Interview du Dr. Khaled Mahmoud, président du congrès de la SMMR et pionnier de la FIV Le 7ème congrès annuel de la Société Méditerranéenne de Médecine de la Reproduction se tiendra du 15 au 18 mai courant à l'hôtel Royal Hammamet et célèbre 30 années de fécondation in vitro (FIV). Cette rencontre scientifique qui réunira un grand nombre de spécialistes dans le domaine sera une occasion pour faire le point de la situation et présenter les nouvelles techniques de procréation et les perspectives d'avenir en Tunisie et dans le monde. A cet effet, nous avons interviewé le docteur Khaled Mahmoud, président du congrès et pionnier de la FIV en Tunisie qui nous a parlé de l'infertilité, des techniques de procréation et des problèmes majeurs de la FIV dans notre pays, à savoir le taux de réussite faible et le coût élevé. Interview.
Le Temps : Nous savons qu'en Tunisie, la médecine est l'un des domaines les plus avancés. En gynécologie obstétrique, disposons-nous des techniques de pointe les mieux indiquées dans le traitement de l'infertilité et avons-nous les compétences humaines qui les maîtrisent bien ? Dr. Khaled Mahmoud : Parmi les pays émergents d'Afrique et du Moyen Orient, la Tunisie, précédée uniquement par la Jordanie, a été pionnière dans ce domaine. La pratique des méthodes de procréation médicalement assistée avait commencé en 1986. Nous avons eu : -Notre premier « Bébé éprouvette » en 1988 soit 10 ans après la naissance du 1er bébé dans le monde (Louise Brown née en Angleterre le 25 juillet 1978). -Notre premier Bébé issu d'un transfert d'embryon congelé en 1995 -Notre bébé ICSI en 1996 soit uniquement 3 ans après la naissance du 1er Bébé mondial en Belgique. Vous voyez donc que très vite on a fait l'effort de se doter techniquement et humainement de tout ce qui est nécessaire pour faire bénéficier les couples souffrant d'infertilité des meilleurs traitements possibles. Sur un autre plan et vu la sensibilité et la spécificité particulières de cette spécialité qui touche à la genèse de l'être humain, aux problèmes de la filiation les autorités ont très vite encadré cette activité en créant d'abord un comité national d'éthique en 1991 et en élaborant une loi promulguée en Août 2001 pour veiller à ce que les couples souffrant d'infertilité puissent être traités dans des structures agréées afin de répondre au mieux à leur désir ardent et droit légitime de procréer. Les compétences humaines existent donc, elles sont reconnues et travaillent dur pour promouvoir cette spécialité.
Est-il toujours possible de connaître les vraies raisons d'infertilité au sein du couple ? Peut-on ne pas les connaître ? Généralement, Est-ce dû à la femme plus qu'à l'homme ou aux deux ensemble ? - Pour déterminer s'il y a une anomalie qui cause une infertilité chez un couple il faut procéder à des tests permettant de savoir si la femme ovule, les trompes sont saines, la cavité utérine est normale et si l'homme est capable de produire et de déposer dans les voies génitales de la femme, une quantité suffisante de spermatozoïdes de bonne qualité. La cause peut être alors soit -Evidente : obstruction bilatérale des trompes, absence d'ovulation, absence de spermatozoïdes - Non évidente : Altération modérée du sperme, troubles de l'ovulation. Des explorations supplémentaires (Coelioscopie) peuvent découvrir une endométriose, des adhérences tubo-péritonéales ... -Absente : l'infertilité est dite alors inexpliquée D'une façon générale l'infertilité peut être d'origine féminine (20%) masculine (20%) mixte (40%) ou inexpliquée (20%).
Est-il vrai que la stérilité masculine est plus difficile à traiter ? Pourquoi et comment la traite-on en Tunisie ? -Oui ; la stérilité masculine est plus difficile à traiter pour 3 raisons essentielles : D'abord parce que 50% des cas restent énigmatiques sans causes décelables. Il n'y a aucun traitement spécifique qui puisse garantir l'amélioration du sperme à part 2 exceptions : la présence de varicocèle mais faut-il faire le lien avec l'atteinte spermatique et l'insuffisance testiculaire secondaire à une atteinte hypophysaire. Les causes génétiques sont fréquentes et sont susceptibles d'être transmises à la descendance. En Tunisie et ailleurs les techniques de procréations médicalement assistées permettent de traiter tous les hommes qui ont des spermatozoïdes même en quantité très faible qu'ils soient éjaculés ou bloqués dans les voies génitales. Dans ces derniers cas un recueil chirurgical de spermatozoïdes suivi de micro-injection dans les ovules de la femme (ICSI) sont proposés avec un succès réel.
