie Ammar Farhat, un dernier rendez-vous avait été donné aux amateurs et amis du peintre pour côtoyer l'œuvre et le style de Gorgi. Cette ultime exposition était l'adieu de l'artiste à ceux qui l'ont aimé, amis étaient-ils ou anonymes... Il y aurait tant à dire sur Abdelaziz Gorgi. Il y aurait tant à dire sur l'homme et sur l'artiste. Mais que garderons-nous en mémoire ? Cette vision particulière qui balance entre figuration et abstraction ou plutôt qui les allie toutes deux ? Ou nous souviendrons-nous de cette silhouette qui vous accueille avec un sourire aimable et un regard pétillant, plein de malice, d'espièglerie peut-être et de quelque chose de juvénile quand vous franchissez le seuil de sa galerie ? Ou bien le souvenir du grand-père qui veille sur les premiers pas artistiques de ses petits-enfants et qui vous exhibent avec une certaine fierté leurs dessins ? Que garderons -nous en mémoire ? Peut-être tout simplement ces mots avec les quels il se définit lui-même et définit son amour pour la peinture ; ces mots que dit Abdelaziz l'homme pour parler de Gorgi l'artiste : " Personnellement, je suis pour le rêve dans l'invention. Je découvre la peinture car je rêve avec le dessin et on le rêve, également, d'après le croquis et d'après nature ; ce qui me permet d'avoir une vision particulière qui rend mes dessins personnels. Je veux rêver pour ne pas être coincé dans un sujet et pour me sentir libre, je me sens bien dans ma liberté ; et essayer d'expliquer ou trouver impérativement un sens à un tableau enlève le côté inventif qui est, pour moi, cette part de rêve dans l'œuvre. " Ainsi, s'en va le rêveur. Auprès de ses pairs, il demeura. Ainsi, s'en va le poète du dessin et de la couleur laissant derrière une œuvre éloquente, mémoire d'un demi-siècle de peinture... Raouf MEDELGI
Biographie Né à Tunis en 1928, il fréquente les Beaux-Arts entre 1944 et 1949, puis s'installe à Paris jusqu'en 1953. Membre fondateur de l'Ecole de Tunis, il en sera, après Pierre Boucherle puis Yahia Turki, Président jusqu'en 1968. De 1959 à 1983 il enseigne à l'Ecole des Beaux-Arts de Tunis.Gorgi a toujours peint à Sidi Bou Saïd. "Tout le village, dit-il, avec ses maisons, ses couleurs, et sa lumière invite à la peinture." Il réalise des travaux de décoration notamment pour l'O.M.S. à Genève, l'Union Postale Internationale à Berne, pour le Koweït et Abou Dhabi. Il expose à l'Ecole de Tunis et également à Chicago et à New-York. Il crée à Tunis sa galerie, "Espace Gorgi". Peintre historique de la Tunisie, il continue d'explorer avec talent, à travers la peinture, la tapisserie, la sculpture et la céramique, l'inconscient de l'âme tunisienne. En 2001 une exposition lui a été consacrée à la Maison des Arts à Tunis, ainsi qu'à la Galerie Gorgi.
Condoléances du Président Ben Ali --------------- Carthage-TAP - A la suite du décès du grand peintre, Abdelaziz Gorgi, le Président Zine El Abidine Ben Ali a adressé à la famille et aux proches du disparu et à la famille des artistes, en général, un message de condoléances dans lequel le Chef de l'Etat fait part de ses profonds sentiments de sympathie et de compassion. Dans ce message, le Chef de l'Etat loue les qualités du défunt, l'importance de son œuvre artistique et sa contribution éminente à l'enrichissement des arts plastiques en Tunisie.