Septembre noir pour les consommateurs ; octobre et le mouvement de panique ; et pour novembre ? Les Tunisiens n'oublieront pas de sitôt l'automne 2008 ; nous n'en sommes qu'à la moitié, mais il ne se profile à l'horizon aucun signe rassurant. Au commencement était le mois de Septembre qui, en coïncidant avec Ramadan, la rentrée scolaire et universitaire et l'Aïd creva les budgets de toutes les familles et finit par vider toutes les poches et tous les comptes. Avec l'avènement d'Octobre, toutes les « bourses » ont tremblé et pas seulement les grandes places monétaires internationales. La panique ne donne pas l'air de devoir s'apaiser. Après un mois de tourmente, les gens s'interrogent chez nous et dans le monde sur ce que leur réserve le prochain mois : encore des « dépressions » et des « orages » ou enfin une accalmie ?
Le mois le plus difficile Les souvenirs sont encore frais de ce début de Septembre très chaud et très humide : ceux qui rentraient de vacances comme ceux n'y étaient même pas allés appréhendaient le mois avec de la peur au ventre et beaucoup de calculs dans les esprits. Comment allaient-ils en effet affronter successivement les dépenses de Ramadan, celles de la rentrée des classes et celles de l'Aïd ? On en parla beaucoup à la télé, dans les médias et dans les discours officiels de gestion sage des budgets, on prodigua toutes sortes de conseils pour parer au pire ; les ménagères eurent toutes les peines du monde au quotidien à joindre les deux bouts. On a beau réduire les achats de viande habituellement chère (poissons et moutons),- certains y ont même renoncé depuis longtemps-, on a beau consommer moins de fruits, préparer surtout des pâtes et des sauces aux ingrédients financièrement accessibles (pois chiches, fèves, haricots secs, pommes de terre et petits légumes), le mois du jeûne esquinta toutes les bourses. La plupart des soirées ramadanesques furent passées devant la télé et les sorties nocturnes se firent à moindres frais. Même dans les quartiers des riches, on se plaignait des prix élevés proposés par les salons de thé huppés ! Pour couronner le tout, la STEG et la SONEDE envoyèrent leurs factures presque en même temps avec tout de même la promesse de ne couper- pendant la semaine de l'Aïd- ni l'eau ni l'électricité, non sans avoir déjà fait parvenir aux retardataires les avis de coupure. La rentrée des classes fut une épreuve supplémentaire pour les familles qui durent ruser avec les moyens du bord pour s'en sortir. Les étudiants manquèrent dans leur majorité les deux premières semaines de l'année universitaire pour - sans doute- épargner à leurs parents quelques dépenses « inutiles » ! En ce qui concerne les avances accordées par l'Etat (sur les primes de rendement et les augmentations salariales), elles permirent de surmonter en partie des frais urgents, mais un peu partout on n'avait pas le coeur à fêter quoi que ce soit au terme du mois saint. D'ailleurs, les pâtissiers reconnaissent qu'ils ont vendu cette année, beaucoup moins de gâteaux que les années précédentes. Côté vêtements et jouets, les consommateurs s'en sont remis aux commerçants du marché parallèle. A la même époque, chez nos amis Français, on déplorait la cherté de la vie, la baisse généralisée du niveau de vie et la difficulté de tout assurer pour la rentrée. Les familles apprirent à tenir, dans des cahiers achetés spécialement à cet effet, des comptes de plus en plus rigoureux, à calculer à propos de tout, à se contenter de vacances plus courtes et de sandwiches sur la plage, se résignèrent au co-voiturage, réduisirent leurs achats au strict nécessaire et firent des heures supplémentaires pour... «gagner plus » !
Le temps des ...crises Avec le mois d'Octobre, on entrait de plain-pied dans la crise financière mondiale. Au début, les Tunisiens avaient la certitude que « ça n'arrivait qu'aux autres », que « ça ne nous regardait pas ». Et l'on laissa Bush d'abord, puis tous les autres chefs des pays puissants se « démerder » seuls avec « leur » crise boursière. On était d'autant plus convaincu que c'était la meilleure attitude à adopter que nos médias se contentaient de rapports descriptifs plutôt neutres sur la situation. Les premiers jours, presque personne n'était vraiment averti des retombées que cette crise pouvait avoir, à court ou à long termes, sur notre économie et notre niveau de vie, nous autres habitants des pays en développement ou franchement sous-développés. Même nos élites cultivées n'y voyaient que du feu, certains intellectuels et économistes interrogés par les journalistes répondaient par des discours inintelligibles tant ils étaient alambiqués et peu pédagogiques, à croire qu'eux non plus ne saisissaient pas les tenants et les aboutissants de la tempête boursière mondiale. Les derniers rapports et communiqués officiels sont très rassurants : notre pays est-nous dit-on- à l'abri des fortes secousses annoncées ici et là dans les médias occidentaux. C'est tant mieux, mais les titres des journaux locaux de la semaine dernière étaient si alarmants que dans la rue, les cafés, les trains et les bus, on ne parle plus que de la crise mondiale. Les gens commencent aujourd'hui à avoir peur pour leurs biens, pour leurs réserves en banque, pour les crédits qu'ils envisageaient de contracter, pour leurs emplois et même pour leurs salaires ! Leurs inquiétudes ne sont pas toujours fondées mais quelque chose leur dit que les perdants dans la crise seront les plus pauvres de ce monde. Jacques Attali, éminent analyste politique et économique français, corrobore cette hypothèse en affirmant qu'à court terme, les pays du Sud verront leur niveau de vie baisser nettement, que les taux de croissance y stagneront ou diminueront, que l'aide des pays riches sera réduite de moitié quand elle ne sera pas suspendue, que des centaines de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants s'ajouteront à la liste des populations menacées de mourir de faim en Afrique plus particulièrement ! Quel tableau sombre et cruellement réaliste nous dresse-t-il de l'avenir tout proche ! Après avoir cru à des lendemains meilleurs suite à la chute relative du prix du pétrole, voilà le Tiers-monde à l'orée d'une nouvelle période extrêmement difficile. Que peut-on donc attendre du mois de Novembre ?
Prions, prions... ! Chez nous comme ailleurs, les gens continueront sans doute à suivre le feuilleton de la crise boursière au suspense haletant. On s'interrogera partout sur les effets et les contre indications des « injections » administrées aux banques et aux bourses touchées, on verra si la présente tempête modifiera les rapports de force entre les grandes puissances financières tel que le prédisait le chef de l'Etat russe, en septembre. Mais le Tunisien s'inquiètera également pour la nouvelle saison agricole, pour la récolte des olives, pour le prix de l'huile de cette année et déjà pour... le mouton du prochain Aïd !