Interview de Abderrazek Chraïet * « Comment le tourisme saharien peut-il décoller définitivement si plusieurs lignes aériennes reliant Tozeur aux principales villes européennes ont été supprimées sous le prétexte de l'absence de rentabilité » ? Les sanctions prises par le ministère du Tourisme et de l'Artisanat à l'encontre de certains hôtels et restaurants a suscité des réactions soutenues de la part de certains professionnels. Si ces derniers ne contestent pas le bien fondé de ces mesures, ils déploient que l'intervention de la tutelle se limite à l'aspect répressif alors que la réalité exige une approche plus rationnelle pour venir au secours d'une activité aussi exigeante que fragile. Abderrazek Chraïet stigmatise des pratiques qu'il juge inadaptées, insuffisantes et décourageantes.
Le Temps : Le ministère du Tourisme et de l'Artisanat vient de procéder à des sanctions énergiques à l'encontre de certains hôtels et restaurants jugés défaillants. Votre commentaire. Abderrazek Chraïet : Je suis très surpris par ces mesures qui ne peuvent aider un secteur en difficulté à sortir de l'impasse. Tout d'abord, il y a le problème de fond, à savoir les conditions dans lesquelles opèrent ces hôteliers et les restaurateurs et qui méritent qu'on s'y penchent très sérieusement. Je dois préciser que je ne cautionne nullement les négligences et les défaillances qui peuvent nuire à la profession : hygiène, sécurité alimentaire, normes de sécurité, etc. Toutefois, la question mérite qu'on aille directement au fond du problème. D'autre part, il y a l'aspect qui touche à la forme. De telles mesures tendent à discréditer les établissements incriminés, leurs propriétaires et tout le secteur. Je préconise une discrétion dans ce genre de situation car la médiatisation peut nuire au secteur.
Comment ? Il y a une donnée qui mérite d'être prise en ligne de compte : toute publicité négative peut avoir des répercussions directes sur l'ensemble du secteur, notamment sur les prix. L'image que nous donnerons ainsi de nos établissements sera exploitée par d'autres parties pour imposer une tarification qui pénaliserait les comptes d'exploitation des unités hôtelières. A la limite, les mesures, quand elles sont fondées et acceptées, doivent revêtir la discrétion. Mais je persiste à croire que le tourisme tunisien a encore besoin d'une analyse approfondie pour délimiter les responsabilités de tous les intervenants avec une approche prospective car les enjeux sont de taille.
Qu'en est-il du tourisme saharien dont vous êtes l'un des leaders voire des pionniers ? L'évolution du tourisme saharien n'est pas conforme à nos prévisions. Je m'explique : les investissements réalisés dans les régions de Tozeur, de Nefta et Douz devaient imprégner l'avenir du secteur dans la région. Or, au lieu d'accompagner ces investissements par des mesures nécessaires, l'on s'est contenté de quelques actions de promotion sporadiques sans effets durables. Comment le tourisme saharien peut-il décoller définitivement si plusieurs lignes aériennes reliant Tozeur aux principales villes européennes ont été supprimées sous le prétexte de l'absence de rentabilité. Or, on ne peut assurer la rentabilité qu'avec des plans d'action qui s'inscrivent sur le moyen et le long termes.
Faut-il en déduire que la responsabilité incombe exclusivement à l'Administration ? Où est celle des professionnels ? Il est malsain de se décharger de la responsabilité de la situation actuelle. Mais la nature du tourisme saharien exige une stratégie particulière et une synergie à toute épreuve. Sur le plan macroéconomique la réussite est évidente et les ressources directes et indirectes de l'Etat sont en constante hausse. Cela dit, il est souhaitable que l'Etat fasse bénéficier les opérateurs en retour des bienfaits de cette situation pour les aider à équilibrer leur gestion.
Comment ? Un exemple : les établissements hôteliers ont bénéficié, pendant dix ans, d'une exonération relative aux charges sociales du personnel. Cette faveur mérite d'être reconduite pour dix ans encore afin d'aider les hôteliers à souffler. D'autres mesures peuvent êtres trouvées concernant les crédits d'investissement, voire les crédits de gestion et cela requiert la concertation.
Mais les actions culturelles que vous menez épisodiquement démontrent la qualité du produit ! Sans aucun doute mais il est très difficile d'organiser régulièrement des actions d'envergure car l'intendance, voire l'imagination posent problème. Pour équilibrer une action, il y a le financement qui exige des sponsors. Or, le recours systématique et régulier aux sponsors finit généralement par les démobiliser car le retour sur investissement n'est pas toujours garanti. Cela peut tourner au mécénat lequel a ses règles et son fonctionnement. Nous, on cherche à opérer dans la durée, un mixage entre le tourisme saharien, le tourisme de congrès et le tourisme culturel. La région en possède les fondamentaux. Mettons alors les bouchées doubles.