Dimanche, je fus invité à rompre le jeûne chez de proches parents. Comme chez beaucoup de Tunisiens, plutôt cadres plus que moyens, une télé trône dans la salle à manger en plus de celle, écran plus imposant, qui occupe une place stratégique au salon. En tant qu'invité, on m'a évidemment donné la préséance et la place d'honneur, c'est-à-dire juste en face de la télé pour m'éviter de faire des contorsions au cours du repas et pouvoir suivre les différents programmes.
Après le feu vert donné par le muezzin local, quelques minutes avant celui de Tunis, nous plongeâmes dans le bol de soupe d'orge verte de l'année. Congratulations et compliments à la maîtresse de maison et ses marmitons de tout âge, oubliant complètement la télé qui servait de bruit de fond. Habituellement cette plage horaire, d'une quinzaine de minutes, est souvent l'occasion pour les programmateurs de placer des chants liturgiques, de la musique sacrée. Un intermède où l'image n'a pas grande importance, en attendant le signal de départ de la course de relais des feuilletons. On a choisi d'y adjoindre une émission religieuse, pour accompagner la chorba !! Ce dimanche, un visage bien rond, chéchia rouge sang engoncée sur le crâne, enserré dans un costume bleu et une cravate criarde qui se voulait assortie, remplit immédiatement et entièrement l'écran. Gesticulations, discours en dialectal fourré à chaque coin de phrase de citations du Coran, se voulant ironique, parfois sérieux, doctoral même, mais le registre familier utilisé pour « expliquer » on ne sait trop quoi, n'est pas du tout compatible avec le sujet traité. Vitesse haut débit.. D'ailleurs aucun fil conducteur pour suivre le raisonnement et la démonstration, complètement décousus, du monsieur n'arrêtant pas de gesticuler. Mimiques et sourcils froncés, si on coupait le son on aurait l'impression qu'il se dispute avec un partenaire invisible. Et soudain une phrase fuse, parachutée on ne sait pour quel à propos, dite sur un ton plus que méprisant : « d'ailleurs un des aspects les plus visibles du sous développement est cette croyance en une vache !!!.... Sous prétexte qu'elle nous donne du lait et qu'elle est donc nourricière ». Le monsieur en costume bleu, supposé expliquer la parole divine à des citoyens en train de mordre dans des briks entre deux gorgées de sodas glacés, résume ainsi tout le bouddhisme : des sous développés qui croient en une vache !!! Ignorance noire ou crasseuse volonté de rabaisser autrui, en caricaturant de façon si odieuse? Quelle vision de l'autre, quelle leçon de tolérance donnée aux enfants, et adultes, qui l'écoutent ! Comment un tel mépris pour une religion, qui rassemble quand-même quelques centaines de millions de « sous développés » ?? Est-ce une façon de valoriser l'Islam de façon implicite ? Que fait-il, lui, ce moulin à paroles, de « lakoum dinoukom wa liya dini » ? Comment la Télévision publique tunisienne, captée dans le monde entier, peut-elle laisser dire de telles insanités, alors que l'image généralement admise est que la Tunisie est un pays de tolérance, de mesure, de rencontres des cultures ?? A vrai dire, le ragoût de bœuf et le riz au safran qu'on m'a servis après m'ont paru bien fades. Je voyais derrière chaque grain de riz un « sous développé », en costume bleu, qui continuait à gesticuler et à vociférer.