Est-ce que la présence d'un fibrome dans l'utérus peut poser un problème de fertilité si on ne l'enlève pas ? Les fibromes chez une femme infertile doivent être enlevés dans les situations suivantes : un gros myome ou des myomes multiples qui provoquent une distorsion de la cavité utérine ; le ou les fibromes qui sont situés dans une zone spéciale appelée Zone jonctionnelle située entre l'endomètre, lieu de l'implantation embryonnaire, et le muscle utérin ; les myomes intra-cavitaires
Quelles sont les techniques de procréation adoptées dans notre pays, à qui sont- elles destinées et quelles sont les chances de succès pour chacune d'entre elles ? - Toutes les techniques existent en Tunisie. Leur indication doit tenir compte de l'âge de la femme, de la durée de l'infertilité et de la cause de l'infertilité. _L'insémination intra-utérine 15 à 20% de succès. Les principales indications sont : troubles du coït, troubles de l'ovulation, altération spermatique modérée, endométriose minime ou infertilité inexpliquée _ La Fécondation in vitro (FIV) découverte en 1978 et indiquée essentiellement dans les stérilités féminines (Obstruction tubaire, endométriose sévère, infertilité inexpliquée après échec d'Insémination _L'ICSI : injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde, découverte en 1992 et indiquée essentiellement dans les stérilités masculines (insuffisance spermatique sévère, absence de spermatozoïdes dans l'éjaculat) Le taux de succès de la FIV et de l'ICSI varie selon les cas de 20 à 45% soit une moyenne de 30% en termes d'obtention de grossesse.
Le coût de ces techniques est extrêmement cher et plusieurs médicaments ne sont pas remboursés par la couverture médicale. Qu'en pensez-vous ? En effet, le recours à la fécondation in vitro se heurte à 2 problèmes majeurs : un taux de réussite faible et une garantie non assurée d'avoir un enfant et un coût élevé. Ce coût comprend les médicaments nécessaires à la stimulation ovarienne (coût variable au cas par cas selon la quantité de médicaments nécessaires), les consultations médicales (nombre également variable), les échographies du suivi de la stimulation, les actes de laboratoire (dépistage de maladies infectieuses transmissibles à l'enfant et au conjoint, bilan hormonal préalable, bilan préopératoire, prélèvements bactériologiques, suivi hormonal de la stimulation, Fécondation In Vitro, Injection Intracytoplasmique), la consultation de l'anesthésiste, une hospitalisation de jour comprenant la ponction ovocytaire, le transfert d'embryons réalisé Les organismes de sécurité sociale peuvent exprimer une réticence quant à la prise en charge de ces soins jugés trop chers et qui ne garantissent pas une réussite. Mais il faudra comprendre et savoir qu'aujourd'hui les sciences médicales sont devenues très techniques et les médicaments plus chers parce que les firmes pharmaceutiques, dans le domaine particulier de la fertilité, cherchent à mettre à notre disposition des médicaments plus sains et plus sécurisants. Devant cette évolution technologique, la médecine se doit de garder certains caractères qui la distinguent essentiellement d'une science appliquée ou d'une technique industrielle en pensant uniquement à garantir une qualité de vie. Cette qualité de vie est définie comme étant la marge qui existe entre les attentes et les résultats pour le malade, cette marge doit être la plus étroite possible. Pour aboutir à cet objectif il faut une assistance morale et matérielle de la part de tous : les médecins doivent travailler dans les règles de l'art et bien étudier leurs honoraires, les firmes pharmaceutiques doivent faire l'effort de diminuer les coûts des médicaments et les organismes de sécurité sociale doivent assurer une couverture sociale et rembourser ces soins. En conjuguant tous ces efforts on augmentera l'accessibilité de ces pratiques à nos citoyens, les médecins travailleront plus et donc acquierront plus d'expérience et gagneront en performance. Il est facile de comprendre que plus la performance des médecins augmente, plus les résultats s'améliorent et plus les charges sociales diminuent.
Pour les couples qui souffrent d'infertilité, le côté psychologique a une importance primordiale, pourquoi la plupart de nos médecins n'accordent-ils pas assez d'intérêt à cette question ? Les couples payent des milliers de dinars par tentative, qui n'est pas toujours réussie, et leurs médecins traitants n'ont même pas le temps pour leur expliquer pourquoi, comment et qu'est-ce qu'il faut faire pour que la tentative n'échoue pas ? - Les couples qui souffrent d'infertilité posent effectivement le problème de la nécessité d'un soutien psychologique. Il y a là une lacune qu'il faudrait combler. Il faudrait sensibiliser les confrères psychiatres à étudier ce profil particulier et convaincre les couples à accepter cette aide. Souvent les couples évitent de trop étaler ce problème.
Des couples qui attendent des années avec impatience pour voir leur rêve se concrétiser et avoir un bébé, perdent ce dernier à l'accouchement. Comment est-il possible de réduire le risque, à ce stade, pour la femme et pour le bébé ? - En médecine les complications existent et leur risque ne peut être réduit que par un suivi rigoureux qui permettra de juger de la meilleure attitude obstétricale en fonction des différents facteurs de risque que peut présenter la femme.
L'opération césarienne est-elle toujours justifiée ? La césarienne ne se justifie que si elle est bien indiquée. Exemple : Une femme de 36 à 40 ans qui a eu la chance de concevoir après une dizaine d'années d'infertilité ne peut pas se permettre de prendre le risque de s'exposer à des complications obstétricales de dernière minute et de surcroît imprévisibles :une césarienne préventive pour « grossesse précieuse » sera indiquée à juste titre.
L'interdiction du don de sperme et d'ovule par la loi n'est-elle pas un vrai obstacle pour les couples stériles ? - La législation est utile pour encadrer cette activité très sensible. Elle ne peut se faire que dans le respect des spécificités religieuse et éthique de notre société. Doit-on permettre à certains couples de recourir au don des gamètes pour avoir un enfant ? La réponse de la Société est non, celle du couple concerné : pourquoi pas ? Le législateur, garant de la société civile, est là pour trancher et il a dit non. Propos recueillis par Afef BEN ABDELJELIL