C'est en compagnie de la tante Khira qu'un soir de réveillon, nous avons visité cette cité populaire dont la vieille dame connaît sur le bout des doigts chaque parcelle et chaque habitant. Elle nous emmena dans toutes ses ruelles, impasses et maisons pour nous montrer comment la population prépare et fête, chaque 31 décembre, l'avènement du nouvel an. Nous nous sommes rendus sur les lieux vers 10 heures trente du matin ; parce qu'en général ce qui se fait comme commissions avant cette heure n'entre pas dans les préparatifs du réveillon. Lorsque nous avons quitté la cité, minuit avait sonné depuis une demi-heure !
Commandes pour la soirée ! Ce sont les femmes de tous âges qui font le marché, comme à l'accoutumée. Un peu plus que les jours précédents, les boutiques des marchands de volaille sont prises d'assaut par les clientes qui commandent exceptionnellement soit un poulet entier soit davantage d'abats que pendant la semaine. Le boucher, lui, accueille toujours la clientèle snob du quartier, en apparence plus aisée que le reste des habitants. Au marché, on s'offre ce jour-là des fruits et de la salade ; oui mais les moins chers de préférence. On rentre aussi avec des boissons gazeuses et des jus. Ne jamais oublier en pareille circonstance les fruits secs pour la soirée et plutôt autre chose que les glibettes si les moyens le permettent ! Pour le pain, il faut s'en approvisionner dès avant-midi si vous ne voulez pas faire le tour des autres quartiers après et rentrer les mains vides ! L'essentiel étant d'acheter du gâteau, en galette ou en morceaux, presque tous les commerçants du coin se convertissent en pâtissiers l'espace d'un jour ou de deux : pour un peu vous feriez votre commande chez le boucher ou le cordonnier ! La marchandise est exposée sur les comptoirs, les étals, les vitrines ensoleillées et aussi dans les cageots à même le trottoir ! On propose des pièces de gâteau généreusement nappées de chocolat et de colorants multiples. Pour le détail de la garniture, il ne faut jamais en demander le secret au revendeur ; seul le fournisseur qui livre lui-même ses gâteaux à mobylette ou à bord d'une guimbarde jamais nettoyée, peut vous le révéler ! En tout cas et quelle qu'en soit la taille et le prix, les clients n'en laisseront rien. Avant 16 heures, il n'y en aura plus une miette! Les snobs rentrent avec une galette achetée en ville, chez un pâtissier «de renom» s'il vous plaît à 50 ou 60 dinars ! Prix excessif, vous vous en doutez bien, pour une galette garnie aux cacahuètes et noyaux d'abricots !
Intenses activités Les enfants sont plus bruyants ce jour-là et ne parlent entre eux que de ce que leurs parents ont acheté pour le réveillon et chacun d'y mettre de son bobard afin de ne pas paraître ridicule devant les autres mythomanes en herbe. Les hommes que vous rencontrez au café abondent en commentaires virulents à l'encontre de cette fête intruse et jettent l'anathème sur ceux qui la célèbrent qu'ils traitent d'hérétiques parfois, tout cela au même moment où l'un ou l'une des leurs a déjà fini ses achats pour le réveillon, achats dont du reste ces hommes ont été informés à leur sortie de la maison ! L'après-midi, les mouvements des « mâles » deviennent plus fébriles : jeunes et moins jeunes s'activent intensément pour s'approvisionner en vin et en bière. On se répartit les tâches et les courses ; mais il n'y a rien à craindre de ce côté ; ce ne sont pas les fournisseurs clandestins qui manquent dans les parages. Encore faut-il trouver le bon endroit et la meilleure compagnie pour la beuverie de tout à l'heure ! Dans les salons de coiffure, des adolescentes et des jeunes femmes se font bichonner en prévision peut-être d'une sortie nocturne ou d'une soirée exceptionnellement torride et animée. Les garçons qui en ont les moyens louent à l'heure des mobylettes ou des motos de troisième main pour offrir à la petite amie une virée pas comme les autres, le soir ! Il en est qui préfèrent louer des films égyptiens en CD (du genre autorisé ou interdit) pour une fête very hard.
A flots ! Sinon, la plupart des familles passent la soirée chez elles à suivre les variétés télévisées autour d'un canoun qu'on n'oubliera pas tout au long de la veillée d'alimenter en charbon. On chantera, dansera, papotera jusqu'à ce que fatigue et sommeil s'ensuivent ! Dehors, des mouvements plus ou moins discrets animent encore le quartier ; les bagarres habituelles sont à l'occasion plus nombreuses et plus violentes sous l'effet de l'alcool ou d'animosités anciennes qui remontent à propos de rien ce soir-là ! Les rondes de police calment les esprits pendant leur passage, mais qui sait si une fois les agents partis, le vin et le sang ne couleront pas à flots en même temps et à des endroits différents de la cité !