Dans le cadre du partenariat établi par l'Institut Français de Coopération avec le Collège de France, se sont tenues les samedi 27 et dimanche 28 janvier 2007, à la Bibliothèque Nationale de Tunis, deux conférences : « Refroidissement laser des atomes. Méthodes et applications » et « Pourquoi la linguistique ? ». La première a été donnée par le professeur Claude Cohen-Tannoudji, Prix Nobel de Physique en 1997 avec les Américains Steven Chu et William D. Phillips, alors que la deuxième a été l'oeuvre du Professeur Claude Hagège, éminent linguiste, polyglotte passionné des langues à tradition orale et grand défenseur de la diversité linguistique. Les Professeurs Tannoudgi et Hagège sont titulaires, respectivement, de la Chaire de physique atomique et moléculaire et de celle de théorie linguistique au Collège de France.
Le Professeur Tannoudji a expliqué que les contributions d'Albert Einstein dans ce domaine ont été fondamentales et ont conduit à des révolutions conceptuelles majeures, comme la révolution relativiste et la révolution quantique. Selon lui, le but de cet exposé, destiné à un public non spécialisé, sera de montrer que les idées d' Einstein sur la lumière inspirent toujours les recherches qui se poursuivent dans les domaines les plus novateurs de la physique quantique, avec des applications aussi concrètes que les horloges à atomes froids qui sont les standards de temps les plus performants au monde et permettent une localisation par satellite (GPS) de plus en plus précise, ou encore les condensats de gaz froids, ces nouveaux états de la matière dans lesquels tous les atomes s'accumulent dans un même état quantique, et qui permettent dès maintenant de réaliser des lasers à atomes, analogues a des lasers ordinaires mais où les ondes lumineuses seraient replacées par des ondes de matière.
Linguistique Claude Hagège , partisan d'une approche ethnologique et culturelle souple dans l'étude des langues, a expliqué que celles-ci ne doivent pas, selon lui, être emprisonnées dans la « fausse rigueur » (L'Homme sans paroles) d'un formalisme technique étroit et réducteur. La conférence s'est proposée de répondre à la question : « Pourquoi la linguistique ? ». Et même si le Professeur Hagège a reconnu dès le départ que cette question est pratiquement « inutile », puisque la linguistique n'a besoin de nulle autre justification qu'elle-même, il a néanmoins tenté d'apporter quelques réponses qui exposent les finalités et l'utilité de la linguistique. Le désir d'une rupture avec un enseignement empirique des langues en vue d'une approche plus pédagogique est la première utilité de la linguistique, surtout lorsque l'apprentissage de la langue s'adresse à un public totalement étranger à cette langue. Le Professeur Hagège souligne même l'intérêt didactique d'avoir des connaissances dans la langue maternelle de ce public en vue de faciliter cet apprentissage. D'autre part, la linguistique a une utilité scientifique beaucoup plus large, dans la mesure où étudier la naissance et l'évolution d'une langue revient à étudier l'espèce humaine toute entière et à rééditer son évolution depuis le début. L'intérêt de la linguistique se manifeste aussi à travers l'apport de la comparaison ou la « typologie » des langues dans l'étude de la « créologie », terme par lequel le professeur Hagège désigne la naissance des langues créoles. Cette discipline de pointe met en relation les divers facteurs : esclavage, déportations, métissage, qui ont contribué à la naissance de ces langues. De plus, dans un contexte sociopolitique aussi conflictuel que celui que nous avons de nos jours dans le monde entier au nom de l'identité, la linguistique apparaît d'une utilité incontestable, puisque très souvent la langue est l'argument de base par lequel les peuples répondent à l'oppresseur qui menace leur intégrité et par lequel ils affirment leur identité et s'affirment eux-mêmes en tant que communauté nationale autonome à part entière. Donc, la linguistique, à ce titre, peut apporter des compléments utiles à l'étude des conflits ethniques et politiques. Politiquement, la linguistique peut même jouer un rôle déterminant dans la rédaction et l'interprétation des accords et des textes officiels politiques où parfois la présence, ou non, d'un simple article dans une phrase implique, d'une langue à une autre, des lectures contradictoires. Le professeur Hagège a cité à ce titre la Résolution 242 de l'ONU, en 1967. Le renouvellement et l'évolution inéluctables de la langue, la différence qui se constate entre une langue littéraire et les dialectes parlés parallèlement à cette langue sont enfin des preuves vivantes de l'utilité de la linguistique et de l'apport qu'elle peut apporter dans l'explication de ce phénomène de bilinguisme. Claude Hagège prend l'exemple de la diglossie du monde arabe où l'on voit une grande différence entre l'arabe coranique, arabe « fixé dans sa forme de prestige », l'arabe courant et les dialectes parlés au quotidien par les différentes communautés qui, selon le linguiste, ont toujours existé parallèlement à l'arabe classique et qu'il serait abusif de considérer comme issus de lui.