* Un espace non fumeur dans les lieux où cigarettes et narguilé turc (Chicha) rongent les poumons des gens, est-ce trop demander ? Censés être des lieux de détente et de convivialité enrichissantes, les cafés remplissent, aujourd'hui, sous nos cieux, à peine ce rôle, préférant, plutôt, entretenir, au prix fort, chez leurs habitués, en majorité de sexe masculin, la quête insatiable de sensations fortes. Résultat de la poussée démographique ou caprice de l'évolution, leur fréquentation croît à vue d'œil, alors que leur nombre ne cesse d'augmenter, et que les dépenses qu'ils occasionnent tournent à de véritables hémorragies pour les poches et les budgets des clients. Aussitôt qu'un nouveau café ouvre ses portes, de quelque type qu'il soit et où que ce soit, il est assailli par la clientèle. En effet, comme beaucoup de citoyens nous l'ont fait remarquer, les cafés attirent les gens et créent, chez eux, le besoin et l'habitude de les fréquenter, à l'instar de la fleur qui attire l'abeille ou l'appât qui attire le poisson. C'est, d'ailleurs, ce qui avait incité les pouvoirs publics dans les années 1980 à réglementer l'ouverture des cafés, notamment dans la Capitale Tunis, et ordonner leur fermeture à compter de 20 heures, mesure insuffisamment, étudiée, à l'époque, car elle avait asséné un coup dur à l'animation du centre-ville de Tunis et il avait fallu mettre en œuvre, ces dernières années, le programme colossal relatif à la réhabilitation de l'avenue Habib Bourguiba, pour en atténuer les conséquences fâcheuses. Le mal des cafés, en Tunisie, réside, principalement, dans le lien fort créé entre leur fréquentation et l'habitude de fumer. Selon eux, les gens vont aux cafés pour fumer des cigarettes et autres espèces de tabac, en sirotant un café, un thé, ou toute autre boisson servie dans ces endroits. Justement, le propriétaire d'un café à la Marsa a pris l'initiative d'aménager une pièce indépendante dans son établissement et de la réserver exclusivement aux non-fumeurs, mais, elle reste vide tout le temps et personne n'y entre, car les habitués du café appartiennent tous à la classe des fumeurs. L'un de nos interlocuteurs qui était un fumeur invétéré, avant d'arrêter, il y a deux années, nous a dit qu'il avait cessé de fréquenter les cafés depuis qu'il avait arrêté de fumer, alors qu'auparavant il y allait, souvent, pour fumer, en buvant, en même temps, un café ou un thé. Les habitués de la dive bouteille sont, aussi, des pauvres victimes de ce mélange terrible de sensations fortes. Ainsi, nos cafés d'aujourd'hui sont-ils redevenus ces fumoirs tels qu'ils étaient lors de leur apparition en Tunisie, il y a, environ, quatre siècles, dans le sillage de l'occupation turque, à en juger par les descriptions qu'en ont laissées les annalistes.
Un changement possible. Cachée, un certain temps, par la mode dominante des cigarettes, cette destination première des cafés, sous nos cieux, a, de nouveau, prévalu, à la faveur de la réintroduction à une vaste échelle de l'usage du narguilé turc ou chicha. Nous avons, ainsi, compté, dans un café au Kram plus de 150 narguilés en circulation (cent-cinquante). Or, un narguilé peut coûter jusqu'à trois dinars et plus, ou plutôt faut-il dire la dose de tabac prise par un narguilé coûte ce prix, car le narguilé est un instrument qui sert à brûler et à inhaler le tabac, comme la pipe. Certains habitués prennent trois chichas par jour, outre leur consommation ordinaire de cigarettes et des boissons d'accompagnement, de sorte qu'un habitué dépense, au bas mot, en moyenne, plus de six dinars par jour, dans les cafés, soit la coquette somme de quelque 180 dinars par mois. Il faudrait ajouter, à tout cela, les pertes matérielles et immatérielles causées par les jeux du hasard pratiqués dans les cafés. Ces dépenses pourraient être justifiées et approuvées, si elles étaient compensées par une certaine contribution de ces endroits à l'enrichissement moral et intellectuel des citoyens, grâce à des initiatives constructives, comme celle du cafetier de la Marsa. D'autant qu'un soin particulier est, de plus en plus, porté à l'amélioration de l'aspect extérieur des cafés, en Tunisie, les rendant en mesure d'accomplir, parfaitement, cette fonction. Nos interlocuteurs estiment que ce changement est très possible, et est à même de faire de la Tunisie, un pionnier, en la matière, car les cafés constituent, de véritables problèmes, dans tous les pays du monde, comme les bars en Europe, et autrefois, chez nous, aussi, avant leur disparition, grâce aux mesures administratives prises dans ce sens. Certains ont avancé l'idée de l'interdiction de fumer dans les cafés et l'encouragement des jeux de société et des jeux d'échecs, des rencontres dans le cadre de clubs culturels, autour de tables garnies et dans une atmosphère détendue et conviviale, l'organisation régulière de concerts musicaux, mais, aussi, et surtout, des prestations de qualité et l'application de prix très étudiés, de manière à assurer la fréquentation voulue et élever son niveau.