A cette époque, alors que le pouvoir était entre les mains des Turcs, l'activité économique était monopolisée par les Tunisois ou "Beldia". Le mot Beldi est un qualificatif signifiant en arabe le citatdin, celui qui est originaire de la ville de Tunis (par référence au bled, ici dans le sens de ville). Les Tunisois étaient les musulmans autochtones installés à Tunis depuis les Hafsides. Suivirent ensuite les Andalous qui avaient quitté l'Espagne, pour fuir l'inquisition. Quant aux "Beldia" d'origine turque, ils étaient surtout ce qu'on avait appelé les "Kouroughli", qui étaient de mère tunisienne. Car les Turcs de souche ont toujours été considérés comme des étrangers, qui ont occupé le pays par la force et de ce fait, il a fallu qu'ils fussent adoptés par les autochtones. Ce fut le cas des Turcs qui se sont installés définitivement en Tunisie après le départ des Turcs et avaient épousés des femmes tunisiennes. Au fil du temps, les Beldia étaient devisés en trois catégories ou castes : ceux qui avaient les activités artisanales, ceux qui s'étaient destinés aux activités culturelles et enfin ceux qui vaquaient à des occupations commerciales. Les artisans s'étaient répartis dans les faubourgs, surtout ceux d'entre-eux qui fabriquaient des produits polluants. Au faubourg de Bab Souika, il y avait les "Tabbanin", qui étaient des artisans utilisant la paille comme produit de base, ou les Halfaouines pour l'alfa tandis que à Bab Djedid, au sud de la ville, il y a les "Sabbagins" (teinturiers). Cependant, il y avait les artisans des produits de luxe tels que les "Attarin" (parfumeurs), les Chaouachin (fabriquants de chéchias) les Blaghagia (fabriquant de la savate). La deuxième catégorie s'était spécialisée dans la vente de certains produits, et s'était installée au centre de la médina. C'est ce qui explique qu'il y a plusieurs souks, les uns à côté des autres, à l'instar de ce qu'on trouve en général dans toutes les grandes villes arabes, que ce soit au Maghreb, notamment au Maroc ou au Moyen-Orient, notamment en Syrie. Quant à la troisième caste, celle-ci était formée de ceux qui s'étaient destinés à l'éducation religieuse, ayant poursuivi leurs études à la mosquée "Ezzaïtouna" et qui appartenaient au rite malékite par opposition aux Turcs relevant du rite hanéfite. Notons que la majorité des Maghrébins sont de rite malékite, par référence à l'Imam Malek Ibn Anass. Tandis que le rite Hanéfite de l'Imam Abou Hanifa est suivi notamment par les Musulmans en Turquie ainsi que d'autres à travers le Moyen-Orient. Parmi cette caste culturelle, étaient choisis les dignitaires religieux, dont notamment l'Imam de la mosquée Ezzaïtouna pour le prêche du vendredi saint, ou les cadhis (juges uniques) qui jugeaient selon le rite malékite. Toutefois, il y avait un cadhi hanéfite devant lequel les justiciables pouvaient s'adresser à titre de recours contre les jugements du cadhi malékite. La fonction d'Imam de la mosquée Ezzaïtouna était réservée aux Tunisois de souche. C'était devenue une tradition qui s'était perpétuée jusqu'à nos jours. En effet, depuis les Rassaâ, tous les Imams de la Mosquée Ezzaïtouna étaient issus de familles tunisoises, tels que les Ennaïfar, les Mohsen, les Ben Achour ou les Echerif. A un certain moment, il y avait un certain esprit de régionalisme tel qu'il était difficile à un non Tunisois de souche de réussir les concours permettant d'accéder à certaines fonctions de dignitaires religieux ou des Ulémas. Ce fut le cas du grammairien "Sidi Khaled" qui venait chaque année de sa ville des fins fonds de la campagne, à dos d'âne, paraît-il pour étudier à la mosquée Ezzaïtouna et qui rentrait chaque année bredouille. C'était un exemple d'endurance, car il avait tenu bon et avait fini par y réussir. Bien plus, il était devenu à son tour un grand Âlem, ayant écrit un ouvrage, étudié au sein de la même mosquée, en tant que matière portant son nom : "Sidi Khaled" que devaient obligatoirement étudier les candidats aux différents examens et concours. En 1690, une liste des souks a été dressée par le Dey, et ce, notamment à des fins fiscales. Dans son ouvrage : "Tunis sous les Mouradites", André Raymond, historien français qui fut enseignant au lycée Carnot de Tunis, écrit notamment. "C'était, en effet, les Musulmans autochtones qui exerçaient les activités artisanales et commerciales dans les marchés de la cité et de ses deux faubourgs. Un des rares documents d'archives d'époque mouradite qui nous aient été conservés ; une liste des souks dressée en 1690 à des fins fiscales donne une image claire de ce quasimonopole". Notons que depuis cette époque et au fil du temps, des commerçants d'origine du nord ou surtout du sud tunisien étaient venus s'installer dans ces souks, pour devenir à la longue des Beldias à leur tour. Citons à titre d'exemple le cas des Djerbiens qui occupèrent le souk Essouf ou le Souk Ellafa. Par ailleurs, il y avait également comme le note l'historien Mohamed Hédi Chérif, une caste tunisoise, défavorisée, cependant constituée par ceux qui exerçaient les métiers traditionnellement pauvres, et "qui habitaient des quartiers populaires en lisière de Tunis", comme le précise Andre Raymond, précité.